- Allons marcher sous la pluie, ça nous rafraîchira les idées.
- Super idée pour tomber malade, maugréa son compagnon en la suivant malgré tout.
- Mais non, le contredit la jeune femme en souriant joyeusement, ça crachine à peine. Tu ne vas pas me dire que tu as peur de quelques malheureuses petites gouttes ? poursuivit-elle d’un ton taquin.
- Non, mais avoue que tu as toujours des idées foireuses qui ne nous apportent que des ennuis ! grommela le jeune homme tout en sortant.
- Il faut bien que la jeunesse se fasse, Tristan, rétorqua son amie tout en sautillant sous la fine pluie. La vie est trop courte pour que tu réagisses déjà comme un vieux !
- Tout le monde n’est pas forcément comme toi, Eugénie, commença à s’agacer l’adolescent, ça ne veut pas dire que je réagis comme un vieux parce que j’aurais préféré rester bien au chaud à la maison à lire un bon livre !
La jeune fille fut un peu refroidie par la remarque, très juste au demeurant, de son ami. Elle continua donc de marcher en silence, ayant arrêté de sautiller. Ils marchèrent un moment ainsi, en silence, avec comme seul bruit le vent soufflant dans les feuilles des arbres les entourant.
Tristan, las de marcher sans but précis, finit par briser à nouveau le silence.
- Eugénie, peut-on rentrer maintenant ? Je commence à avoir froid.
- Attends, je voulais d’abord te montrer quelque chose. On rentrera après.
- Avant ou après que j’attrape un rhume ? marmonna le garçon dans sa barbe inexistante. Je suis humain, moi, je n’ai pas la même résistance physique que toi, Ô grande nymphe, continua-t-il sarcastiquement.
- Tu vas arrêter de râler, oui, commença à perdre patience la jeune fille. Je te promets que tu vas adorer !
Pendant que les deux amis se chamaillaient en continuant d’avancer, ils finirent par arriver en haut d’une colline. Quand Tristan vit le panorama qui s’étalait devant lui, il s’arrêta net et le contempla, émerveillé. De là où ils étaient, les deux jeunes gens pouvaient voir un paysage magnifique, digne d’un conte de fées, avec différentes nuances de vert.
Devant lui s’étalait une forêt de sapins qui cachait presque les montagnes dont on ne voyait que les cimes qui disparaissaient derrière les nuages tellement elles étaient grandes. Devant la forêt d’épineux, il y avait un lac d’une magnifique couleur émeraude.
L’herbe était d’un vert somptueux, d’un vert que ne peut avoir que l’herbe abondamment arrosée par la pluie.
Soudain, un éclair déchira le ciel, suivi rapidement par le grondement sourd du tonnerre.
- Eugénie, il faut rentrer, paniqua Tristan.
- Calme-toi, essaya de l’apaiser la jeune fille. La maison est trop loin, mais il y a une auberge pas loin où on pourra s’abriter.
La jeune fille prit son ami par la main et ils se mirent à courir, essayant de ne pas trop se mettre sous les arbres. De loin, ils virent bientôt une petite auberge de vieilles pierres. Ils s’empressèrent de rentrer à l’intérieur et de refermer derrière eux.
Ils restèrent timidement à l’entrée, dégoulinant sur le seuil de l’auberge. Il faisait légèrement sombre dans la salle où ils venaient de rentrer, les éclairs illuminant de temps en temps de manière inquiétante les lieux vides de toute vie, semblait-il. Les deux amis se regardèrent, guère rassurés par l’ambiance lugubre qui semblait s’être emparée des lieux.
Au fond de la salle, une porte s’ouvrit en grinçant sinistrement.
- Que puis-je faire pour vous, jeunes gens ? s’éleva une voix d’outre-tombe juste à côté d’eux.
Tristan sursauta et cria de surprise et de peur mêlées. Du fait de la faible luminosité, ils n’avaient pas vu l’aubergiste approcher. Du reste, entre l’ouverture de la porte et le moment où l’homme leur a parlé juste à côté d’eux, il ne s’était pas passé suffisamment de temps pour qu’un être humain normal puisse s’approcher aussi près d’eux.
- Rien, monsieur, intervient courageusement la jeune fille en dépit de sa propre peur, mon ami et moi souhaitons juste nous abriter de la pluie. On repartira dès que l’orage se sera arrêté.
- Les orages de montagnes sont imprévisibles, reprit la voix caverneuse. Ils peuvent durer des heures. Mieux vaut que vous dormiez ici cette nuit, vous repartirez demain quand la colère du ciel se sera apaisée. Je vais vous préparer une chambre et je vais vous apporter de quoi vous changer. Si vous restez ainsi avec vos vêtements mouillés, vous allez attraper la mort.
L’homme tourna les talons sans attendre la réponse des adolescents, faisant ce qu’il venait de dire.
Les deux amis se retrouvèrent dans une chambre aux allures assez vieillottes, avec une collection de poupées anciennes posées sur des étagères au-dessus du lit double qui prenait une grande partie de la pièce. Sur le mur faisant face au lit, il y avait une grande horloge.
De manière inexplicable, les deux jeunes gens sentirent une brusque fatigue s'emparer d’eux. Ils se changèrent rapidement puis se couchèrent, trop fatigués pour être gênés de dormir dans le même lit.
Les adolescents s'étaient à peine endormis, que la plus grande des poupées commença à bouger et s’approcha d’eux, furtivement, silencieusement, traînant derrière elle un couteau ensanglanté qui était jusque-là dissimulé derrière les autres poupées.
Elle se laissa tomber sur le lit, pour atterrir pile entre ses deux prochaines victimes. Elle approcha d’abord du garçon et lui trancha la gorge. Puis elle se tourna vers la fille qui, sûrement par un sursaut d’instinct de survie, s’était réveillée à temps pour voir la poupée maléfique assassiner le garçon. Elle se redressa et voulut crier, mais trop tard, le couteau tenu par la poupée lui avait déjà transpercé la poitrine, étouffant dans l'œuf le cri dans un gargouillis de sang.
Dans son agonie, la jeune fille vit la porte de la chambre s’ouvrir sur l’aubergiste qui s’avança jusqu’au lit où il regarda la poupée avec une lueur d'espoir dans les yeux, vite éteint quand la poupée arrêta de bouger.
- Tu n’as pas encore fait couler suffisamment de sang pour me revenir, fit la voix douloureuse de l’homme. Combien d’innocents devront encore mourir pour que tu puisses revivre ? Se désespéra l’aubergiste.
- Plus…, grinça d'une voix désincarnée la poupée. Il m’en faut plus… plus de sang…
Eugénie poussa son dernier soupir au moment où l’homme se prit la tête dans les mains et gémit de détresse.
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