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tome 1, Chapitre 5 « Psychologie de base » tome 1, Chapitre 5

Line a tenu parole et a fini par appeler une psychologue, Madame Pelti.

Je me suis retrouvée un mercredi dans son cabinet. Une grande pièce lumineuse aux murs tapissés de dessins d’enfants plus ou moins réussis. Des jouets encombraient le sol, disposés devant le grand bureau de bois.

Elle a patiemment écouté ce que Line avait sur le cœur. Elle a pris un air neutre et concentré, hochant la tête de temps à autres, notant parfois un commentaire au fil du discours qui était déballé. Je l’ai regardée attentivement, son attitude était claire comme de l’eau de roche. Je me croyais au théâtre, je pouvais presque prévoir ses mimiques ou ses gestes avant qu’elle ne les exécute.

Line, de son côté ne semblait rien percevoir.

Elle pensait parler de moi, mais elle vidait ses valises, elle se délestait de ses propres paquets. Son désespoir de ne pouvoir être mère, sa déception devant les résultats des examens qu’elle avait dû passer, l’humiliation des piqûres d’hormones, des inséminations. La tristesse des ratés, l’horreur des fausses-couches. Cette impression d’être un quartier de viande livré en pâture aux nouvelles technologies médicales. Tout y est passé.

Elle en avait gros sur la patate et aurait mieux fait de s’offrir le psy à elle, il y avait peut-être encore quelque chose à sauver la concernant.

Une fois le grand déballage fini, la psy a gentiment poussé vers la salle d’attente la pauvre Line décomposée, les yeux gonflés et le nez rouge. Elle voulait me voir seule, pour évaluer mes besoins propres en matière de béquille psychologique.

Nous avons tout d’abord parlé de l’orphelinat.

Des copines que j’avais laissées derrière, de la vieille Redaingotte et aussi de Marie, une aide puéricultrice qui m’avait prise sous son aile. Elle avait tenté à une époque de m’adopter mais cela s’était avéré impossible. Il semblerait que le personnel encadrant n’ait pas ce droit … Encore une bizarrerie administrative, comme on en voit souvent.

C’est dommage parce que je l’aimais bien Marie. Je parvenais à accepter les gestes amicaux, voire tendres et les mots doux de sa part. Je suis sûre que j’aurais aimé écouter une histoire, assise sur ses genoux. Rassurée de savoir que le soir venu, elle me borderait dans mon lit, qui aurait été situé quelque part dans une pièce de sa maison. Une chambre qu’elle aurait spécialement aménagée pour moi. Mais, ça ne sert à rien de ressasser, cela n’a pas pu se faire, j’avoue avoir été déçue. Marie m’avait tenu au courant de sa démarche et de son échec. J’étais petite, 5 ans, mais j’avais bien compris l’enjeu de ce qui se tramait et je savais qu’au fond de mon cœur, il y avait une petite graine d’amour à lui donner.

Il a ensuite fallu que je raconte mes relations avec les autres enfants. Est ce qu’ils étaient gentils ? Est ce qu’on s’entendait bien ? Avais-je été sujette aux moqueries, à des violences peut être de la part des autres ?

Je trouvais ça tellement simpliste et réducteur !

Les adultes pensent souvent que nous, les enfants, on ne comprend pas grand-chose. On nous dit des demies-vérités, on nous sourit avec des airs entendus, on nous regarde avec bienveillance. Rares sont ceux qui sont capables de nous considérer avec sérieux. Mais que croient-ils ? Que le fait d’être jeunes nous empêche d’accéder à la connaissance et à la compréhension ? Qu’on n’est pas capables de lire entre les lignes ? Alors que c’est tout le contraire, les enfants lisent en vous, les adultes, comme dans des livres ouverts. Vos moindres souffrances, on les devine immédiatement. Votre plus petit froncement de sourcil est disséqué et analysé dans la seconde, tous leurs actes sont en réactions aux vôtres.

Comme une fille disciplinée, j’ai répondu patiemment aux questions. De temps à autres, un soupir d’exaspération m’échappait quand je sentais qu’on tournait en rond. Je savais que rien de très intéressant ne sortirait de ce rendez-vous.

J’ai commencé à être intéressée quand elle m’a montré des images et m’a demandé à quoi elles me faisaient penser. J’ai enfin eu l’impression qu’elle grattait un peu plus mon vernis social pour tenter de voir ce qu’il y avait dessous. J’ai tenté de donner les réponses que j’estimais satisfaisantes pour un adulte, même si cela allait carrément à l’encontre de ce que je pensais vraiment.

Elle a terminé en me demandant si j’aimais Line et Paul. La question à dix mille points était enfin posée ! J’ai été presque honnête en répondant qu’ils me laissaient indifférente. J’aurais pu aller au fond de ma pensée et ajouter qu’ils me rendaient dingue à force de gentillesse et de cajoleries mais j’ai seulement avoué du bout des lèvres que leur attention constante m’énervait un peu.

Elle a rappelé Line et lui a dit qu’elle souhaitait me voir deux fois par mois pour discuter un peu et voir comment j’évoluais. Elle a ajouté qu’elle lui ferait un compte rendu plus détaillé une prochaine fois. J’ai bien compris que “une prochaine fois” voulait dire ici “revenez me voir avec votre mari mais sans l’enfant, faut qu’on parle”. Une fois de plus, l’adulte tout puissant pense avoir court-circuité la compréhension de l’enfant. Il se leurre absolument. Ils sont décidément trop prévisibles, même les psys n’échappent pas à cette idée de toute puissance.

Compte rendu de consultation : Jeudi 27 juin 2013 - Lucie Honoré

Accompagnée de sa mère adoptive, j’ai vu en consultation l’enfant Lucie Honoré, 8 ans (née le 16 mai 2005).

L’enfant a été abandonné à la naissance. Elle a été adoptée il y a près de deux ans par le couple formé par Mr et Mme Paul et Line GEORGES.

La mère adoptive n’a pas récupéré le dossier auprès de l’orphelinat, on lui aurait indiqué qu’elle n’en avait aucun. Elle dispose simplement du suivi médical de la fillette. J’ai contacté la directrice de La Maison des Enfants, 27 rue de la Loi à Surcennes (Melle Redaingotte).

Au bout d’une assez longue discussion, celle-ci a accepté de me confier quelques informations concernant la jeune Lucie. Elle m’a dépeint le portrait d’une fillette éveillée, vive d’esprit mais ayant toujours interpellé le personnel par un côté un peu dérangeant. Elle n’a pas pu m’expliquer plus précisément ce qu’elle entendait par là, parlant surtout d’un regard déstabilisant. Elle relève également une intelligence assez remarquable, l’enfant comprenant particulièrement rapidement des notions complexes, voire devançant les apprentissages. Surtout, elle rapporte un sens aigu de l’analyse humaine et découlant de cela une certaine capacité à déstabiliser le personnel encadrant. Elle m’indique que parfois la fillette semblait être au courant de choses alors qu’elle ne l’aurait pas dû. Elle évoque une sorte de prescience des émotions humaines.

Elle a accepté de me transmettre le dossier par fax, m’expliquant qu’elle n’avait pu se résoudre à le fournir aux parents adoptifs, le trouvant trop sordide.

Résumé du dossier de naissance (joint au dossier de la jeune patiente)

Lucie est née de mère inconnue. Une jeune femme d’environ 25 ans qui s’est présentée à la maternité, hurlant et pleurant de manière quasi hystérique. Son état corporel laissait à désirer, manifestement, elle faisait l’impasse sur l’hygiène élémentaire depuis un certain temps.

Elle semble avoir été apaisée par l’hôtesse d’accueil qui a réussi à l’emmener en salle de travail. Sur place, toujours grâce à l’accompagnement de l’hôtesse, elle a accepté de se laisser débarbouiller un minimum.

Alors que la délivrance était proche, elle se serait mise à marmonner puis à crier et enfin à hurler, suppliant qu’on laisse “la chose” en elle et qu’on ne la fasse pas sortir. Le personnel médical a tenté de la raisonner mais elle semblait complètement hystérique. La sage-femme a fait appel à une collègue pour l’aider à sédater la patiente mais le temps qu’elle arrive, la jeune femme s’était évanouie. Les deux sages-femmes ont donc aidé l’enfant à venir au monde, utilisant les spatules et des pressions abdominales. Les fonctions vitales et l’AGPAR de la petite étaient parfaits, tout s’est bien passé d’un point de vue physiologique. Restée seule avec l’enfant, la sage-femme l’a mise au sein maternel pour qu’elle puisse téter au moins une fois. L’enfant aurait alors mordu le mamelon suffisamment fort pour blesser la mère. Dans de rares cas, les nourrissons peuvent venir au monde pourvus de dents. Il est encore plus rare que ces dents soient utilisées, comme dans le cas présent.

L’employée a retiré l’enfant du sein, soigné la mère et emmené la petite en nursery pour recevoir le premier bain. La mère est resté seule quelques minutes, toujours inconsciente mais sous monitoring.

A son retour, l’employée a trouvé la salle de travail vide. La jeune femme s’était volatilisée pendant les quelques minutes qu’il avait fallu pour changer le bébé de service. Au sol, la sage-femme a vu ces quelques mots “vous n’auriez pas dû”, sans doute tracés avec le sang de la délivrance.

Aux examens sanguins de la mère, une anomalie chimique a été détectée sans qu’on puisse poser de diagnostic ou d’hypothèse médicale. Une substance inconnue, apparemment d’origine végétale, aurait été retrouvée en quantité infime dans son sang.

Le reste du dossier comportait les courbes de poids de la fillette, ainsi que les résultats des différents tests, audition, Guthrie, … Les premiers vaccins effectués, le mode d’alimentation et d’autres menues informations classiques.

Il est évident que la directrice a outrepassé son rôle en ne fournissant pas ce dossier aux parents de Lucie, mais peut-on vraiment lui en vouloir d’avoir agi de la sorte ? Les orphelinats sont surpeuplés et aucun directeur ne refuserait qu’un enfant quitte son établissement. Trop nombreux sont ceux qui attendent de pouvoir enfin y entrer.

Malheureusement, ce rejet initial risque bien d’avoir impacté le psychisme de la petite Lucie. De tels désamours maternels peuvent causer de gros désordres dans la vie des êtres qui en ont souffert.

Consultation

En début de consultation, la mère adoptive a longuement évoqué son problème de stérilité. Les examens et traitements qu’elle a subi l’ont profondément fragilisée et elle semble avoir perdu ses repères suite à ces problèmes.

Elle m’a relaté la phase de deuil qui a suivi les fécondations ratées et l’espoir renaissant avec le projet d’adoption. Ils se sont inscrits sur les listes de candidats à l’adoption, renseignant comme unique critère de choix le sexe de l’enfant. On leur a proposé plusieurs fillettes, mais c’est sur Lucie qu’ils ont arrêté leur choix. Ils ont en quelque sorte vu la main du destin dans le prénom de l’enfant.

J’ai invité Mme Georges à quitter la pièce et suis restée seule avec Lucie pour la consultation proprement dite.

J’ai envisagé enregistrer ce temps d’échange et ne l’ai finalement pas fait. Lors d’une prochaine rencontre, je laisserai tourner le dictaphone, son cas étant particulièrement intéressant.

Nous avons échangé sur sa vie actuelle auprès des Georges. Ses réponses sont sans émotions ni affectivité. Elle ne semble pas apprécier ses adoptants, ni même se sentir redevable de leur geste.

Elle a montré plus de sentiment à l’évocation de sa vie à l’orphelinat. Plus particulièrement lorsque qu’elle s’est remémorée sa relation avec “Marie”, une puéricultrice avec laquelle elle semblait particulièrement liée à une époque. La fillette m’a confié qu’une demande d’adoption avait été effectuée par cette soignante. Demande rejetée et qui avait de plus été suivie d’un licenciement. Madame Redaingotte estimant qu’une relation privilégiée entre une employée et une pensionnaire n’était pas approprié dans un orphelinat.

L’attitude de la fillette indique clairement que c’est à ce moment qu’elle s’est sentie abandonnée pour la première fois. Son abandon primaire ne semble pas l’avoir affectée de manière évidente et elle semble indifférente aux raisons qui ont pu pousser sa mère naturelle à ne pas la prendre en charge.

J’ai abandonné le questionnement concernant les relations qu’elle entretenait avec les autres membres du personnel. L’évocation de “Marie” l’ayant quelque peu perturbée, la reviviscence de cette adoption avortée semble toujours sensible.

Nous avons rebondi sur ses relations avec les autres enfants qu’elle a pu côtoyer à la Maison des Enfants. Les interactions semblaient saines, autant qu’elles puissent l’être dans un tel endroit. Elle m’a surtout parlé de Lola et Hedwige, avec lesquelles elle passait beaucoup de temps. Une belle complicité était née entre les 3 fillettes. Amitié interrompue pendant plusieurs semaines par l’adoption ratée de Lola. Ses parents adoptifs l’avaient ramenée à l’orphelinat suite à la découverte d’une grossesse inespérée chez la mère. Cet épisode malheureux a eu un retentissement particulièrement négatif sur la confiance que la fillette aurait pu donner aux adultes. Nous n’avons pas creusé plus avant les retombées de cet évènement, mais il faudra investiguer lors de prochaines consultations.

J’ai proposé à l’enfant de visualiser des images et de m’indiquer les pensées associées. Rien de particulier ne s’est dégagé de cet exercice mais il reste une impression d’étrangeté. Les réactions paraissent trop réfléchies, même si elles viennent rapidement et naturellement. Je la suspecte d’avoir faussé ses réponses, les calquant sur ce qu’elle pensait être mes attentes. J’ai constaté qu’elle scrutait mon visage à chaque retour, guettant mes réactions avec attention.

Au final, je suspecte une personnalité manipulatrice, sans doute un petit fond de perversité. Je m’interroge sur une éventuelle jouissance au constat de la peine que ses actes peuvent provoquer auprès de ses parents.

Je pense à l’avenir proposer également un test WISC afin d’évaluer le quotient intellectuel de Lucie. La consultation me laisse entrevoir une probable précocité, voire un très haut potentiel. Il conviendra de s’en assurer.

J’ai terminé sur un bref compte rendu auprès de la mère et nous avons planifié un suivi à une consultation par quinzaine.


Texte publié par Sabyne, 27 avril 2014 à 16h44
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