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tome 1, Chapitre 3 « Le scientifique » tome 1, Chapitre 3

Entrée numéro : 5 475

Sujet : Pan Paniscus

Objet : Test #4 - Méthode Milwaukee

Le sujet PP-004, Pan Paniscus mâle a été choisi parmi les PP-R restants. Âge : 20 ans. Poids : 46 kg. Taille : 1 m 02. E.C.G normal à l’arrivée au laboratoire et bilans médicaux normaux.

J’ai procédé à la première partie de l’intervention : administration de l’agent hypnotique Propofol. Premiers signes d’agressivité et d’instabilité chez le sujet détectés (cherche à mordre, hypersalivation et tension artérielle élevée). Il semblerait que le patient soit capable d’annuler les effets du sédatif. S’agit-il d’une conséquence de la modification de son A.D.N ou une résultante de son agressivité naturelle ?

Entrée numéro : 5 476

Sujet : Homo Sapiens Sapiens

Objet : Annonce de la prochaine intervention médicale.

Le sujet, égal à lui-même, a réagi de manière disproportionnée à l’annonce de sa guérison future. À mon entrée dans la chambre de COLE, vérification de sa tension artérielle et de sa température corporelle. Signes normaux. Une fois l’information importante transmise, les symptômes de sa maladie se sont révélés : élévation de la tension, fièvre supérieure à 38° Celsius, hypersalivation, dilatation pupillaire, hausse de son agressivité.

Visite non concluante. Sujet toujours dans le déni. L’intervention sera effectuée sans son consentement dans la journée du 15 décembre.

À réaliser la veille de l’intervention : I.R.M + prise de sang. Bilan global et vérification du nombre de leucocytes.

Jedefray écrasa son dos contre le dossier du fauteuil, non sans soupirer sous le coup de la fatigue. Il passa une main sur ses yeux, puis se massa les tempes : la migraine commençait à poindre. Assez pour le faire souffrir, pas suffisamment pour l’amener à éteindre son ordinateur ni les lumières de cette pièce de contrôle. D’après les écrans de surveillance, Cole se débattait toujours dans son lit, tel un forcené. Une chance qu’il fut attaché. Il n’aurait pas manqué de contaminer son père s’il avait réussi à le toucher. Le scientifique se para d’une grimace quand il s’imagina dans un état aussi grotesque. Plutôt mourir que de se donner ainsi en spectacle.

Il ne manquait plus que Sven au tableau. L’idiot du village, comme aimait à l’appeler son aîné. Tellement stupide qu’il en oublia le légendaire dégoût des chiens de Jedefray quand il entra avec Lambda. Le scientifique se para d’un rictus d’amertume lorsqu’il vit le clébard, la langue pendante, ravi de son “petit tour dehors”. Quelle plaisanterie ! C’était bien une idée de Sven, de s’encombrer ainsi d’un canidé inutile. Au moins, il pouvait se vanter de ne pas incarner le plus débile des quatre êtres vivants agglutinés au sous-sol de l’entreprise pharmaceutique

— Putain, cracha l’énergumène à la vulgarité sans pareille, j’entends l’gamin gueuler depuis l’autre bout du couloir, tu lui as fait quoi, encore ?

Jedefray grogna : toute son énergie le quitta au moment où il s’imagina expliquer la situation à son frère. Sven n’y comprendrait rien, comme d’habitude. Le scientifique espéra éluder la question avec une réponse vague :

— Tu connais ton neveu… Il s’énerve dès que je lui souhaite une bonne journée ou encore son anniversaire. Alors, lui parler médecine…

Lambda se laissa tomber au sol, déjà las de cette discussion qui n’aboutirait à rien de positif. Mais Sven insista :

— Comment t’expliques que, moi, j’arrive à lui parler sans qu’il veuille tout défoncer ?

Une phrase acerbe brûla les lèvres de Jedefray, mais il préféra s’abstenir. Il se contenta de hausser les épaules et de déclarer avec toute la simplicité du monde :

— Tu ne lui parles pas médecine, toi.

Il exerça une pression du pied : sa chaise roulante se dirigea vers la machine à café non loin. Un peu d’eau, une dosette et le tour était joué. L’or noir se déversa dans le mug à l’effigie de la promotion 1998, classe de Master BCP* de l’université de Monroe. Sven maugréa :

— Justement, ça lui ferait pas de mal, au gamin, que tu lui parles d’autre chose…

Jedefray renâcla. Il répondit avant de porter son café à ses lèvres :

— Comme si j’avais du temps à perdre.

Sven évita de répondre. Le silence valait mieux qu’une énième dispute dont il sortirait perdant. Jedefray le félicita mentalement d’avoir au moins acquis ce trait d’esprit.

— Faut que tu m’dises ce qui s’est passé, sinon je saurai pas le calmer, raisonna le complice.

Jedefray sirota son café avec son flegme habituel. La fatigue lui piquait les yeux, il irait dormir quelques heures, une fois le protocole pour le 15 décembre écrit dans sa globalité.

— Laisse-le donc s'époumoner un moment, il finira par se calmer tout seul, assura le scientifique.

Sven pesta :

— D’épuisement ? Tu veux vraiment le laisser dans cet état ? T’imagines un peu, ce qu’il ressent, là ? Regarde-le !

Sur la vidéo de surveillance, le jeune homme hurlait, les traits tirés, les veines de son cou et de son front saillantes. Il s’arrachait les bras à gesticuler dans tous les sens. Les entraves de cuir se teintaient de rouge, des traces de sang suintaient de ses poignets et se déversaient petit à petit sur le drap du lit. Jedefray se résolut à éteindre le moniteur sous les yeux médusés de son frère :

— Voilà. Problème réglé.

— Tu t’fous de ma gueule ?

Jedefray se fendit d’un sourire angélique, comme s’il venait de raconter la blague de l’année :

— Sven, je suis fatigué. Je voulais encore travailler un peu avant d’aller dormir, mais la conversation vient d’épuiser mes dernières réserves. Si tu veux essayer de raisonner Cole, grand bien te fasse. Sa chambre est juste à côté. N’oublie pas d’emporter son foutu clébard avec toi en sortant.

Lambda grogna devant l’insulte. Jedefray ne s’en offusqua pas. Il se leva, s’étira les bras et entreprit de laver son mug dans le petit évier au fond de la salle.

— Je vais nulle part tant que tu me racontes pas ce qui s’est passé, insista Sven.

Jedefray releva les yeux de sa vaisselle, il perdait patience avec cet abruti. “C’est bien nos parents, de faire le brouillon après le chef d’oeuvre.”, pensa-t-il non sans une pointe d’humour. Il adopta un ton plus acerbe pour lui rabattre le caquet une bonne fois pour toutes :

— Sven, mon cher frère, je ne vais pas commencer à te raconter quelque théorie scientifique que, de toute façon, tu ne comprendras jamais. J’ai essayé de l’expliquer à ton neveu et, comme tu vois, ses limitations intellectuelles font qu’il n’a pas saisi le message. Je lui ai dit avoir un moyen, enfin, de le guérir, mais il a occulté cette partie. Il préfère se focaliser sur le procédé. Qui lui échappe complètement. Donc il s’énerve tout seul. Cole, quoi… Rend-toi à l’évidence : le cerveau, ici, c’est moi. Vous deux… disons que vous avez d’autres…capacités. Je ne me rabaisserai pas à vulgariser les tenants et aboutissants du processus, juste pour ton petit confort personnel. Sur ce, bonne… journée ? Nuit ? Qu’importe.

D’un geste théâtral de la main, il quitta la pièce pour se rendre dans celle d’à-côté où il s’était aménagé une petite chambre avec tout le nécessaire pour rester au laboratoire. Sven soupira, le cœur lourd. Comme d’habitude, c’était à lui, de réparer les pots cassés.

— Allez, viens, Lambda. On va voir ce qu’on peut faire pour ton maître…

Pas grand chose, sûrement. Sven regarderait Cole sans le voir, à se traumatiser de le voir prisonnier de cet état psychotique dans lequel il venait de s’enfermer. Il encaisserait, comme tous les jours depuis quinze ans. Une chose était sûre : Cole ne passerait pas ce cap seul. Sven se tiendrait à ses côtés, coûte que coûte. Pour son bien.


Texte publié par Albane F. Richet, 28 avril 2022 à 19h24
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