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De dentelles et de frissons - Contes fantomatiques
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Des lustres surchargés de chandelles inondaient la salle de danse d'une lumière dorée. Tout autour de l'immense étoile que dessinait la marqueterie au centre du plancher, les couples virevoltaient, au son de la musique lancinante d'un quatuor à cordes. Les semelles des souliers vernis glissaient sur le sol, les jupons garnis de volants et de dentelles s'envolaient, les yeux se levaient, comme en extase, vers le plafond orné de nuées et de colombes.

Contre la peau blanche de sa poitrine, le pendentif se balançait et tressautait au fil des pas de valse. Une étrange lueur verte en émanait, projetant sur les danseurs un éclat spectral.

†††

Debout devant le portail rouillé, qui contenait à grand-peine la débauche végétale du parc abandonné, le vieil homme contemplait le Manoir. Ce terme pompeux désignait la vaste demeure élevée par la famille Prideworth sur la colline surplombant la petite ville, en l'an 1868 - ou était-ce en 1869 ? Un caprice rose et blanc, galbé et mouluré, dans le plus pur style Second Empire. À présent les frontons et les corniches s'effritaient, le toit mansardé se dépouillait de ses ardoises, le lierre et la vigne vierge, décidés à établir leur droit naturel l'édifice, en enserraient les murs d'une étreinte possessive.

Le promeneur solitaire tentait de se souvenir.

†††

Une lueur sortie du fin fond de sa mémoire avait guidé ses pas, comme une frêle luciole, le long de l'allée abandonnée qui montait au Manoir. Sans savoir pourquoi, il s'était laissé mener.

Un visage dans le clair-obscur, sous les épaisses frondaisons des érables. Un chemin éclaboussé de massifs colorés, roses, jaunes, bleus...

Une main qui tenait la sienne, plus fine, plus blanche. Des traits imprécis, insaisissables, dont il ne discernait que les yeux sombres... non, pas exactement : quand la lumière perçait le dais de feuilles pour tomber sur les iris, ils ressemblaient à ces bijoux d'ambre pailletés d'une pluie de pétales nacrés.

L'air se chargeait des senteurs de l'herbe coupée, des fleurs meurtries ; l'une d'elles était épinglée à son corsage, dans un nid de dentelle blanche. Les mots s'écoulaient, avec la légèreté inconsciente de la prime jeunesse :

« C'est là que je voudrais vivre. Pour toujours... »

Il secoua la tête pour dissiper sa rêverie : c'était l'automne, pas le printemps. Les arbres portaient leur dernière parure qui se délitait lentement. Le tapis de feuilles mortes craquait sous ses pas fatigués.

« Pour toujours, Every... »


Texte publié par Beatrix, 2 novembre 2021 à 12h09
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