« Bond transspatial dans 4 minutes. »
Centy maudissait la voix trop aiguë de l’intelligence artificielle du vaisseau. Par moment, elle se posait la question de savoir si Yan ne l’avait pas choisie exprès pour elle.
Avec un geste approximatif, elle lissa ses cheveux bruns et argentés pour les nouer sur le côté gauche de son visage.
Frère et sœur n’avaient pourtant pas l’habitude de céder à l’appel de la fête dans les entrailles d’Elysium, mais les quelques fois où ils avaient répondu à l’appel des sirènes, l’ainée en était revenue le corps transpirant d’un alcool d’El’sita*.
Pour le moins, elle mettait plusieurs jours à se remettre de l’expérience et subissait pendant ce temps, les remarques cinglantes d’un cadet trop raisonnable à son gout.
Lorsqu’il passa le sas pour entrer dans la cabine de pilotage porté par l’apesanteur, elle sut immédiatement que son sourire présageait d’une remarque à ses dépens.
« Encore une belle jour…
— La ferme. »
La jeune femme avait la voix rauque et tremblante. Par un heureux hasard, les réparations faites il y a quelques jours sur le Persée lui permettaient d’être totalement dispensable dans les prochaines heures.
Elle se blottit dans le siège baquet de son poste et ferma les yeux. Centia n’était pas certaine qu’il s’agissait de la meilleure des idées dans son état, mais elle redoutait encore plus le bond qui allait suivre. Bien qu’elle fut rompue à l’exercice et aux désagréments d’un voyage transspatial avec une gueule de bois, elle redoutait toujours la sortie de la fenêtre et le retour à une vitesse subluminique.
« Je ne retournerai plus jamais au Terrier du Lièvre, maugréa-t-elle.
— Tu l’as déjà dit la dernière fois qu’on y est allés.
— Cette fois j’en suis certaine.
— Si tu ne buvais pas comme un ver des sables…
— Tu veux pas me lâcher ? »
Yantot étouffa un ricanement et prit place dans le fauteuil situé de l’autre côté de la petite cabine.
« Deux minutes. »
Du coin de l’œil, elle vit son frère jeter un regard amusé vers elle, puis elle se concentra sur l’écran qui lui faisait face. L’ombre d’un instant, elle songea à prendre une dose de voyageur, puis se ravisa. L’un des effets du produit destiné à atténuer les conséquences du voyage transspatial était de provoquer des migraines chez les personnes qui présentaient des troubles de la perception.
La douceur du voyage n’aurait été que poudre aux yeux pendant quelques secondes avant que son corps ne lui fasse encore plus regretter d’avoir ingurgité autant de boisson fuchsia en l’espace de quelques heures.
Centia devait à tout prix maintenir son esprit concentré pour éviter tout haut-le-cœur. Il n’était dans l’intérêt de personne que l’alcool la rende malade au point de…
Elle inspira profondément et fit quelques exercices pour concentrer ses pensées vers la mission qui les attendait : trouver la source du signal que leur père avait placé près de l’indice suivant. Maintenant que le Persée était comme neuf, ils avaient enfin la possibilité de reprendre leurs recherches.
« Bond dans dix secondes… »
Les choses n’allaient pas si mal que cela après tout.
Le moteur se gonfla d’énergie et vrombit de plus en plus fort.
Elle se concentra sur la beauté de la mécanique qui leur permettait de voyager d’un bout à l’autre de l’espace connu en quelques heures : le cœur brulait d’une singularité contenue dans l’espace restreint de la cellule d’énergie qui déchirait le tissu de la réalité pendant un bref instant.
L’explosion qui résultait délivrait suffisamment de puissance pour alimenter les moteurs transspatiaux, leur permettant de faire leur œuvre.
Pendant quelques secondes, elle eut la sensation que l’univers tournait autour d’eux et imagina les vagues de lumières qui se reflétaient sur la coque du vaisseau. De son poste dans la soute elle pouvait observer toute la beauté de l’espace qui se repliait sur lui-même pour fondre en un nuage constellé de lumière.
Elle se laissa lentement dériver jusqu’à…
« Centia ! »
La voix de son frère la tira de ses songes et elle ouvrit les yeux.
En réalité, elle avait la sensation qu’il lui parlait depuis un moment sans qu’elle pût percevoir le moindre mot avant son retour à la réalité.
« Quoi ? s’indigna-t-elle, à demi consciente.
— On est arrivés. »
Elle ne voulut pas le croire sur parole bien sûr. Pourtant, l’écran face à elle retransmettait les coordonnées du vaisseau et il se trouvait bien au point de rendez-vous.
« J’ai dormi ?
— Quatre heures. Environ. Tu te sens comment ? »
Cette fois il ne blaguait pas. Son ton était éminemment calme et serein.
« Je… »
Un orchestre de percussions au complet tambourinait sous son crâne, mais elle parvint à se lever et observa douloureusement ses jambes en train de trembler.
« Pourquoi est-ce que tu as rétabli la gravité ?
— Tu ronfles en apesanteur. Et accessoirement, tu as besoin d’une douche. »
Pour une fois, elle ne pouvait pas le contredire. Il lui sembla que son corps entier avait été immergé dans un fût d’el’site** et qu’elle l’avait absorbée comme une éponge.
Centia soupira et se redressa complètement au prix d’un effort surhumain : elle devait absolument passer son corps alourdi par l’alcool sous un jet d’eau froide. Au moins pouvait-elle espérer en ressortir réveillée.
« Plus jamais ! » dit-elle en quittant la cabine.
* El’sita est une des lunes d’Elysium entièrement recouverte de végétation importée. Elle est aussi le lieu servant de base à l’élaboration d’un alcool de contrebande aux propriétés hallucinogènes.
** el’site : nom du principal alcool produit sur la lune d’El’sita.
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