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De dentelles et de frissons - Contes fantomatiques
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tome 1, Chapitre 5 « La salle de bal » tome 1, Chapitre 5

Les hommes s'étaient déjà rassemblés en une armée improvisée, qui ne savait ni se mettre en rang ni marcher au pas. Abel Barnes, qui était revenu de la guerre avec un grade de sergent, avait été tout naturellement désigné pour la commander.

C'était sans compter sur le pasteur, soutenu par les épouses en larmes, qui les harangua longuement, les suppliant de ne pas se jeter dans la gueule du loup. Ils se laissèrent finalement persuader qu'une nuit de prières avait toutes les chances de faire rentrer la situation dans l'ordre.

Au lieu d'investir la colline, les habitants de la ville se réfugièrent la petite église de bois blanc, où ils se mirent à invoquer le Seigneur avec l'énergie du désespoir, avec la foi des – presque – damnés.

Pendant ce temps, Everdine attendait... un signe, quel qu'il soit. L'éclat vert entre ses mains s'intensifia encore, avant d'exploser brutalement en une véritable fontaine de lumière qui inonda la colline toute entière et illumina jusqu'à l'intérieur de l'église, précipitant les épouses dans les bras de leur mari, les enfants dans les jupes de leur mère. Elle portait avec elle une musique diabolique, le chant d'innombrables violons gémissant les accords d'une valse lancinante.

Le pasteur exhorta ses fidèles à poursuivre leurs prières, de toutes leurs forces, pour délivrer la ville des forces du mal.

†††

Les portes du manoir s'ouvrirent d'un seul coup : côte à côte, Every et Josuah entrèrent dans le vaste hall où un escalier monumental s'évadait en large courbe vers le perron de l'étage. Un lustre constellé de cristaux ternis par la poussière et couvert d'un dais de toile d'araignée se balançait au bout d'une chaîne rouillée, juste au-dessus d'eux. Sur la gauche, une baie en arc de cercle menait vers l'aile où se trouvait la salle de bal. La musique les guidait toujours, plaintive, répétitive, comme si les instrumentistes étaient condamnés à jouer pour l'éternité les quelques mêmes mesures.

La vaste pièce partageait l'état de décrépitude générale de la demeure : la marqueterie du plancher s'était disjointe, la tapisserie des murs, où se discernait encore un motif d'arabesques, partait en lambeaux. Les lustres avaient pleuré leurs pendeloques sur le sol jonché d'éclats. De grands débris de brocard décoloré pendaient nonchalamment des corniches et des poutres. Et cependant, la lumière verte qui illuminait toute la bâtisse ressuscitait, comme une superposition fantomatique, son ancienne splendeur.

Des milliers de flammes spectrales jouaient dans les branches des candélabres, l'orchestre sur son estrade faisait voltiger les archets sur les cordes. Bientôt, ramenés par la mémoire des morts, les couples émergèrent du néant, jeunes, beaux, vêtus de soie et de dentelle. Ils virevoltaient autour de l'immense étoile du plancher, rendue à son éclat d'autrefois.

Les semelles des souliers vernis glissaient sur le sol, les jupons chargés de volants ondoyaient, les yeux se levaient, comme en extase, vers le plafond orné de nuées et de colombes... Mais ils n'étaient que les acteurs d'une mise en scène illusoire, qui tournaient autour d'une jeune fille aux boucles sombres et aux prunelles d'ambre, et du bijou qui pendait à son cou.

Everdine reporta son regard sur le pendentif : il se désagrégeait lentement dans le creux de sa main.


Texte publié par Beatrix, 16 novembre 2021 à 10h41
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