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De dentelles et de frissons - Contes fantomatiques
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tome 2, Chapitre 6 « Shimmering Manor, mercredi 10 octobre 1877 » tome 2, Chapitre 6

Très cher cousin,

Votre conseil de ne surtout pas me mêler de ce qui ne me concerne pas me paraît tout à fait sage. Il me faut cependant vous avouer que cette histoire m’obsède. Personne ne m’en a reparlé, mais quand j’y pense, je me dis que tout cela semble fort étrange.

Aujourd’hui, lady Rafaella m’a largement complimentée sur mon apparence. Elle m’a même incitée – entendez-vous cela ? – à recourir de façon discrète au maquillage. Une nouvelle fois, je devine ce que vous allez me répondre : qu’il n’est guère convenable qu’une jeune personne de qualité se tartine de couleur comme une fille aux moeurs légères. Mais comme le répète lady Rafaella, célébrer la beauté, n’est-ce pas célébrer la vie ?

Pour revenir à des choses un peu plus graves, j’ai découvert que la famille Shimmering était plus éprouvée par l’existence que j’aurais pu m’en douter.

Je m’étais rendue à la bibliothèque et je m’adonnais à la lecture de récits de voyage, quand j’ai vu paraître un individu pour le moins étrange et inquiétant. Il s’agissait d’un homme, jeune encore, vêtu d’un pantalon de flanelle et d’une chemise froissée. Ses cheveux étaient longs et mal peignés ; une barbe de plusieurs jours mangeait son visage. Mais ce qui m’a le plus surprise était le vide absolu de son regard. Comme si aucune conscience en éveil ne l’habitait…

Tandis que je me portais vers lui pour lui demander les raisons de sa présence, il m’a agrippée par le bras avec une brusquerie inattendue. C’est alors qu’a surgi lord Henry, suivi de madame Fooley qui, avec une énergie étonnante, est parvenue en peu de temps à retenir et entraîner le malheureux. Lord Henry s’est enquis avec beaucoup de prévenance de mon état, pour savoir si ce forcené m’avait blessée ou par trop effrayée. Je dois avouer que les événements m’avaient choquée, mais je me sentais plus troublée que vraiment effrayée.

Il faut admettre qu’en dépit de l’apparence dépenaillée de l’inconnu, je n’avais pas été sans remarquer sa ressemblance avec lord Henry. Après m’avoir longuement rassurée, ce dernier m’a révélé, non sans gêne, que l’individu était son frère jumeau. Par un sinistre coup du destin, un accident de naissance l’avait privé de l’essentiel de ses facultés. Bien que confiné pour sa propre sécurité comme celle des autres, il lui arrive parfois de fuir sa chambre et d’errer dans les couloirs de la demeure.

Je dois dire que les attentions de lord Henry ont beaucoup fait pour atténuer mes craintes ; cependant, au cours de cet incident, j’ai cru remarquer un fait pour le moins étonnant. Lorsque ce pauvre homme est passé devant les portes vitrées du meuble qui renferme les ouvrages les plus précieux de la bibliothèque, je n’ai pu apercevoir son reflet alors que le mien était parfaitement visible.

Je suis bien imprudente de vous écrire cela : sans doute trouverez-vous encore que je suis bien trop imaginative ! Je ne veux surtout pas que vous vous inquiétiez pour moi, mais je me refuse à vous cacher quoi que ce soit !

Votre dévouée cousine,

Elisand Hartley


Texte publié par Beatrix, 26 janvier 2022 à 19h41
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