Notre coup avec “ maman” a fait grand bruit dans les journaux.
Je dois avouer qu’on a apprécié notre célébrité. Ça n’a pas duré longtemps mais on en a profité. On a acheté tous les journaux qui en ont parlé, on a regardé les infos. On n’avait jamais autant suivi l’actualité de toute notre vie. Puis l’affaire s’est tassée, la police n’a pas trouvé grand-chose pour remonter la piste de l’assassin et tout ce qu’elle a pu mettre à jour, c’est que maman s’offrait des amants de temps à autres. On suspectait peut être l’un d’eux.
On n’avait pas eu de mal à ranger et nettoyer. Elle n’avait laissé aucun souvenir de son passage, seul notre appétit souffrait de son absence. On savait qu’il faudrait bientôt penser à lui trouver un successeur.
Nous avons décidé de vivre ensemble. C’était con de payer un appart en plus de la maison. On était suffisamment liés lui et moi pour partager le quotidien et j’ai posé mes valises chez lui.
On a aussi adopté un chat qu’on a appelé Marie. Comme dans les Aristochats. Ou comme notre premier coup d’éclat, au choix.
J’ai réussi à me dégotter un petit travail de serveuse dans un bar à hôtesse à la sortie de la ville, pas très loin de l’AdPrix où on avait recruté puis rejeté maman. Les horaires ne sont pas trop pourris, la clientèle n’est franchement pas très reluisante mais ça me permet de gagner un peu de fric et d’apporter ma pierre à l’édifice de notre couple.
Il arrivait parfois que je rentre plus tard que prévu. Comme ce soir où j’avais été retenue au bar par un client un peu collant. Il aurait bien voulu voir mon cul de plus près. Quand on bosse dans le commerce, faut rester polie alors, je lui expliqué gentiment que ce n’était pas possible. Une fois mon service fini, je m’étais armée d’un balai et cachée dans la ruelle qui longe le bar. J’ai guetté l’arrivée de mon séducteur. Il a fini par sortir, près d’une heure après moi, d’un pas franchement chancelant. Il avait dû craquer sa bourse ce soir et se vider dans le gosier plus de bière qu’il n’était raisonnable. Il s’est arrêté au coin de la ruelle et s’est plié en deux pour gerber une partie de l’alcool ingurgité mêlé à son dernier repas. C’est là que je l’ai cueilli avec le manche du balai. Un bon lattage juste sur le nez, pendant qu’il se vidait l’estomac. Un gros craquement s’est fait entendre, le balai ou son nez, les deux peut être, j’en sais trop rien. Toujours est-il qu’un flot de sang a rapidement conquis le vomi étalé en flaque à ses pieds. J’ai tourné les talons et suis partie en courant. Je n’avais pas été très prudente mais il m’avait fait chier avec ses allusions dégueulasses.
En rentrant, j’ai trouvé Ben tout énervé. J’avais une heure de retard, il pensait qu’il m’était arrivé quelque chose. Je l’ai rassuré, mais j’avais l’impression qu’il y avait autre chose derrière son agitation, il m’arrive de rentrer plus tard et il n’est jamais dans un état pareil. Il mijotait un truc, j’en étais sûre. J’ai fait mon innocente et j’ai commencé à préparer le dîner.
- Non Lapin, On préparera le repas plus tard !
- Ha ? On fait quoi en attendant alors ? Il est tard, j’ai la dalle ! Tu sais bien quand je rentre du boulot, j’ai les crocs !
- Viens voir !
Il m’a attrapée par la main et m’a menée vers la porte de la cave. Je n’osais pas y croire, il aurait ramené une proie ?
Je me suis fait peur en pensant “proie”. C’est donc comme ça que je voyais mes semblables ? Comme des proies ?
- Vas-y, ouvre !
J’ai ouvert la porte avec appréhension De la cave s’échappaient des bruits étouffés. Des cris dans un bâillon ! J’étais excitée de savoir que quelqu’un, là en bas, se débattait, sachant sans doute que la bataille était perdue d’avance mais que l’instinct de survie empêchait de laisser tomber. L’homme continue à espérer, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir comme on dit. L’occupant de la cave allait bientôt comprendre qu’au bout du chemin, il n’y aurait plus ni espoir, ni vie.
J’ai descendu les escaliers, Ben sur les talons. Je sentais bien qu’il était aussi fébrile que moi. On sentait l’électricité dans l’air, comme avant un orage, s’il m’avait touché à ce moment-là, on aurait fait des éclairs, le tonnerre aurait craqué de partout. Arrivée en bas, j’ai vu la bâche étalée par terre et une table métallique qui trônait au milieu du plastique. Sur la table, le gagnant du jour attendait son heure, manifestement très anxieux. Je me suis retournée vers Ben
- T’as trouvé où cette table ?
- A la décharge ! Y’a des gens qui jettent n’importe quoi quand même ! En tout cas, nous, ça va nous être utile. Sur la chaise, j’avais pas trouvé ça super confortable …
Je me suis dit qu’on pourrait sans doute tester autre chose cette fois-ci, tant qu’à faire, autant ne pas se répéter …
Pendant qu’on échangeait, le saucisson s’agitait de plus en plus sur la table, comme s’il espérait vraiment se détacher, un véritable acharné.
- Ça sert à rien de t’agiter hein ! T’es bien attaché, le Duct Tape, c’est du solide !
J’ai ri, Ben a rejoint mon rire.
- Tu l’as ramassé où ?
- Ben justement, c’est lui qui jetait la table métallique. Quand il m’a vu tourner autour, il m’a sauté dessus en m’insultant. J’ai eu du mal à supporter … Monsieur ne voulait pas que quiconque puisse profiter de ses déchets … Pour le coup, il va comprendre qu’elle pouvait encore servir sa table !
Je me suis approchée de lui, Ben l’avait déshabillé. Il était couvert de chair de poule, c’est vrai qu’il fait plutôt frais dans cette cave, mais on s’en moque de toute façon, il n’est pas là pour des vacances.
- Grande gueule et petite bite, t’as vu !
J’ai ri. Il avait raison, mais le froid et la peur n’étaient sans doute pas étrangers à la petitesse de son appareillage.
On tournait tous les deux autour de la table en le regardant sous toutes les coutures. Il tentait de nous suivre du regard mais n’y parvenait pas toujours, sa tête était fermement scotchée à la table et il ne pouvait pas la tourner autant qu’il l’aurait voulu.
- Alors comme ça, tu ne veux pas partager … C’est dommage, Ben et moi, on n’aime pas les égoïstes. On a très envie de les punir, juste pour leur donner une bonne leçon. Tu aimes être puni ?
Il a secoué la tête, enfin, comme il a pu. Pas facile en étant attaché.
- Non ? T’aimes pas trop ça ? Tu veux bien être un vilain petit mouton mais tu ne veux pas recevoir la correction du maquignon ? Malheureusement pour toi, ton avis ne pèse pas dans la balance. Tu as été choisi pour ce que tu représentes. Tu vas servir d’exemple pour tous ceux qui vivent comme toi, qui ne pensent qu’à eux, qui renient jusqu’à la plus petite parcelle d’humanité. Ben, passe-moi une grosse pointe, tu veux ?
Je me sentais en forme. Je n’avais pas complètement épuisé ma hargne en cognant le salaud du bar.
J’ai attrapé ce qu’il m’a tendu et je me suis placée contre le flanc du type allongé. Il s’est raidi d’un coup quand la pointe du clou est entrée en contact avec son bas ventre. J’ai commencé à graver le message que je voulais transmettre à ses semblables.
Lettre à lettre, ma pensée a pris forme “we eat selfish”.
Je ne sais pas trop comment cette inspiration de graver nos revendications a pris jour mais j’aime assez cette forme d’expression. Pour la première, on l’avait écrite après la mort de maman, mais écrire sur de la matière vivante était bien plus excitant. La peau se tend et se relâche sous l’action de la respiration. On perçoit les réactions directes aux pressions qu’on exerce sur la pointe, ça saigne différemment. Le sang qui coule a quelque chose de poétique je trouve. Ça me donne envie de calligraphier ma pensée et pas juste l’écrire en capitales sans âme.
J’avais à peine fini quand Ben a fait vrombir la petite disqueuse. Notre égoïste gigotait, ou plutôt frétillait de plus en plus. Il devait sentir que la fin était proche et qu’elle ne serait pas des plus agréables. Il a réussi à ébranler la table toute entière quand la lame est entrée en contact avec son torse, ce dernier effort a eu raison de sa résistance, à moins que ce ne soit la douleur. Ben a terminé sa découpe. Il avait ouvert la poitrine de la base du cou à l’estomac environ. Il y avait beaucoup de projections de sang mais la cave avait été bien débarrassée et des bâches protégeaient tout. On devrait pouvoir nettoyer sans trop de soucis. Il a attrapé une sorte de cric et a placé les deux écarteurs dans la plaie qu’il venait de créer. Il serra le pas de vis pour les espacer. La cage thoracique, soumise à rude épreuve a émis un craquement assez rebutant et a fini par céder sous la force des mâchoires métalliques. Le cœur, dégagé des côtes était encore palpitant quand je l’ai prélevé, sectionnant les réseaux artériel et veineux après les avoir ligaturés pour éviter de mettre du sang partout.
A la place du muscle, Ben a glissé une calculatrice. Cet homme avait un tiroir-caisse à la place du cœur, sa vraie nature était mieux respectée ainsi.
On est remontés préparer le repas du soir et rédiger un petit courrier pour le journaliste qui a découvert notre première œuvre. Il n’est pas au bout de ses peines, on finira par l’empêcher de dormir avec nos courriers.
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