Mon cher cousin,
Face à votre silence prolongé, il m'est venu à l'idée que vous n'aviez peut-être, tout simplement, pas reçu mes lettres. Je les confie habituellement à l'une des bonnes qui les porte en ville. Mais j'ai décidé, cette fois-ci, de faire autrement.
Même si je suis sans cesse sous le regard de madame Fooley et de lord Henry, j'ai l'intention de glisser ce pli au jardinier qui n'a sans doute pas eu de consignes pour retenir mon courrier. J'espère juste que mes lettres précédentes n'ont pas été lues : je ne voudrais pas qu'ils découvrent que j'ai conservé ma clef.
Je crains toujours, si vous recevez ma missive, qu'on ne me remette pas votre réponse... Je tiens malgré tout à vous confier mes dernières et terribles constatations. Vous allez vous dire que cette fois, je suis devenue folle, totalement, irrémédiablement folle. Mais il ne m'est plus possible d'ignorer ce qui se trame autour de moi.
Afin d'endormir la méfiance de madame Fooley et des Shimmering, j'accepte de me conformer de nouveau à l'attitude qu'ils attendent de ma part. Je porte les robes somptueuses que l'on m'envoie, je laisse la gouvernante m'apprêter pendant des heures devant la coiffeuse.
Bizarrement, à force de regarder mon reflet, il m'a semblé voir des ombres furtives qui se mouvaient dans les profondeurs du miroir. Mon image me contemple en retour et, parfois, j'ai le sentiment qu'elle arbore une expression qui m'est étrangère. Cette impression est sans doute le fruit de mon imagination, dû à mon emprisonnement entre ces murs dans lesquels je me sentais pourtant si bien, à mon arrivée.
Je n'ai pu m'empêcher de repenser à ma rencontre avec le frère de lord Henri à la bibliothèque. Je sais que je vais faire quelque chose de très imprudent, mais je veux vérifier un fait important, une bonne fois pour toutes. Dès que ce courrier sera parti, je me rendrai dans l'aile qui m'a été interdite. Heureusement, j'ai toujours la clef de ma chambre, que j'ai conservée sur moi. Bien m'en a pris, car je suis persuadée que mes affaires ont été fouillées. Même mon écritoire et mon papier semblent avoir été subtilisés : c'est la raison pour laquelle cette lettre a été rédigée à la mine de plomb, au revers d'une des vôtres.
Je tremble à l'idée de cette expédition à venir. Il y a peu de chance que je reçoive votre prochaine missive, mais je veux encore espérer...
Votre affectionnée cousine,
Elisand Hartley
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