Everdine déverrouilla la porte de sa maison ; il accrocha son manteau à la patère de l'entrée, ôta ses chaussures et les disposa sur le tapis de corde, en un rite immuable depuis des décennies.
La demeure était emplie de senteurs, ces vieilles odeurs qui ne s'attardaient que chez les personnes âgées : salpêtre, camphre, encaustique et poussière mêlés à cet indéfinissable liant qui s'infiltrait au cœur des objets et des consciences.
Le vieil homme pénétra dans le salon et écarta les rideaux fanés, remarquant au passage une nouvelle tache sur la tapisserie bleu pâle. Il ouvrit le battant du secrétaire de bois de rose, en tira une boîte qui jadis avait contenu des chocolats. La peinture reproduite sur le couvercle représentait deux enfants découvrant leurs cadeaux au matin de Noël : un garçonnet en culotte de velours et une fillette plus âgée, avec de longs cheveux châtains tombant en anglaises sur ses épaules.
Souvent, ses parents avaient comparé ces bambins au visage de porcelaine à lui-même et... à qui, déjà ?
Everdine ouvrit la boîte, dévoilant des cartes postales, des images et des bons points, des feuillets couverts de pleins et de déliés à l'encre sépia. Et, tout en dessous, un vieux cliché sur papier albuminé, dans un camaïeu de bruns passés. Son père, en redingote. Sa mère, rigide dans son corset. Lui-même, encore astreint au costume marin.
À côté de lui figurait un vide étrange, comme s'il s'était écarté pour laisser la place à quelqu'un qui n'était jamais venu... ou trop tôt reparti. Il rangea la photo, de ses doigts aussi secs et jaunis que les liasses de lettres anciennes sous lesquels il la glissa.
Le vieil homme se tenait immobile, tête légèrement baissée, devant les rangs de pierres tombales usées par les intempéries. Dans le petit cimetière, un peu à l'écart de la ville, on avait couché dans la terre les corps épuisés par le temps, pour les couvrir de dalles qui au fil des années s'altéraient à leur tour. Quand les morts comme les sépultures seraient retournés à la poussière, les dernières bribes de souvenirs se disperseraient comme des cendres fines dans le vent.
Le nom de ses parents, Tobias et Evangeline Barnett, restait vaguement visible. Tout autour de leur ultime demeure fleurissaient des stèles plus récentes, sous lesquelles dormaient les compagnons de son enfance.
Plus personne n'était là pour se rappeler à sa place...
La bise soufflait, emportant en tourbillon vers le sol les feuilles or et rouge des érables, comme des papillons morts précipités dans un abîme de gris et de bruns. Il se remémora l'époque où, en cette saison, il partait marauder dans les plantations de citrouilles du voisin. Les garçons en culotte courte et les filles en robes à volants et bottines à boutons, les yeux brillants et les joues salies, allaient de porte en porte recueillir des friandises.
« Treats ot tricks...
― J'en ai plus que toi !
― Parce que je te laisse tout porter ! »
Des yeux d'ambre le fixaient avec une feinte sévérité. Une robe couleur des feuilles d'érable apparaissait sous le manteau brun quand il s'écartait au rythme de la marche. Pourtant, lorsqu'il croyait enfin discerner celle qui la portait, elle se dissipait dans les brumes de l'oubli.
Un couple passa non loin de lui : une jeune femme aux cheveux gaufrés, un garçon au visage grave : la petite Ella Mayfair et son fiancé.
« Bonsoir, monsieur Barnett ! »
Il toucha brièvement son chapeau avant de s'éloigner à petits pas, traînant des pieds dans l'opulent tapis vermeil.
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