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tome 1, Chapitre 10 « La Tellier » tome 1, Chapitre 10

J’ai attrapé Dudulle la semaine passée et je m’en occupe avec application.

J’ai organisé le petit chalet au fond du jardin que Paul avait construit pour moi quand j’étais petite. Il avait été installé pour me servir de petite maison, avec table, dînette, petite cuisinière factice et même un véritable point d’eau. Du beau boulot. Quand Paul avait une idée en tête, il ne lésinait pas.

Je ne m’en servais plus depuis un moment mais l’an dernier, j’ai demandé à ce qu’on la remette en état tous les deux. J’avais envie de m’en servir de “petit appartement”. Un peu comme une annexe à ma chambre, pour faire mes devoirs, inviter des copines de temps en temps. On avait ajouté des lits pliants et on pouvait camper à deux là-dedans sans trop de problème.

En réalité, ce chalet était devenu mon laboratoire personnel. J’avais commencé par entamer une collection d’insectes capturés par mes soins. Je testais leur résistance, leur adaptabilité et je me posais des tas de questions. Combien de temps une mouche peut vivre sans ailes ? Une araignée peut-elle se démerder avec seulement 3 pattes ? Si on enferme une guêpe et un papillon ensemble, il se passe quoi ? Je notais mes observations dans des carnets qui commençaient à s’entasser dans une petite malle. Les insectes se sont rapidement avérés peu captivants, ce qui m’intéressait, c’était de pouvoir mesurer la souffrance du sujet. Le vocabulaire et l’expression d’une mouche étant relativement limités, ça a vite cessé d’être drôle.

J’ai alors commencé à disposer des pièges à souris dans le petit bois. En parallèle, j’ai demandé à Paul de m’aider à installer un petit établi dans mon chalet. Je lui ai dit vouloir bricoler des nichoirs pour les oiseaux du jardin. J’ai effectivement construit quelques nichoirs que j’agrémentais de porte à guillotine pour capturer les volatiles aussi.

Discrètement, je ramenais mes prises au chalet et j’entamais des tests.

Je me sentais un peu comme Sophie dans le livre de la Comtesse de Ségur. Couper et saler des petits poissons, c’était une démarche scientifique pour elle. Même si cela avait été interprété comme de la cruauté par les adultes, elle avait vraiment voulu faire une simple expérience. Ça avait certes bien mal tourné pour les poissons …

Moi aussi, j’ai essayé de tas de choses sur mes cobayes. Je coupais des membres, j’écartelais, je tailladais, la vue du sang agissait comme un calmant. Ca apaisait mes pulsions. Quand Line me faisait vraiment trop chier, je venais au chalet disséquer une grenouille ou arracher les plumes d’un oiseau sans le tuer au préalable. Un merle, on peut presque entièrement le plumer avant qu’il ne meure, sa résistance est tout simplement épatante. Les rongeurs sont moins tenaces. Ils sont tellement stressés qu’ils meurent d’une crise cardiaque avant qu’on n’ait pu vraiment s’amuser et entrer dans le vif du sujet. Sans grand intérêt.

Même si c’était mieux que les insectes, je suis arrivée à cours d’idée pour de nouvelles expériences. Il fallait que je trouve d’autres cobayes et c’est tout naturellement que je me suis tournée vers les chats de la vieille Tellier. Ils étaient malheureux après tout, mal nourris, galeux, pouilleux, souvent en mauvais état.

Il n’y avait vraiment que la vieille pour tenir à leur existence.

J’en ai déjà kidnappé trois mais je les ai gaspillés. Les séances de torture sont sans doute trop douloureuses et surtout pas assez progressive. Du coup, ils meurent trop vite, sans que je puisse en tirer aucune satisfaction.

Pour Dudulle, j’ai mieux géré.

D’abord, je connais son nom, j’ai déjà aidé la vieille Tellier à le chercher deux ou trois fois, ça fait de nous de vieilles connaissances. Ensuite, j’ai commencé par être sympa, je l’ai laissé en liberté dans le chalet et je lui ramenais de la nourriture. Line se demandait pourquoi le jambon disparaissait, si elle avait su ! Quand il a été bien habitué, j’ai décidé de le stresser un peu. J’ai intégralement fermé et occulté un bac à litière avec couvercle. Je l’ai rempli de litière propre et j’ai ajouté quelques morceaux du dernier de ses copains dont je m’étais occupée. Ça faisait quelques jours qu’il était mort et ça renardait pas mal. J’ai jeté Dudulle avec les bouts de macchabée et j’ai scellé la boite un matin avant d’aller à l’école.

Je l’en ai sorti le soir en rentrant et je l’ai câliné comme si de rien n’était. Il avait l’air secoué et son comportement était bizarre, il cherchait la sortie du chalet et ne me laissait pas l’approcher. Quand je lui ai tendu ses croquettes, il a refusé d’y toucher. Je l’ai emmailloté dans une serviette et je l’ai gavé comme une oie, prenant soin de lui enfoncer chaque croquette dans le gosier avec le doigt.

Le lendemain, je suis passée aux sévices corporels.

J’ai fabriqué un petit chevalet de torture rudimentaire. Deux tasseaux, quelques clous et l’affaire était faite. J’ai sanglé l’animal dessus, ses yeux roulaient dans ses orbites, comme fous. Il a tenté de me griffer mais j’ai vu le coup venir et j’ai évité sa patte, il n’a pas eu plus de chance avec les dents. J’ai pris le soin de fixer son cou au bois, les dents des chats, c’est bien connu, c’est plein de bactéries. En plus, j’aurais du mal à expliquer à Line d’où venait la morsure.

Il s’est mis à feuler et j’ai compris qu’il fallait prévoir un bâillon. Je lui ai enfoncé dans la gueule un mouchoir en papier roulé en boule. Comme cette sale bête avait essayé de me griffer, j’ai pensé que commencer par une ablation s’imposait. J’ai attrapé une pince et une par une, je lui ai arraché toutes les griffes. Une goutte de sang venait remplacer l’ongle prélevé. Il se débattait dans tous les sens mais je l’avais bien attaché et il n’avait aucune chance de s’échapper, bien au contraire. Il a fini par arrêter de gesticuler, le lien du cou l’étranglait quand il se secouait trop fort. Une fois mon travail fini, je l’ai laissé sur place et j’ai été déjeuner.

Line avait préparé un bon steak de chez le boucher.

Je suis revenue au chalet avec du paracétamol chipé dans la pharmacie. La douleur constituait sans doute un facteur précipitant le décès de mes sujets d’étude. Dudulle a eu sa dose de sirop parfum fraise, il a recraché la moitié et s’en est collé partout dans la fourrure mais ça devrait lui permettre de tenir plus longtemps malgré tout. Je devais aussi régler le problème des miaulements. Le laisser bâillonner des heures durant me paraissait risqué. Je lui ai filé un quart de comprimé de Vallium, ça devrait le sédater suffisamment pour qu’il ne soit plus trop capable de s’égosiller sans l’assommer. Je voulais qu’il profite de la compagnie du copain en morceaux disposé dans sa caisse.

J’ai remis le bâillon en place pendant une bonne demi-heure, le temps que le médicament fasse effet. J’ai ensuite enfermé le chat dans la caisse que j’ai scellée et je suis rentrée à la maison.

Au retour de l’école le lendemain, j’ai eu la désagréable surprise de tomber sur la vieille Tellier qui sonnait à la porte comme une damnée.

J’ai soupiré, pensant qu’elle avait encore perdu un de ses protégés et qu’il allait falloir l’aider à chercher. Dans la mesure où je sais que les disparus ne sont plus en état d’être retrouvés, ça me saoulait de l’aider dans ses recherches. Je me suis résignée à l’approcher, limitant mentalement le temps de la battue à une demi-heure maxi.

- Madame Tellier ?

- Qui ? Que ? Vous !!! Comment osez-vous m’adresser la parole ?

Elle avait l’air enragé, pour un peu, elle m’aurait fait penser à Dudulle pendant que je lui arrachais les griffes …

- Un problème Madame Tellier ? Je peux vous aider peut être ?

J’avais mis le plus de sollicitude possible dans ma voix, il me fallait l’amadouer rapidement.

- M’aider ? Mais bien sûr ! En assassinant mes pauvres petits cœurs ? Vous êtes un monstre Lucie, un monstre ! Croyez-vous pouvoir agir ainsi sans que personne ne le sache ? Vous pensez que je n’ai pas compris votre petit jeu ? Je vous ai suivi, je vous ai vu, vous les avez tuéééééééééés.

Sa voix s’est cassée dans un énorme sanglot qui a secoué tout son corps. Si je n’avais pas été aussi ennuyée par la situation, j’aurais pu être impressionnée par le mugissement qu’elle avait poussé.

J’ai jeté un œil à gauche et à droite, personne. Les rideaux de la commère d’à côté étaient tirés et Dieu merci, sa voiture, n’était pas dans l’allée. Elle devait être sortie. J’ai posé la main sur l’épaule de la Tellier, il fallait que je la calme vite fait, avant qu’elle n’ameute le quartier.

- Madame Tellier, je ne comprends rien à ce que vous dites, je ne ferais de mal à aucunes de vos petites boules de poils. Réfléchissez au nombre de fois où je vous ai aidé à les chercher, je serais incapable de ..

- Monstrueuse, vous êtes monstrueuse, j’ai vu Dudulle dans cette horrible caisse, abandonné dans le chalet ! Je l’ai vu !! Je voulais prévenir cette pauvre Line et alerter la police pour vous dénoncer !

Je réfléchissais à toute vitesse, elle l’a vu ? Elle m’a suivi ? Je n’ai rien remarqué et je suis sûre d’avoir été discrète pourtant … Je ne comprends plus rien. En tout cas, il faut agir, elle fait trop de bruit et d’ici une grosse heure, Line sera rentrée du travail. Elle pourrait alors me demander d’ouvrir le chalet et je n’ai pas envie qu’elle aille visiter mon musée personnel …

- Venez me montrer où vous l’avez vu Madame Tellier, je ne sais pas de quoi vous parler mais je vais vous aider. Nous trouverons bien qui a fait du mal à Dudulle et surtout pourquoi on l’aurait enfermé dans mon chalet !

Je l’ai tirée par le bras pour la forcer à me suivre. Elle m’a jeté un regard affolé mais le masque de compassion que j’avais réussi à afficher sur mon visage a semblé la rassurer.

- Allez Madame Tellier, venez, on va voir ça toutes les deux.

En la tirant à ma suite, j’ai contrôlé à nouveau les rideaux de la commère et la présence d’éventuels témoins dans la rue. Tout était calme, je me préparais à passer à une nouvelle sorte de cobaye.

Le cadenas du chalet avait été forcé, qui aurait cru que cette vieille bique aurait osé s’attaquer à la propriété d’autrui ?

- Vous avez raison, regardez, la porte a été forcée, quelqu’un est entré ici sans y être invité en effet...

- Le cadenas, c’est moi, je savais qu’il était là ! Je l’ai entendu, il gémissait le pauvre ! Et avec raison, vous l’avez torturé, vous êtes une abomination ! C’est pas étonnant qu’on ait préféré vous abandonner ! Au lieu de vous laisser vivre, votre mère aurait dû vous recouvrir après vous avoir chié !

J’ai accusé le coup. Ses paroles m’ont fait l’effet d’une gifle, j’en avais le souffle coupé. Elle ne perdait rien pour attendre, sans le savoir, elle venait de signer sa perte.

- Mais je n’ai rien fait du tout et arrêtez de m’insulter de la sorte, vous n’en avez pas le droit !

- Il est dans votre chalet, c’est vous qui avez ..”

- Mais vous voyez bien que tout le monde peut y entrer dans ce chalet. Même vous ! Une petite vieille quasi grabataire qui a réussi à forcer le cadenas !”

Elle a paru réfléchir et elle m’a regardée avec intensité puis a tourné la tête, les yeux perdus dans ses pensées. J’en ai profité pour la pousser de toutes mes forces dans l’embrasure de la porte. Son corps est allé heurter mon établi et elle a perdu l’équilibre. Un petit cri lui a échappé, heureusement discret, personne n’avait dû l’entendre. Avant qu’elle ait pu parler ou même se relever, je me suis ruée sur elle. Je lui ai enfoncé dans la bouche un vieux torchon qui traînait là pour l’empêcher de couiner comme la vieille truie qu’elle était. Elle me regardait, l’air halluciné, tellement sonnée par sa chute et la surprise qu’elle semblait paralysée. J’ai attrapé le chat qu’elle avait sorti de sa caisse, il ne semblait pas très en forme lui non plus. Les extrémités des pattes étaient toutes enflées, sans doute infectées après l’opération d’hier. Je l’ai saisi par la peau du dos et je l’ai jeté de toutes mes forces au sol. Sa tête s’est écrasée contre le bois dur du plancher en faisant un bruit des plus réjouissants. Un filet de sang s’est échappé de la gueule et des oreilles, son calvaire avait cessé.

La vieille Tellier n’en avait pas perdu une miette. Le traumatisme a été tellement important qu’elle a préféré raccrocher là. Elle s’est affaissée au sol. Elle ressemblait étrangement à une poupée de chiffon trop grande et mal habillée. J’ai réfléchis à toute vitesse à la situation. Fallait que je trouve une solution. Un truc rapide et discret pour me débarrasser du corps. Je n’ai jamais commis d’homicide. Ça ne me gêne pas particulièrement mais c’est encombrant à faire disparaître un corps humain. Ça tombe mal qu’elle ait découvert le pot aux roses cette vieille bique ! Je me suis approchée de son corps inerte, réfléchissant à la manière la plus sûre de la tuer rapidement et proprement quand une odeur désagréable a empli la pièce. Elle était en train de se vider, cette saleté ! En plus de sa carcasse, il allait falloir que je nettoie ses cochonneries, je pestais comme une folle. Je l’observais en cogitant à toute allure quand j’ai constaté qu’elle ne respirait plus. J’ai approché la main de son nez et aucun souffle n’en sortait. J’ai regardé avec attention son cou et plus aucun battement de cœur n’agitait son aorte. J’ai souri, ainsi cette vieille garce m’ôtait une épine du pied. Elle avait préféré se charger de sa mort toute seule, le cœur avait lâché sans doute. J’avais déjà lu quelque part qu’il était possible de mourir de peur quand un évènement dépasse ce qu’on peut supporter. Le corps se court-circuite tout seul, incapable de continuer plus loin.

J’ai regardé ma montre. Il me restait une petite heure avant que Line n’arrive. Je suis sortie de cabanon. J’avais besoin de la brouette et des gants de jardinage de Paul.

Je devais déplacer le corps tout de suite. J’avais vu dans les séries policières que très vite, le corps se couvre de taches indiquant aux enquêteurs la position dans laquelle la personne avait trouvé la mort. Si j’attendais trop, on verrait bien qu’il avait été déplacé. Puis, je n’avais pas envie que la mort de la vieille Tellier ait l’air suspecte, il fallait que ça ait l’air naturel. De toute façon, j’étais sûre qu’une autopsie viendrait constater le raté cardiaque, ça n’irait sans doute pas plus loin. J’ai minutieusement examiné comment elle était posée au sol, il fallait que je sois capable de la redisposer de la même façon, toujours à cause de ces fameuses taches post mortem. Je l’ai hissée dans la brouette et je me suis engagée dans le bois. Une vraie bénédiction pour le camouflage de cadavre celui-là ! Je devais tout de même être vigilante, pas mal de monde s’y promenait mais on était en semaine et les voisins n’étaient pas encore rentrés du travail. J’ai foncé à travers les arbres en poussant mon macabre chargement. Je l’ai déposée en bordure d’un chemin balisé, l’idée était de faire croire à une promenade qui s’est mal terminée. Une ultime balade fatale pour le cœur usé de la vieille Tellier. J’étais sûre que personne ne la regretterait, elle ennuyait tout le monde avec ses chats. Elle morte, les nuisances liées à ses petits camarades poilus cesseraient également.

Après avoir arrangé le corps au mieux, je suis retournée vers le chalet. J’avais encore ce fichu Dudulle à faire disparaître, ainsi que les restes du précédent macchabée. Je devais aussi bazarder la caisse ou du moins, la recycler pour qu’elle n’éveille pas les soupçons. Comme j’étais crevée de ma petite virée dans les bois, j’ai décidé que les bestioles n’auraient d’autre tombe que la poubelle, les éboueurs devaient passer ce soir, ça résolvait mon problème.

J’ai fait un peu de ménage rapide pour que le chalet soit relativement en ordre et j’ai empoigné le sac dans lequel j’avais glissé les chats. J’avais bien géré mon coup, c’était plutôt encourageant.

Je me suis dirigée vers les containers en bas de la rue et j’ai largué mon paquet. J’ai tourné les talons pour rentrer à la maison en sifflotant quand j’ai croisé le camion poubelle. Un gars se tenait à l’arrière du camion, en équilibre sur le marchepied. Un débardeur soulignait ses muscles et pendant une seconde, j’en ai eu le souffle coupé. J’ai presque eu du mal à reprendre contenance.


Texte publié par Sabyne, 7 mai 2014 à 22h51
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