Humaine
© Rose P. Katell (tous droits réservés)
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La pluie incessante rendait la route glissante ; Lili manqua perdre le contrôle de son véhicule. Elle retint un juron, puis s’obligea à réduire sa vitesse malgré le maelstrom d’émotions qui l’animaient.
Ses dents se serrèrent. Autrefois, sûre de sa condition, invincible, l’idée de provoquer un accident ne lui aurait fait ni chaud ni froid… Mais ce temps-là était derrière elle – pas question de trahir les principes qu’elle avait adoptés voilà des années ! Elle n’était plus un succube. Elle n’était plus un démon. Non, plus depuis qu’elle avait choisi d’être une femme, une humaine parmi les autres.
Le passage au rouge d’un feu de circulation la poussa à freiner sèchement, et ses poings martelèrent le volant de sa vieille Chevrolet. Merde ! La ville s’était-elle agrandie durant la nuit dernière ? Il lui semblait qu’elle n’atteindrait pas sa destination, comme si l’appartement d’Amaury avait été déplacé !
Un souffle rauque lui échappa. Ses yeux se posèrent ensuite sur le tableau de bord, où l’heure s’affichait en orange. Hmm. Il avait beau être tard, Amaury avait intérêt à lui ouvrir ! D’autant plus que lui ne s’était jamais embarrassé des horaires pour venir chez elle – non qu’elle le lui ait reproché. Ses dents malmenèrent sa lèvre inférieure. S’il le fallait, elle tambourinerait à sa porte jusqu’à ce qu’il lui réponde. Lui parler était nécessaire. Obligatoire. Elle ne resterait pas dans cet état, n’oublierait pas sa terrible découverte !
L’objet dissimulé dans sa bottine parut soudain lui brûler la peau. Le front plissé, Lili l’ignora de son mieux.
Quand le feu passa au vert, elle démarra en trombe.
Amaury dormait à poings fermés – il s’était assoupi après l’amour, plusieurs minutes après l’avoir invitée à se blottir dans ses bras –, mais elle était incapable de plonger à son tour dans le sommeil. À quand remontait la dernière fois où elle avait été si sereine, si… apaisée ? Y en avait-il eu une ?
Sa tête reposa plus lourdement sur le torse d’Amaury. Lili n’avait encore jamais connu « l’après-sexe », la tendresse qui en découlait ; elle le découvrait et adorait ça ! L’acte en lui-même avait été plaisant – Amaury était expérimenté. Toutefois, le fait d’être là, détendue, avec la quasi-certitude qu’il y aurait une suite… C’était exquis. Oh, se retenir de trop se nourrir, de consumer l’énergie vitale d’Amaury avait triplé son plaisir. Si elle s’y était attendue !
Un sourire fleurit sur ses lèvres. Elle était si heureuse d’avoir changé d’existence. Réussir à établir une vraie relation avec un humain… Quel bonheur !
Un rire manqua lui échapper au souvenir de la peur qui l’avait habitée à l’idée de rejoindre Amaury au lit. Elle avait tant craint d’échouer à se contrôler, à refréner ses habitudes passées. Pourtant, ses sentiments s’étaient révélés plus forts que sa nature ; elle ne s’était pas trompée sur sa capacité à changer !
Oui, elle pouvait connaître plus que la faim ou la passion charnelle.
Les lèvres de Lili embrassèrent un petit bout de la poitrine d’Amaury. Elle avait enfin trouvé ce qui lui manquait pour s’épanouir pleinement en tant qu’humaine. Désormais, elle menait une vie normale, ne dépérissait plus comme avant de prendre sa décision… et avait quelqu’un avec qui oublier l’être qu’elle avait été !
Ses pupilles nyctalopes se posèrent sur le visage de son amant, et l’espoir gagna son cœur. Peut-être ne serait-elle un jour même plus obligée de lui taire ses origines. Peut-être partagerait-elle tout avec lui, pour le meilleur et pour le pire…
La distance qui séparait Lili de l’habitation d’Amaury s’amenuisait de seconde en seconde. Elle serait bientôt en face de lui, pourrait laisser sortir ce qu’elle contenait en elle depuis son affreuse découverte. Et il l’écouterait.
Ses pouces tapèrent le cuir du volant ; le poids dans sa bottine devenait de plus en plus dérangeant.
— Putain ! jura-t-elle tandis que les réminiscences de la veille l’envahissaient.
Après neuf ans… Neuf ans ! Qu’est-ce qui avait merdé ? Des larmes de rage et d’impuissance dévalèrent le long de ses joues.
Dans un reniflement, Lili se reprit afin de rester concentrée sur la route, de ne pas oublier le décor, les immeubles qui défilaient sous ses yeux. Ses dents s’enfoncèrent dans la chair tendre de sa langue. Elle aurait le temps de craquer quand elle aurait tout déballé à Amaury.
Lili fit tomber son sac à main dans son hall d’entrée, puis se débarrassa de ses chaussures à talon. Un soupir d’aise se glissa hors de sa bouche ; il était si bon de rentrer chez soi après une longue journée de travail ! Elle pensa alors à la soirée qui l’attendait chez Amaury, dont c’était le tour de cuisiner, et son humeur s’améliora encore. Il allait lui falloir traverser les trois quarts de la ville pour gagner son appartement, mais ça en vaudrait la peine ! D’autant plus que son chéri et elle ne s’étaient pas vus durant trois jours à cause de leur horaire respectif…
Un début de grimace lui échappa sur le chemin de sa salle de bain. Hmm. Tout aurait-il été plus simple si elle avait accepté la proposition – emménager ensemble – qu’il lui avait faite deux ans plus tôt ?
Non. Encore aujourd’hui, impossible pour elle de se résoudre à cette éventualité. Elle tenait trop à conserver une certaine liberté, ce qu’elle avait acquis avec son changement d’existence. Le monde humain, elle s’en était vite rendu compte, avantageait rarement les femmes, et l’idée de devenir malgré elle dépendante d’Amaury la révulsait.
Lili laissa couler l’eau chaude, se déshabilla. Pendant qu’elle se douchait, elle songea ensuite à sa chance. Un travail stable et plaisant, une maison confortable, des journées dédiées à autre chose qu’à la faim… Et depuis trois ans, une relation avec un homme qui n’ignorait plus rien d’elle et l’aimait quand même, pour lequel elle était prête à incarner tous les fantasmes grâce à son don de métamorphose. Un homme dont elle se nourrissait, oui, mais à petites doses et avec plaisir, non dégoût.
Ses lèvres s’étirèrent comme le visage d’Amaury accaparait son esprit. Bien sûr, tout n’était pas parfait dans son quotidien. Les jours où Amaury et elle ne parvenaient pas à se voir la frustraient ; il lui arrivait aussi de vivre des semaines stressantes, des imprévus, des chagrins ou sautes d’humeur, de mauvais moments… Néanmoins, avec du recul, ça la rendait également heureuse. C’était la preuve que son humanité se développait, qu’elle continuait à emprunter le bon chemin.
Les mains de Lili massèrent son cuir chevelu. Elle ne reviendrait en arrière pour rien au monde.
L’immeuble où habitait Amaury s’offrit à sa vue ; Lili était enfin à destination. Elle se gara en double file dans un freinage sec en constatant qu’aucune place n’était libre, enclencha ses quatre clignotants, puis maudit celui ou celle qui aurait le malheur de rentrer dans sa voiture en son absence – avec l’heure et le calme plat qui régnait dans la rue, ce serait le pompon !
Ses yeux se portèrent sur les fenêtres du bâtiment, en particulier celles du quatrième étage. Pas de lumière allumée : Amaury dormait. Gênée par la bosse qui déformait sa bottine, Lili s’extirpa du véhicule et s’autorisa un rictus mauvais. Tirer Amaury de son sommeil constituerait une première vengeance.
La flamme de sa colère crut en elle au fur et à mesure de ses pas. Elle sortit de sa veste son badge d’accès au hall principal, inspira. Amaury allait payer sa trahison. Il allait payer la douleur qu’elle avait ressentie la veille.
Ses poings se serrèrent ; oh, mieux valait que sa midinette ne soit plus là !
Lili utilisa son pass pour pénétrer dans l’immeuble en affichant un air ravi ; son sourire allait jusqu’à ses oreilles. Sa main agrippa la clef qui lui permettait d’entrer chez Amaury et un délicieux frisson la secoua. Elle était si excitée par son idée ! Être en petite tenue sous son manteau lui déclenchait presque un rire euphorique dès qu’elle se le rappelait.
Un gloussement lui échappa d’ailleurs en rejoignant l’ascenseur. Oui, plus les minutes passaient, et plus elle était certaine d’avoir eu raison de suivre son élan. Ah ! Fini de souffler du nez et de manger une glace devant Netflix parce qu’Amaury était contraint d’annuler une énième de leur soirée à cause du boulot – ce qui advenait hélas de plus en plus régulièrement. Cette fois, lorsqu’il avait appelé afin de s’excuser, elle avait décidé d’agir, de lui préparer un « cadeau ».
Lili gagna le quatrième étage et se trémoussa d’impatience. La tête que tirerait Amaury en la découvrant à moitié nue sur son canapé s’affichait déjà dans ses pensées ! Son pas était dansant ; ce petit sursaut de folie la charmait. Il leur procurerait à tous les deux beaucoup de bien, elle n’en doutait pas. Leur relation était devenue beaucoup plus calme avec les années, ils ne tentaient plus autant de choses qu’auparavant – Amaury ne lui demandait même plus de changer de physique et se contentait de sa jeunesse actuelle. Ses paupières cillèrent. Si elle n’en chérissait pas moins leur histoire, Lili reconnaissait qu’elle ne serait pas contre d’y ajouter du piment.
Elle déverrouilla la porte de l’appartement, la poussa. Ses pupilles s’écarquillèrent face au plafonnier allumé du séjour. Tiens… Voilà un oubli qui ne ressemblait pas à Amaury. Le pauvre était vraiment fatigué.
Lili posa son sac à terre et se dirigea vers le porte-manteau. Elle s’apprêtait à y accrocher le sien lorsqu’elle repéra une veste qu’elle ne connaissait pas… Une veste de femme. Ses sourcils se froncèrent. Ensuite, une explication logique se manifesta à elle : elle appartenait forcément à l’une de collègues d’Amaury, qui l’avait « zappée » ! Il n’était pas rare qu’il les invite à boire un verre après le travail.
Lili haussa les épaules. Mais trois secondes plus tard, elle aperçut la mallette d’Amaury à ses pieds, celle qui l’accompagnait partout. Ses lèvres se plissèrent. Ça, c’était bizarre. Était-il rentré plus tôt, au final ? Elle consulta son portable, n’y trouva pas de message. Il la prévenait pourtant toujours des changements dans son agenda.
D’abord étrangement alarmée, Lili secoua le menton. Que voulait-elle qu’il se passe ? Amaury venait peut-être à peine d’arriver. Oui, c’était évident ! Et il devait avoir eu comme premier réflexe de foncer sous la douche.
Elle se précipita aussitôt dans la salle de bain. Pas de chance : le battant était grand ouvert, et la pièce, plongée dans le noir…
Son front se rida. La chambre ? Amaury s’était-il d’office jeté dans son lit ? Hmm. Possible, avec l’épuisement.
Attendrie, elle s’aventura dans le couloir à pas de loup. Tant pis pour ses projets initiaux ! S’il dormait, elle se glisserait à ses côtés et le surprendrait plutôt à son réveil.
En approchant, Lily entendit Amaury parler. Au téléphone ? Un sourire éclot sur sa bouche ; s’il était debout… Elle pénétra dans la pièce, prête à voir ses yeux s’écarquiller…
… et se figea au spectacle de son corps nu enlacé avec celui d’une autre.
Lili lutta contre une furieuse envie de pleurer alors que l’ascenseur se refermait sur elle ; pas question que le premier détail que remarque Amaury soit ses larmes ! Elle était venue régler ses comptes avec lui, pas s’apitoyer sur son sort.
La trahir après neuf ans… La trahir quand elle pouvait incarner tous ses fantasmes, quand elle avait appris l’amour à ses côtés et lui avait offert le sien ! Comment avait-il osé ? Merde ! Peu importait ce qu’elle avait fait dans son ancienne vie, elle ne le méritait pas.
Un grognement lui échappa. Dire que, la veille, elle n’avait même pas réussi à lui demander une explication. Amaury l’avait regardée telle une intruse et elle avait rebroussé chemin… Elle lui avait montré son abattement. Qu’elle s’en voulait !
Un « ding » précéda l’ouverture des portes. Bouillonnante, Lili fonça jusqu’à l’appartement d’Amaury, puis frappa le battant. Un rictus déforma sa bouche lorsqu’elle songea à la clef présente dans sa poche ; l’obliger à se lever pour elle lui procurait un semblant de justice.
Aucun bruit ne lui parvint de l’intérieur, pas un rayon de lumière ne filtra au niveau du sol. Loin de se décourager, Lili redoubla d’ardeur. Elle ne partirait pas. Elle cognerait la nuit entière, si c’était nécessaire !
— Oui. Oui ! grogna enfin la voix de l’infidèle.
Ses épaules se redressèrent. Le moment de la confrontation avait sonné.
La porte s’entrebâilla, avant de s’ouvrir tout à fait sur le visage étonné d’Amaury.
— Toi ? souffla-t-il.
— Tu attendais la fille d’hier ?
— Personne, vu l’heure. Tu as perdu ta clef ?
Les poings de Lili se contractèrent devant sa désinvolture, son insouciance. Était-il sérieux ? Comptait-il agir comme s’il n’avait rien commis de grave ? Sans répondre à sa question, elle le bouscula et pénétra d’autorité dans son intérieur.
— Pourquoi ? l’invectiva-t-elle ensuite tandis qu’il refermait derrière eux.
Amaury soupira.
— Maintenant ?
— Maintenant. Je n’ai pas conduit jusqu’ici pour rien.
Son ton était sec, sifflant.
— Tu devais t’en douter, non ? murmura Amaury, d’un calme écœurant.
Le talon de Lili claqua contre le sol.
— Je « devais » ?
— Tu es un succube, Lili…
— Tu plaisantes, j’espère ? Ça, c’est l’excuse que tu aurais pu attendre si je t’avais trompé !
— C’est pourtant la raison pour laquelle je suis avec Leila.
Elle se figea. Nulle once de remords ne ressortait des propos d’Amaury, il se contentait d’énoncer un fait. À l’écouter, la présence de cette Leila dans son lit n’était rien. Le sang dans ses veines s’enflamma.
— Je n’ai jamais agi en succube ! cria-t-elle. Sauf quand je me transformais pour toi, ce qui ne te dérangeait pas, il me semble.
Un tic agita soudain la paupière d’Amaury, qui haussa lui aussi le ton.
— On n’est pas mariés. On ne vit même pas ensemble, redescends sur terre.
Des gouttes salées apparurent au coin des yeux de Lili, qui les refoula.
— Tu souhaitais m’épouser. Tu me l’avais demandé.
— Et à cette époque, tu as eu la sagesse qu’il me manquait en refusant.
Son cœur, qu’elle croyait émietté, se brisa entièrement à cet instant. Le poids dans sa bottine, lui, se fit plus conséquent.
— Salaud ! Tu n’es qu’un salaud !
Amaury grimaça.
— Tu ne te doutais vraiment de rien, alors.
— Non ! Je t’aimais, j’avais confiance en toi ! Tout allait si bien…
Un nouveau soupir s’extirpa des lèvres d’Amaury.
— Discutons-en en adultes, d’accord ? Après quoi on ira se coucher. Je ne te rejette pas, Lili. Je te désire toujours autant.
Désirer. Pas aimer.
Furieuse, Lili tenta de le gifler, mais il esquiva son geste.
— T’es malade ou quoi !?
— Neuf ans ! Neuf ans, Amaury ! Pourquoi fréquenter une autre ?
Sa gorge refusa d’expulser des questions supplémentaires, de demander depuis combien d’années il allait voir ailleurs et s’il y avait eu plus d’une seule femme.
— Parce qu’elle est humaine !
— Je suis…
— Non, tu ne l’es pas, persifla Amaury. Tu es un succube. Un putain de démon ! Tu aspires mon énergie, Lili. Tu as tué un nombre d’hommes incalculable avant moi, ne l’oublies pas. Comment veux-tu que je m’engage avec ça ?
« Ça ». Le mot résonna dans son crâne, injurieux.
— Tu n’ignorais rien de moi ou de mon passé, protesta-t-elle, tremblante – il niait sa véritable identité, celle qu’elle avait choisi ! Je ne suis plus la créature que tu décris.
Amaury souffla bruyamment dans le vide ; il lui donna l’impression qu’elle n’était qu’une fillette en plein caprice.
— Écoute… J’ai fini par saisir que continuer de la sorte n’était pas possible. Je t’ai aimée. Je t’aime encore, d’une certaine manière : notre relation est agréable, nos corps se comprennent. Mais je prends de l’âge et j’aimerais fonder une famille. Une famille normale. Peux-tu enfanter ? Si oui, à quoi ressemblerait ton rejeton ? Sois réaliste, avoue que, nous deux, en dehors de la passion…
Lili se mordit la langue jusqu’au sang afin de ne pas hurler sa fureur, sa douleur. Chaque mot prononcé lui lacérait les entrailles.
— Quand allais-tu m’en parler ? fulmina-t-elle ensuite. Quand !?
Amaury ne répondit pas ; son regard ne cessait de se poser sur elle puis sur la porte, comme s’il escomptait dorénavant qu’elle s’enfuie. La nausée la gagna ; il s’était servi d’elle, elle était son passe-temps, son défouloir ! Et elle n’avait rien remarqué…
— Je te déteste !
— Qu’espérais-tu ? Pendant combien de temps prévois-tu de jouer à être une femme ?
— Je t’interdis de…
— Stop, l’interrompit Amaury. Tu m’as attrapé dans tes filets en apparaissant sous les traits de la fille parfaite. Tu m’as trompée, et c’est moi qui te dois des comptes ?
C’en fut trop pour Lili. D’un bond, elle lui sauta à la gorge et, usant de sa force infernale pour la première fois depuis une éternité, le coinça dos au mur.
— Comment oses-tu ? l’invectiva-t-elle.
Dans sa bottine, le poids lui brûlait à nouveau la peau.
— Je pensais que tu savais tout, cracha Amaury. Que tu te complaisais dans mes mensonges. Tu n’as rien d’une fille naïve.
Elle le poussa davantage contre la cloison ; malgré elle, les larmes franchissaient la barrière de ses paupières et coulaient le long de ses joues.
— Tu es un monstre…
— Moi ? Qu’est-ce que tu es en train de faire !?
Le sourire venimeux d’Amaury lui retourna l’estomac. Il se moquait d’elle, ne regrettait rien. Oh ! Elle désirait tellement céder à sa rage, qu’il disparaisse ; ses doigts en tremblaient. Il méritait de souffrir. Il méritait de connaître sa douleur.
— Vas-y, se gaussa-t-il, vide-moi. Aspire mon énergie et tue-moi. Oui, prouve que tu es et resteras un démon.
Les muscles de Lili se raidirent. Amaury essayait de la pousser à bout pour qu’elle parte et lui fiche la paix. Elle n’était qu’une chose dont il souhaitait se débarrasser, une chose qui le contrariait.
— L’envie ne me manque pas, siffla-t-elle avec difficulté.
— Ta vraie nature te l’ordonne, hein ?
Aveuglée par ses émotions, Lili dégaina alors le couteau caché dans sa chaussure avec une rapidité qui l’a surpris elle-même et le lui enfonça entre les côtes.
— Je suis humaine, chevrota-t-elle entre deux sanglots. Et les humains sont parfois aussi meurtriers que les succubes, surtout quand ils ont été blessés.
Puis, tandis qu’Amaury glissait lentement vers le sol, elle songea avec effroi que les sentiments qu’elle avait découverts avec tant de joie se révélaient également être un terrible fardeau…
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