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tome 1, Chapitre 11 « Dérapage » tome 1, Chapitre 11

- Lucie, viens ici tu veux ?

Lucie, il m’a appelée Lucie ?

Du plus loin que je me rappelle, jamais il ne m’avait appelée Lucie. Ça n’augurait rien de bon.

- Oui oui, je termine mon devoir et j’arrive

- Non, Lulu, tu viens maintenant !

Le contraste Lulu et ton ferme ne m’a pas plu davantage. J’ai grommelé un truc vague et je suis descendue voir ce qu’il me voulait.

- On peut savoir ce que tu as fait en rentrant de l’école hier ? Line m’a dit que tu es arrivée tard !

- J’étais un peu en retard oui. J’étais partie voir ma collection d’insectes au chalet et …

- Et tu as besoin de la brouette pour les insectes ?

- La brouette ? Mais …

- Mais quoi ? Tu l’as prise oui ou non ?

Je ne savais que répondre. Comment expliquer que j’avais utilisé la brouette ? Quelle raison je pourrais invoquer pour expliquer cet emprunt ? D’un autre côté, si je mentais, il voudrait savoir pourquoi également, j’étais coincée.

- Je… Non, je l’ai juste déplacée. Je voulais attraper les gants de jardinage sur l’étagère derrière et je ne pouvais pas y arriver avec la brouette

- Et tu ne pouvais pas la ranger ensuite ? Et d’ailleurs, les gants ne sont pas revenus eux non plus ? Tu sais que je déteste que tu touches à mes outils de jardinage. Tu as ton chalet, tes outils, je ne veux pas que tu empruntes les miens, sans permission en plus !

J’ai oublié les gants. Pire encore, je ne les ai pas nettoyés et je les ai laissés dans le chalet !

- Oui Paul, désolée, je m’en souviendrai une prochaine fois.

J’espérais noyer le poisson comme ça, en faisant profil bas et en m’esquivant en douceur.

- Tu sais ce qui m’ennuie le plus dans cette histoire ?

- Non…

- Les gants, je les ai retrouvés, dans ton chalet … Ils sont tachés de sang, une explication ?

- Du sang, je … non … Je ne sais pas. Je m’en suis servie pour déterrer des plantes dans le bois et …

- Déterrer des plantes ? Ben voyons ! Tu n’aurais pas plutôt enterré quelque chose ?

J’ai pâli d’un coup.

Je ne parvenais pas à imaginer comment me sortir de là. Qu’est-ce qu’il pouvait savoir ou imaginer de ce que j’ai fait hier ? Est ce qu’il a fouillé le chalet entièrement? Est ce qu’il a trouvé autre chose ? Est-ce que j’ai bien caché ce qui aurait pu le mettre sur la voie de mes expériences ? J’ai préféré jouer l’innocente.

- Je ne vois pas de quoi tu parles Paul, vraiment je …

- Ne me prend pas pour un idiot Lucie ! Regardes ce que nous avons trouvé dans la boite aux lettres en rentrant hier.

Il m’a tendu une feuille froissée couverte d’une écriture menue. Des mots presque calligraphiés, un peu tremblotants. Sans doute tracés par une personne d’un certain âge.

“Monsieur,

Je me permets de vous signaler que votre fille, Lucie est un monstre ! Je l’ai vue kidnapper trois de mes chats et ils ne sont jamais revenus ! Elle les enferme dans le cabanon derrière chez vous et elle les torture ! Je les ai entendus miauler de désespoir. J’ai visité le cabanon et j’ai découvert les preuves de ce que j’avance. Comme vous n’êtes pas chez vous pour en parler, je vais aller prévenir la police des méfaits de votre fille. J’espère que vous prendrez les mesures qui s’imposent et que vous la punirez aussi sévèrement que possible pour lui faire passer l’envie d’être cruelle envers de pauvres animaux sans défense !

Cordialement,

Laurène Tellier”

Suivait une signature illisible, frémissante de rage.

J’ai relevé la tête et j’ai croisé le regard de Paul. Je me sentais livide, il devait voir sur mon visage toute la culpabilité qui s’y étalait.

- Alors ?

- Je ne sais pas de quoi elle parle, je l’ai souvent aidée à chercher ses chats et …

- Et tu sais très bien ce que tu as fait, j’ai été voir le cabanon. C’est nettoyé en gros mais ça ne m’a pas empêché de trouver des touffes de poils et du sang sur l’établi ! Lucie, c’est vrai qu’elle nous ennuie avec ses chats. C’est vrai que tout le monde en a marre de les entendre miauler à longueur de journée, de supporter les crottes et les odeurs mais ce n’est sûrement pas une raison pour les tuer ! Comment peux-tu faire le ménage de la sorte ? C’est mal Lucie ! Elle les aime ses chats ! C’est son dernier rempart contre la solitude, on n’a pas le droit de les supprimer ! On va réfléchir à une punition adaptée à ce que tu as fait ! Ce n’est même pas une bêtise, c’est un crime ! Je ne peux pas supporter l’idée que tu aies pu faire une chose aussi affreuse ! Je n’ai pas de mots pour dire combien je suis fâché après toi ! File dans ta chambre, tu es privée de sortie, de télé et de console jusqu’à nouvel ordre !

J’ai tourné les talons et me suis dirigée vers ma chambre quand Line est rentrée du travail, livide. Elle a soufflé :

- Ils viennent de retrouver Madame Tellier dans les bois. Elle est morte !

Paul a tourné la tête dans ma direction. Son visage avait perdu toute couleur. J’ai compris qu’il avait instantanément relié la brouette, la lettre, le chat crevé et le corps refroidi dans le bois derrière. Il a balbutié quelques mots mais je n’ai entendu que des gargouillis indistincts. Il s’est redressé et s’est approché de moi, le regard dur et déterminé. Sa main s’est levée au-dessus de sa tête, il allait me frapper.

Dans un réflexe de survie, j’ai attrapé un couteau d’office posé sur le plan de travail et j’ai lancé le poing vers lui en fermant les yeux de toutes mes forces. Un bruit un peu mou s’est fait entendre, quelque chose de vaguement écœurant. Line a hurlé mon prénom, ce qui m’a ramenée à la réalité. J’ai ouvert les yeux, juste à temps pour voir le corps de Paul glisser au sol. Le manche du couteau dépassait du côté de son cou. Ça ne saignait pas, juste une petite lune rouge qui s’étalait à la base de la lame. On la devinait à peine au-dessus du col de la chemise. Je me suis retournée vers Line qui hésitait entre se ruer vers son mari pour le secourir et m’éviter à tout prix. Mes pensées tournaient à plein régime, j’étais littéralement en ébullition. J’ai cru que j’allais exploser. Mes yeux se sont posés sur le balai rangé dans le recoin derrière la porte et j’ai bondi dessus pour l’attraper. Line regardait toujours Paul avec stupeur, elle était comme pétrifiée devant le corps inanimé. Je me suis retournée à toute vitesse et j’ai balancé la brosse de toutes mes forces sur la nuque de Line. Elle s’est affalée, face contre terre et j’ai enfin pu respirer. Et réfléchir.

J’étais salement dans la merde.

J’ai tué la vieille Tellier et j’ai balancé son corps dans le bois derrière.

Paul a reniflé l’histoire et je l’ai planté avec un couteau de cuisine, puis j’ai frappé Line.

Vraiment, ça pue ! Comment je vais expliquer tout ça ?

Je ne sais pas quoi faire, appeler la police ? Risquer la prison ?

J’avoue avoir failli céder à la panique mais je me suis reprise à temps. D’abord, vérifier l’état des vieux, aviser ensuite. En approchant Paul, j’ai tout de suite vu que ça n’allait pas fort. D’accord, y’avait pas beaucoup de sang, on était loin de la boucherie mais il était malgré tout absolument mort.

Quelle conne !!

Deux assassinats en deux jours, je fais fort !

Le coup d’œil jeté à Line ne m’a pas rassurée. Trois morts !

Je me suis appuyée dos au mur et me suis laissée glisser, posant les fesses sur les talons.

J’avais besoin de réfléchir.

J’avais besoin de me reposer.

J’avais besoin de faire le vide et d’oublier les deux jours qui venaient de s’écouler.

Une vague de lassitude s’est abattue sur moi.

Ils sont morts, je devrais être soulagée. Pourtant, je me sens comme perdue dans un océan déchaîné, les rouleaux s’acharnent sur moi et je ne suis plus qu’un jouet, tourneboulé au gré des courants marins puissants.

J’ai fermé les yeux.

Je cours à toute vitesse, quelqu’un, ou quelque chose, me poursuit.

L’air me manque, je vais bientôt capituler, me laisser attraper, sombrer. Une lueur mouvante m’enveloppe petit à petit et une odeur chaude envahi mes poumons. Ma course se ralenti, la fin est proche. J’entends un souffle rauque près de mon oreille, une main glacée saisi mon épaule droite. Dans un ultime élan de survie, un sursaut m’étreint et ébranle mon corps tout entier.

J’ouvre les yeux, le souffle court.

Un rêve !

Je suis sans doute toujours en train de rêver, l’odeur chaude est toujours aussi présente et je ne reconnais pas ma chambre.

Aussitôt, les souvenirs affluent.

Paul, la discussion, la dispute, les coups, je l’ai tué ! Et cette odeur …Ça pue vraiment, une odeur âcre, un truc qui brûle quelque part. J’ai cherché d’où ça pouvait venir. La friteuse fonctionnait. De sous le couvercle sortait une fumée dense, parfois, une petite flamme s’en échappait.

J’ai réfléchi à toute vitesse. La friteuse pouvait me tirer de ce mauvais pas. Un incendie nettoierait bien plus sûrement qu’autre chose la scène du crime. Je me suis levée et dirigée vers Paul. Je l’ai attrapé sous les aisselles et l’ai tiré de toutes mes forces. Il fallait que je l’emmène dans sa chambre. Je l’ai hissé sur le lit, soufflant tout l’air de mes poumons. Le stress et la précipitation décuplaient mes forces de manière impressionnante mais cela n’empêchait pas le feu de l’effort envahir ma trachée. J’ai retiré le manche du couteau planté dans son cou et je suis retournée en toute hâte chercher Line. Même trajet avec elle, je l’ai emmenée jusqu’au lit. Je l’ai allongée à côté de Paul et j’ai recouvert leur corps de la couette. Unis jusque dans la mort, n’importe quel couple d’amoureux fleur bleue aurait été ravi d’une si belle fin ! Je me sentais magnanime, presque héroïque de les unir ainsi. L’odeur et la fumée se faisaient de plus en plus denses et bientôt, il ne serait plus possible de rester en bas sans en être incommodé. Heureusement ma chambre est à l’étage, je devrais pouvoir m’en sortir de manière crédible.

Pour Line et Paul, malheureusement, cet incendie serait fatal.

Je suis sortie de la pièce, non sans un dernier regard pour ceux qui avaient espéré être mes parents puis je me suis dirigée vers les escaliers. Arrivée à mi-chemin, j’ai été prise d’une inspiration subite. J’ai ressorti le couteau d’office que j’avais glissé dans la poche arrière de mon jean et je suis redescendue. Des flammes s’échappaient maintenant de la friteuse et venaient lécher le bas de la hotte. Le feu entamait son œuvre, il allait bientôt tout nettoyer. Il m’offrirait ma liberté par la même occasion.

Je suis retournée dans la chambre des parents. Je leur ai à peine jeté un coup d’œil, ce que je voulais, c’était leur prélever un petit morceau. Je ne voulais pas les abandonner ainsi, j’acceptais enfin quelque chose d’eux. J’ai soulevé légèrement la couette et j’ai taillé dans le biceps de Paul, juste une petite portion, à peine une bouchée. J’ai contourné le lit pour approcher de Line, et c’est sur sa cuisse que j’ai prélevé ma dîme.

De retour dans la cuisine, j’ai pris le temps de rincer le couteau et de le glisser avec la vaisselle sale dans le lave-vaisselle. Je suis ensuite montée à l’étage lentement, en tenant précieusement mes deux petites bouchées de parents.

Je les ai goûtés.

L’un après l’autre après avoir refermé la porte de ma chambre, ignorant pour quelques temps encore les ravages du feu qui sévissait en bas. Je ne peux pas dire que cela fût une grande expérience gustative mais tous mes sens se sont éveillés dès que cette viande est entrée en contact avec mon palais. Je pensais être révulsée par le goût et la texture mais la curiosité a dépassé cette aversion. J’ai presque apprécié ce moment de dégustation, la texture fibreuse de la viande était nouvelle et agréable.

Dans ma tête, tout se déchaînait, mon éducation ne me destinait pas à ce genre d’actes et pourtant, j’étais bien obligée d’admettre que j’en ressentais un certain plaisir. Je me sentais coupable mais je jouissais de cette culpabilité, j’étais peut être réellement mauvaise après tout.

Et puis après ! Rien à foutre des contenances ! On avait dépassé le stade du permis/interdit.


Texte publié par Sabyne, 8 mai 2014 à 14h45
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