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Tanros était une planète naine et isolée aux confins des secteurs éloignés. Au rythme de journées raccourcies, le temps s’y écoulait plus rapidement, mais la vie y était plus agréable.

Avant de pouvoir y poser leur vaisseau, Yantot et Centia avaient dû redoubler d’ingéniosité pour rejoindre la planète, propriété de l’une des plus grandes corporations galactiques. Pourtant, il s’agissait d’une simple livraison de routine : récupérer un droïde et l’apporter au client de la Chaine Dorée * sur Elysium.

Centy avait graissé la patte d’un garde peu scrupuleux pour obtenir un code d’accès leur garantissant un vecteur d’approche sans risque. Car la corpo était à la fois puissante et méfiante, objet de convoitise et de haine, alors elle avait investi des milliards de crédits dans l’armement et la sécurisation de la planète-siège de la société.

« Envoie le code d’accès, ordonna-t-elle à son frère.

— C’est fait, vecteur d’approche reçu. »

Le vaisseau descendit rapidement en tourbillonnant pour suivre la trajectoire proposée par la tour de contrôle et approcher en douceur du spatioport. Persée était maniable et ils se posèrent sans encombre dans le hangar individuel attribué aux transports de fret.

Chaque jour des centaines de navettes en provenance des mondes plus ou moins éloignés transitaient par le port construit sur le pôle Nord de la planète : vivres, matériel et personnel habilités permettaient au siège de la société de prospérer en dehors de la planète-monde Elysium, capitale du cœur d’Andromède.

Après quelques remous dus aux vents d’altitude, les patins d’arrimage ancrèrent le vaisseau à la passerelle. Centy et Yan enfilèrent des combinaisons de grand froid et se présentèrent devant la baie d’amarrage pour rejoindre la zone de fret non loin.

« Tu es certaine que l’on peut faire confiance à ce guignol ?

— Prosper ? C’est un idiot accro aux jeux d’argent qui passe son temps libre dans les casinos de Teritomer. Il a été payé et c’est une garantie suffisante. Concentre-toi sur la mission. »

Yan pouffa de rire à l’annonce du nom de leur contact sous son casque en alliage plastoverre et sa sœur se contenta de soupirer sans lui répondre. Elle devait garder son sérieux.

Ils portaient des bleus de travail des ouvriers du port pour se fondre dans la masse et récupérer la marchandise dans la zone réservée au personnel de l’entreprise.

« On sait à quoi sert cet androïde ?

— On ne pose pas de question quand on te paie six mille cinq cents crédits pour rapporter une cargaison. On prend la machine, on la met dans la cale et on la livre au point de rendez-vous.

— Je me demandais simplement si…

— Concentre-toi, petit frère. »

Ces derniers mots étaient secs et l’injonction très claire.

Centy ne chercha pas à savoir si elle avait blessé l’égo de l’adolescent, elle n’avait pas l’intention de passer à côté d’une telle somme pour quelques idéaux mal placés.

Ils empruntèrent un chemin affiché sur la visière de leur casque et passèrent un point de contrôle automatisé. Les badges programmés avec les autorisations fournies par le contact remplirent leur rôle et ils arrivèrent enfin dans l’immense hangar numéro 17.

« Tu as la référence ? » s’enquit la jeune femme auprès de Yan qui restait en retrait.

Ce dernier pianota sur l’écran holographique projeté à hauteur de son regard par la combinaison et un nouveau tracé apparut en superposition du hangar.

« Traceur actif. »

Ils firent une centaine de mètres dans une allée bordée de caisses de marchandises et de containers en acier renforcé avant d’atteindre leur destination.

La cuve oblongue en alliage métallique était flanquée sur le dessus d’une large vitre en verre blindé. La lumière qui éclairait en temps normal l’intérieur du caisson était désactivée, mais Centia distingua clairement la silhouette humanoïde reposant dans le liquide de transport.

« T’es sûre que tu ne veux pas…

— Yan, s’il te plait. On a engagé cinq cents maudits crédits pour obtenir le laissez-passer.

— Bon… »

Le jeune homme avait un air résigné, mais il accepta à l’argument de sa sœur. Les contrats étaient tellement peu nombreux depuis quelque temps qu’il lui concéda. Et puis Persée avait besoin de réparations après le fiasco de leur dernière mission.

« On y va. »

La jeune femme avait enclenché les répulseurs magnétiques et avança en direction de la sortie précédée par son frère. Tout se déroulait sans encombre et Lière, leur contact sur Elysium serait satisfait de leur prestation. Peut-être même les recommanderait-il à ses connaissances ?

Le laissez-passer mentionnait le retrait de marchandises endommagées et le contrôle automatique leur permit de traverser le champ de confinement sans encombre.

« Tu vois, je t’avais dit que ce serait facile, se vanta Centy lorsqu’ils parvinrent au hangar.

— Plusieurs milliers de crédits pour un vulgaire droïde endo… »

Alors qu’ils étaient entrés dans la cale, Yan s’était pétrifié, les yeux rivés sur la fenêtre du module d’isolement. Même à travers la visière de son casque, elle avait remarqué les yeux écarquillés de son jeune frère.

« Ne joue pas à me faire peur ! dit-elle pour le faire réagir.

— Non tu devrais vraiment voir ça… »

Centia préféra refermer les portes du hangar grâce à la commande vocale avant de venir faire payer à Yantot sa blague déplacée.

Elle s’apprêtait à lui mettre une tape bien méritée sur la nuque quand elle vit enfin ce qu’il regardait avec tant d’insistance. Les lumières du hangar pénétraient la cavité du caisson et faisaient ressortir la forme qu’elle avait entraperçue un peu plus tôt.

Le pire dans tout cela n’était pas que Yan avait eu raison, mais que la chose piégée dans l’ambre avait non seulement l'apparence d’un bipède humain, mais également toutes les caractéristiques physiques.

« C’est un sarcophage d’embaumement », précisa-t-il enfin.

Le corps était incomplet et de nombreuses blessures constellaient la peau bleue du thésis*.

La jeune transporteuse appuya sur l’un des boutons du caisson et la vitre s’opacifia instantanément.

« On ne pose pas de questions… Rappelle-toi que nous avons besoin de ces crédits. »

Le vaisseau décolla sans encombre en direction d’Elysium. La mission était simple, mais le dilemme moral demeurait intact…

« J’aurais vraiment préféré que ce soit une saloperie de droïde ! » vociféra Centia…

* Chaine Dorée : organisation criminelle sévissant dans les niveaux inférieurs d’Elysium

** Thésis : espèce anthropomorphique ayant pour principale caractéristique une peau bleutée et épaisse (semblable à du cuir lisse)


Texte publié par Théâs, 6 novembre 2021 à 15h04
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