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tome 1, Chapitre 1 « La main tendue » tome 1, Chapitre 1

Ballotée et dans le noir. Combien de temps cela avait-il pu durer ? Le seul espoir qui pouvait rester n'était rien de plus qu'une petite étincelle. Malheureusement, cela risquait de n'être qu'une chimère si on se contentait de l'attendre. Il fallait l'alimenter, la provoquer, sous peine de la voir se dissiper.

William avait saisi la main qui lui avait été tendue par le passé. Mais maintenant qu'il y repensait, cela paraissait presque ironique. Comment assouvir sa vengeance dans ses conditions ? Il n'y pensait plus vraiment. On lui dirait qu'il s'agirait d'un signe de maturité mais cela provoquait un vide en lui. Il s'en était rendu compte depuis peu. Il fallait passer à autre chose et accepter son offre semblait être le meilleur choix. Mais cette mission...ce poste...cette situation. Il ne pouvait y avoir pire retour de bâton.

William tourna la tête vers une cheminée sans feu. Depuis combien de temps n'avait-elle pas été utilisée ? Voir les flammes dans l'âtre serait si reposant, mais il faudrait tellement d'effort pour l'allumer. C'était peut-être ça le problème de l'espoir fuyant. Abandonner est moins fatiguant. C'était sans doute la même raison qui avait poussé cette fille à se retrouver dans la situation dans laquelle elle se trouvait en ce moment.

La seule porte de la pièce s'ouvrit, laissant voir un grand homme à la peau légèrement mate et les cheveux noirs en catogan. Il pourrait se faire passer pour un videur. Son regard se posa sur Will.

— La cargaison est arrivée.

Le jeune homme poussa un soupir puis se leva. Il était temps de superviser les choses. Le grand homme repris :

— Ils ont déjà commencé à tout vider. Nous devrions nous dépêcher.

William se plaça à côté du grand homme, sa tête lui arrivait au niveau de l'épaule.

— Je te suis, Hector.

Ils traversèrent un couloir, passant à côté de nombreuses portes, et arrivèrent, au bout de celui-ci, dans un entrepôt. Sans même ralentir, Hector annonça :

— J'ai déjà entrepris les différentes manœuvres d'entreposage. Nous devrions pouvoir nous concentrer sur l'essentiel. J'ai également envoyé des personnes vérifier le contenant des différentes caisses.

— Tu as déjà pratiquement tout fait. C'est à se demander si vous aviez vraiment besoin de moi.

— C'est toi le spécialiste, pas moi.

— D'accord, j'ai compris, dit William en levant les yeux au ciel. Amène-moi vers la raison de ma présence.

Il y avait bien là une bonne vingtaine d'hommes affairés à leurs tâches. L'arrière de la remorque d'un camion était visible de l'autre côté de l'immense salle. Chaque rayon était habilement bien classé et rangé et les trop gros colis avaient leur propre section. C'était par-là que les deux hommes se dirigeaient.

Hector savait parfaitement où aller. Il était dans le milieu depuis plus longtemps que William et tout le monde ici le connaissait en tant que contremaître. Il avait rapidement montré ses capacités en tant que gestionnaire et avait également fait ses preuves.

Tous deux se connaissaient depuis quelques années et c'était Hector lui-même qui avait conseillé au patron d'embaucher William pour le travail particulier qu'il devait accomplir aujourd'hui.

Ils passèrent par la section des gros colis pour arriver devant un drap noir recouvrant un énorme contenant situé au milieu d'un grand espace vide. Le chariot-élévateur l'ayant amené venait tout juste de le déposer et avait commencé son demi-tour. Deux hommes qui discutaient, non-loin, repérèrent les deux arrivants et se dirigèrent vers eux.

— Nous comprenons que la catégorie animal ne soit pas adapté, mais est-ce une bonne idée de laisser ça là ? demanda l'un d'eux.

Sans quitter le drap noir du regard, William répondit :

— Ce sera plus facile pour discuter. Enlevez-moi ce drap et apporter une chaise, que je puisse m'asseoir.

Les deux hommes se hâtèrent. Chacun d'un côté, ils tirèrent le drap et dévoilèrent une cage. William et Hector fixèrent ce qu'elle contenait. Après un certain temps, le premier pris la parole.

— Il n'y a rien qui te choque ?

Hector semblait un peu ennuyé.

— J'avoue que je m'attendais à quelque chose de différent, mais de là à tomber sur une gamine... Elle n'a pas l'air d'avoir plus de 14 ans...

L'un des deux hommes revint avec une chaise, accompagné de quelqu'un. Celui-ci tendit un presse-papier :

— Tout est déchargé, la liste a été vérifié, il ne reste plus qu'à signer.

Hector sourit en se tournant vers le fournisseur :

— Désolé, mais ce n'est pas moi qui suis en charge aujourd'hui.

Interloqué, le fournisseur se tourna vers William qui répondit :

— Le patron n'étant pas disponible, c'est moi qui m'occupe des opérations. Et, avant que vous me le demandiez, je ne signerai pas vos papiers tout de suite.

— Je vous demande pardon ? J'ai d'autres colis à fournir. Je ne peux pas me permettre le moindre retard.

— Dans ce cas, ils attendront. Où sont ses effets ? Je veux les voir.

William pointa du doigt la gamine dans la cage. On apporta un sac à dos en cuir. William regarda Hector qui s'en empara et se mit à fouiller.

— Je ne comprends pas. Qu'est-ce que cela signifie ? demanda le fournisseur.

— Vous voyez dans la cage ? Pouvez-vous me confirmer qu'il s'agit bien d'une Sylphide ?

— Je ne suis que le fournisseur. Si vous avez besoin de vous plaindre, c'est auprès du vendeur. Vous avez obtenu toutes les informations que vous aviez besoin. De plus, vous avez des preuves matérielles.

Le fournisseur pointa du doigt le sac qu'Hector était en train de fouiller. Celui-ci releva la tête après avoir déposé un briquet et ce qui semblait être un silex, vu la forme du caillou.

— Je suis désolé de l'annoncer, mais je n'ai rien trouvé qui puisse confirmer vos dire.

Un sourire sadique se dessina sur le regard de William.

— Les informations que nous avons reçues ne suffisent pas et le sac à dos n'a rien donné. Que je sache, vous vous salissez souvent les mains dans ce genre de choses. Le patron fait souvent appel à vous en tant que client, ainsi qu'avec le vendeur en question. Ce n'est pas la première fois que vous faites ce genre de coups, mais là c'est fort.

— Désolé, mais je n'ai vraiment plus le temps. J'ai d'autres clients.

— Dis aux autres de bloquer les sorties. Je ne veux voir aucun camion quitter l'entrepôt, ordonna William à l'homme qui se tenait près de la chaise.

— Ce genre de chose risque de vous coûter cher. Vous allez perdre un bon fournisseur.

— C'est vous qui risquez gros, pas nous. Si vous êtes en retard, c'est vos clients qui iront voir ailleurs. Ce sera un avantage pour vos concurrents. Et tant que je n'aurai pas la moindre preuve qu'il s'agit d'une Sylphide, vous ne partirai pas.

Le fournisseur regarda William avec mépris.

— Vous êtes ignoble. Comment voulez-vous vérifier ça ? Vous l'avez bien regardé ? Autant le dire tout de suite qu'il ne s'agit que d'une enfant humaine.

— Ça tombe bien. C'est justement la raison de ma présence.

— Je sais ce que j'ai entendu. Je connais la raison de son prix exorbitant. Personne n'aurais vu de Sylphe depuis plusieurs siècle. Ne me faites pas croire que vous en avez déjà vu.

William s'approcha du fournisseur et le regarda droit dans les yeux.

— Avez-vous déjà vu un démon ?

Son interlocuteur fit non de la tête. William haussa les sourcil.

— Moi oui. Et ils ressemblent en tout point aux humains. Tellement que vous pourriez en avoir un sous les yeux sans même que vous ne vous en rendiez compte. Alors, pouvez-vous me confirmez que vous n'avez jamais croisé la route d'un démon ?

Le camionneur déglutit, la peur pouvait à présent se lire sur son regard. Il se tourna vers Hector qui regardait, les bras croisés, William avec une expression proche de la fierté. William repris :

— Ayant déjà vu un ange—déchue, je précise—je sais qu'eux aussi ressemblent en tout point aux humain. Ils n'ont ni auréole, ni ailes nacrées, ou du moins, ils les cachent bien. Pour ce qui est des élémentaires, j'ai suffisamment d'infos pour savoir reconnaitre une salamandre, une dryade ou un ondin malgré leur rareté. Et d'après leur apparence, ce sont des cousins plus proche de nous que le chimpanzé. Je ne vois donc pas pourquoi les Sylphes feraient exception.

William regardait à présent la fille dans la cage. Assise sur ses talons, elle avait la tête baissée, le regard presque vide. Dans le peu que l'on pouvait percevoir, ses yeux fixes laissaient comprendre toute la peur qu'elle essayait de cacher, le rougeoiement sous ses paupières et les traces sur ses joues expliquaient à elles seules tout le temps qu'elle avait passé à pleurer. Sa robe, sobre et salle, était rapiécée à un endroit et ses mocassins étaient usées. À croire qu'elle avait vécue dans la rue.

— S'il s'agit bien d'une Sylphide, vous avez voyagé avec une véritable bombe à retardement. Leurs pouvoirs étant lié au vent, elle aurait pu produire une tornade. Ses barreaux n'auraient jamais suffi à la retenir si elle avait tenté de s'échapper.

Pendant que William disait ça, Hector avait approché la chaise de la cage, en face de la fille. Le fournisseur semblait avoir compris pourquoi le doute subsistait sur l'identité de la gamine. Un tel pouvoir non-utilisé...Mais peut-être qu'elle était encore trop jeune pour ça. Il était évident qu'il n'accepterait plus ce genre de transport. Le risque était trop grand.

William s'assit et se pencha en avant, ses coudes sur ses jambes, mains jointes et les index posées l'une contre l'autre sur ses lèvres. Il regarda longuement la jeune fille avant d'ouvrir enfin la bouche.

— Connais-tu notre langue ?

Elle tressailli.

— Tu n'es pas obligée de nous répondre de vive voix. Un simple hochement de tête peut suffire. As-tu compris ce que je viens de dire ?

Après quelques secondes, elle fit un bref et très léger mouvement de tête, répondant à l'affirmative. William se remit droit sur sa chaise et se tourna vers Hector, situé à sa droite, debout et les bras croisé. Après s'être échangé leur regard, le grand homme poussa un léger soupir et parti. William resta là à attendre tout en gardant un œil sur le fournisseur.

Il n'aura pas fallu plus de 3 minutes avant qu'Hector ne reviennent. Trois hommes l'accompagnait. Deux d'entre eux se dirigèrent tout de suite vers le camionneur pour se placer derrière lui. Le troisième tenait une assiette avec du pain, quelques légumes frais et une tranche de jambon roulé. William pris à la volée une tranche de tomate et la mangea sous les yeux de la fille. L'assiette fut ensuite posée près d'elle. Sa capacité de compréhension semblait être parfaite : elle quitta du regard William pour prendre une autre tranche de tomate.

Quand elle décida d'arrêter de manger, il ne restait plus que la tranche de jambon dans l'assiette. William reprit sa position.

— C'était bon ?

Elle refit un léger hochement vertical.

— Tu m'as l'air encore bien nerveuse. C'est lui qui te fais peur ?

William s'était penché sur le côté pour pointer Hector du regard. Quand elle acquiesça, ce dernier ne put s'empêcher de pousser un "Hey" de mécontentement, faisant sourire le jeune interrogateur.

— Et moi, est-ce que je fais peur ? demanda-t-il en s'appuyant sur l'accoudoir gauche de la chaise.

Ce bref échange semblait avoir réussi à détendre suffisamment l'atmosphère. Bien qu'elle hésitât un peu, elle répondit négativement avec quelques hochements rapides.

— À la bonne heure !

William se repencha en avant et repris :

— Je sais que ça a été difficile pour toi. Et je le comprend parfaitement. Je n'ai aucunement l'intention de te faire le moindre mal, d'ailleurs je n'y vois aucun intérêt. La seule raison de ma présence est de garder un œil sur toi et de veiller à ce qu'il ne t'arrive rien. Ce serait vraiment dommage d'abimer un si joli minois. J'aurai juste une question à te poser : une question difficile. Es-tu une humaine à qui on a demandé de te faire passer pour une Sylphide ou es-tu une Sylphide trop effrayée pour répondre ?

Cette question, à la base, n'avait pas de sens à cause d'un point : si elle était une Sylphide, elle ne devrait donc pas répondre, or, il la pousse à répondre. Elle hésita un moment, sûrement de peur d'avoir mal compris, puis baissa la tête. William était déçu, il attendait une vrai réponse. Il s'était levé de sa chaise et se dirigeait à présent vers le fournisseur. C'est alors qu'il entendit une voix. Petite, mais hâtive dû à son départ. Il se retourna. Hector semblait aussi l'avoir entendue. Ils s'approchèrent de la jeune fille qui s'était levée.

— Je suis une Sylphide...et je ne suis pas assez effrayée pour ne pas répondre.

— Je le sais, répondit William. Et je suis un démon, comme tu devais sûrement l'avoir compris avec mon allusion lors de ma discussion de tout à l'heure, si tu as écouté. Et, à mon avis, tu dois connaître notre capacité de perception. D'ailleurs, je crois que nous n'avons plus besoin de jouer au sous-marin. N'est-ce pas ?

Cette question était adressée directement à Hector qui fit non de la tête. Au même instant, un portail dimensionnel apparu et trois personnes en uniforme en sortirent.

Il ne fallut pas longtemps pour comprendre que tout l'entrepôt venait d'être bouclé et que le patron "indisponible" avait déjà été mis aux arrêts. Tandis que les employés et fournisseurs étaient arrêtés et emmenés, Hector et William retirèrent et remirent leur mouchard aux agents. Une femme s'avança ensuite vers eux et les salua.

— Vous avez fait du très bon travail. Je ne pensais pas que vous réussiriez à être si convaincant. Surtout toi, Will. Tu m'as bluffée. L'agence est encore en train de discuter de ce qu'ils pourraient faire pour elle. Par contre, le fait que la Sylphide soit une jeune fille peut, en effet, poser problème. Et cette arrestation "fracassante" n'enlèvera pas son traumatisme.

— Vos félicitations nous vont droit au cœur, dame Helia, répondit Hector (William roula des yeux). Si je puis me permettre, avons-nous au moins un lieu où déposer la sylphide, on ne peut décemment pas la laisser ici.

— L'agence avait bien prévu un endroit, mais vu son âge, ça change tout, répondit la dame.

— Hector et moi sommes les deux seules personnes avec qui elle a interagi. La laisser partir ainsi risquerait de briser le peu de confiance qu'elle pourrait déjà avoir à notre égard. On peut toujours l'amener avec nous en attendant. Que je sache, il y a de la place.

La proposition de William fit sourire Helia qui répondit directement.

— Je ne te savais pas comme ça.

— Ne t'imagine pas des choses. Évite de me titiller, je n'ai pas la tête à ça, dit-il de manière irritée.

Elle fut vite gênée par ces propos.

— Évite de me tutoyer quand nous sommes en milieu professionnelle, je te prie (Elle se ressaisit vite avant de continuer). Tu te portes garant ?

— Hein ?! J'ai jamais dit ça !

— Le bureau n'est pas un endroit pour les enfants. Même si nous y vivons, ça reste un lieu professionnel. Tu as ta propre maison, profites-en. Je te donnerai un font supplémentaire.

— Pardon ?!

— C'est décidé.

— Je n'ai pas donné mon accord !

Helia fit la sourde oreille et s'en alla avertir les membres de l'agence restants. Hector, compatissant, posa sa main sur l'épaule de William qui poussa un énorme soupir. Il n'avait plus vraiment le choix : si ce n'était pas lui qui l'emmenait, ce serait les autres qui l'emmèneraient chez lui. Il se tourna vers la Sylphide, restée derrière eux tout ce temps. Elle le regarda, désorientée. Ce n'était pas la pitié qui l'avait poussé à accepter. Tout ce dont elle avait besoin n'était rien d'autre qu'un peu d'espoir. Il a juste choisi de tendre la main pour lui permettre de faire son premier pas.


Texte publié par EbonyBullet, 10 décembre 2021 à 21h44
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