L’affaire avait fait la une de plusieurs quotidiens.

L’histoire a ému plus d’une ménagère de moins de 50 ans et les marques de sympathies ont afflué en nombre.

Le jour de l’enterrement du couple Georges, c’est comme si la ville et celles des alentours s’étaient donné rendez-vous au cimetière. Tous voulaient soutenir la pauvre orpheline et la voir pleurer la perte de ses parents. Il s’en était même trouvé pour blâmer Line d’avoir oublié d’éteindre la friteuse - cela arrivait parfois avais-je assuré aux agents venus effectuer des relevés pour l’enquête.

J’avais eu une chance folle de m’en sortir si bien, une légère intoxication au CO2. Deux jours sous tente à oxygène et après tout était rentré dans l’ordre … Enfin, si on veut, j’étais orpheline pour la deuxième fois. Il fallait que je manifeste ma très grande peine face à cette perte affreuse que la fatalité venait de me faire subir à nouveau. J’ai donc pleuré tant et plus, rien de bien compliqué quand on a passé plus de deux heures dans les fumées d’un incendie. Les yeux pleurent tous seuls pour les mois à venir. Je n’avais pas vraiment besoin de me faire violence pour laisser couler les larmes de mes yeux irrités. De la maison, on n’a pas pu récupérer grand-chose. Quelques effets personnels sans grand intérêt et une seule et unique photo, assez drôle quand on connait l’histoire de ce tragique accident. Sur cette photo, où Line et Paul m’encadrent, les côtés sont brûlés et racornis. Exactement comme mes parents à l’heure actuelle, seule mon image est intacte, à peine roussie par les langues de feu qui sont passées par là.

J’ai eu droit à tous les égards et à toute la compassion des adultes que j’ai croisés durant cette période. Les flics n’ont pas poussé l’enquête, mon histoire de friteuse qui restait parfois allumée leur a suffi. On m’a aidée, soutenue, portée dans mes démarches. On m’a même proposé des services gratuitement, comme par exemple le directeur des pompes funèbres qui ne voulait pas que je paie son intervention. Cela m’aurait obligé à prélever sur les assurances vie et “Tu en auras besoin, petite” m’avait-il dit d’une voix un peu tremblante ou encore le notaire qui a refusé de prélever ses honoraires pour les mêmes raisons.

La vie s’annonçait belle, j’étais enfin seule et j’allais enfin pouvoir vivre pour moi, sans me plier aux règles débiles de Line et Paul.

Toute cette liberté me tournait presque la tête et une sorte de vertige m’étreignait toute entière. Je m’avançais fièrement vers mon émancipation, depuis le temps que je l’espérais, je n’allais pas lui tourner le dos dès qu’elle pointait le bout de son nez !