Cole n’était pas malade. Dawn en était convaincue et s’en réjouissait. Jamais elle n’aurait osé le toucher de cette manière s’il y avait eu le moindre doute. S’il y avait le moindre souci avec lui alors il n’était pas contagieux. Elle n’aurait jamais tenu 24 heures en sa compagnie. Elle se délectait de la tiédeur de son ventre contre sa paume, de la mélodie de son cœur dès qu’elle esquissait un mouvement quelconque. Quand les publicités succédèrent au documentaire, elle releva la tête vers cet homme si mystérieux.
— Je peux te poser une question indiscrète ? demanda-t-elle tout en remarquant pour la première fois l’apaisement sur les traits de son visage.
Il n’avait plus rien du garçon peureux, anxieux et renfermé qu’elle avait côtoyé dans le métro. Le petit garçon perdu avait retrouvé le chemin de la maison et, ce faisant, avait placé les pièces du puzzle de son identité. Il avait mûri. Même si chaque révélation à son sujet l’avait fragilisé, il y avait chez lui une assurance nouvelle. Celle de l’homme qui sait d’où il vient, à défaut de savoir où il va. Le temps d’assimiler les récents événements, le temps de guérir et Cole avait tout le potentiel de devenir un homme bien. Fédérateur. A la fois généreux et combatif.
— Dis toujours.
— Qu’est ce que tu caches sous ton bandeau ?
Le vent de l’hiver passa entre eux. Ou l’aura de la peur ? Dawn n’aurait pu le définir avec précision, mais elle arqua les sourcils lorsque le voile de la honte se déposa sur les épaules de son ami.
— Mon oeil, dit-il en évitant avec soin de la regarder.
Quelles horreurs pouvaient bien lui passer en tête pour que cette grosse ride lui apparaisse au milieu du front et prenne de l’ampleur au fil des secondes ? Dawn s’en voulut de l’avoir ainsi renvoyé au sous-sol du laboratoire. Elle amena ses doigts contre son menton et l’obligea à tourner délicatement la tête vers elle.
— Qu’est-ce qu’il a de mal, cet oeil, pour que tu le laisses dans l’ombre comme ça ?
La pomme d’Adam de Cole tressauta avant qu’il ne réponde, évasif :
— Jedefray… avait honte de… ça. C’était humiliant. Je lui ai juré de jamais l’enlever en sa présence.
Dawn se redressa, observa les alentours et déclara :
— Bonne nouvelle : il n’est pas dans le coin !
A la manière dont Cole mordilla sa lèvre, Dawn devina le combat intérieur qu’il s’imposait.
— Je voudrais pas…
Il chercha ses mots. Dawn se retint d’interrompre le flot de ses pensées.
— … qu’à cause de ça, tu me vois… comme lui me voit.
— C’est-à-dire ? s’inquiéta la jeune femme. Comment est-ce qu’il te perçoit ?
L’iris aigue-marine jaugea la réaction de son interlocutrice quand Cole murmura :
— Comme un monstre. Une erreur. Le genre qui se gomme pas.
Dawn frissona, les larmes au bord des yeux, profondément touchée à l’idée qu’un être humain puisse autant se déprécier. Jedefray avait agi en maître : il avait détruit Cole à coup de mots, d’affirmations, de gestes, d’émotions négatives à son encontre. Pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, elle voyait l’anpleur des dégâts que le scientifique avait réalisé au fil des années sur son cobaye. Elle n’avait imaginé que la partie immergée de cet iceberg.
— Tu penses que, moi, je pourrais te voir comme ça ? s’enquit-elle avec un trémolo dans la voix.
Toujours cette façon de se mordiller les lèvres. Il serra les dents et répondit par une autre question :
— Est-ce qu’un père pourrait voir son fils comme ça ? Même si c’est pas vraiment mon père, mais… lui le croit, alors…
Il se tritura les doigts. L’anxiété grimpait en flèche, Dawn la sentait se répercuter sur elle à la manière d’un mur invisible. Un mur à briser.
— On ne choisit pas sa famille. Par contre, on choisi ses amis. Les gens qu’on aime. Est-ce que tu me fais assez confiance pour ôter ce dernier lien qui t’empêche d’être toi-même.
Il poussa un long soupir trop lourd à porter pour son coeur.
— Si je l’enlève et que… tu me détestes… tu me trouves repoussant… Horrible. Affreux… Je le supporterai pas.
— Tu sais attiser ma curiosité, toi ! s’amusa-t-elle. Tu sais, je crois que je ne me supporterais pas non plus si je te méprisais pour si peu.
— Pardon ?
Son air désarçonné la lança dans un rire sonore. Elle s’expliqua :
— Détester quelqu’un pour une caractéristique physique, c’est quand même vachement hypocrite. J’aime déjà beaucoup l’homme que j’ai devant moi. Autant en dehors qu’en dedans. Je vois pas comment l’allure de ton oeil caché pourrait changer ma perception de toi.
— Elle a changé celle de Jedefray.
— Je ne suis pas Jedefray.
Son ton tranchant coupa court à tout débat. Personne n’était comme Jedefray. Jedefray était unique, comme chaque être humain. Il avait ses façons de faire. Dawn avait les siennes et elle était heureuse de ne lui ressembler en rien.
L’éclairage de la télévision illuminait un côté du visage de Cole. Celui où, justement, se trouvait le cache-oeil. Cole porta ses mains vers ses oreilles, l’iris rivé sur Dawnie. Il combattit les remontées acides de son estomac qui lui brûlaient l’oesophage, une mise en garde. La peur, la vraie, celle qui attise les cauchemars et glace le sang, se terrait là, au creux de son ventre, sournoise et dangereuse.
Il stoppa son geste à mi-chemin, vint chercher les poignets de Dawnie. Lui, n’arriverait pas à ôter le bandeau de la honte seul. Les doigts de la jeune femme effleurèrent la lanière, la remontèrent jusqu’au fermoir qu’ils firent sauter dans un clic ! sonore. Avec délicatesse, Dawn décolla le cuir de la peau de Cole. Une entrave de moins. La dernière. Cole ferma les deux yeux, le souffle court.
La paupière gauche ressemblait en tout point à la droite. Dawn attendit, patiente, sans brusquer Cole. Il lui révèlerait son secret quand il serait prêt. Il avait déjà franchi l’étape la plus difficile.
Il inspira un grand coup, ses bras tremblèrent sous la tension qu’exerçait l’anxiété sur ses nerfs et fit papillonner ses paupières. Quand il consentit à les ouvrir tout grand, enfin, il porta toute son attention sur le cuir du canapé, effrayé à l’idée de découvrir la déception, le mépris, la haine dans le regard de cette femme qu’il aimait profondément. Il ne lui manquait plus qu’une dose de courage. Celle-là même qui l’avait poussé à prendre Jedefray dans ses bras pour lui voler son badge et à fuir la prison maudite où on l’avait séquestré. Le coeur au bord des lèvres, il osa. Son iris aigue-marine se posa sur ceux, joliment bleus, de son amie.
Cole retrouva le souffle quand il vit le sourire de Dawn. Un gage de reconnaissance pour lui faire ainsi confiance. Elle savait combien cette mise à nue lui était difficile.
— Il est juste révulsé, ton oeil, remarqua-t-elle. Rien d’horrible ! C’est pas commun, certes, mais de là à te mépriser…
Elle haussa les épaules, puis caressa la paupière de l’oeil meurtri avec son pouce. Tant de douceur grisa l’homme encore trop peu habitué à ces gestes d’affections. Il ne pourrait plus jamais vivre sans, désormais. Ce n’était pas de la colère, qui naquit au fin fond de son ventre. C’était autre chose. Une chose qu’il ne maîtrisait pas encore.
— Tu sais, reprit Dawn, je vais me faire l’avocate du diable, mais… Je ne suis pas sûre que ce soit l’apparence même de ton oeil qui répugne autant Jedefray.
— Comment ça ? murmura-t-il comme si le volume de sa voix avait le pouvoir de faire fuir la main caressante de sa compagne.
— Eh bien… Je peux me tromper, mais… Ceux qui ont les yeux révulsés, en général, ce sont les défunts. Je ne serais pas étonnée que, quand ton père… enfin Jedefray, convaincu d’être ton père, regarde cet oeil, il voit plutôt sa propre erreur. Celle de t’avoir lâché du regard un instant ? Assez longtemps, en tout cas, pour que son petit garçon se fasse faucher par un véhicule. Cette… grimace de mépris qui lui tord le visage quand il observe la sclérotique de ton oeil, ce n’est pas à toi qu’elle s’adresse. C’est à lui. Ce qu’il voit, ce n’est pas ton oeil. C’est ta mort. Par sa faute.
Cole demeura interdit, incapable d’imaginer Jedefray avait autant de complexité. Est-ce que le fait d’ensevelir sa mère six pieds sous terre, d’enfermer celui qu’il croyait être son fils pendant des années et de lui faire subit mille tortures jusqu’à vouloir lui ouvrir le crâne avait comme déniminateur commun son oeil révulsé ? La théorie semblait ridicule, mais la manière dont Dawn l’avait amené avait fait frissonner Cole. L’espace d’un instant, il avait compris Jedefray. Il s’était mis à sa place. Il avait eu un soupçon d’empathie pour lui. Mais qui s’était bien vite volatilisé.
Dawn l’entoura de ses bras et vint déposer un simple baiser sur la paupière de l’oeil qu’on avait emprisonné toutes ces années.
— Reste comme tu es, d’accord ? C’est comme ça que je t’apprécie.
Ce “je t’apprécie” sonnait davantage comme un “je t’aime”. Trop tôt pour évoquer un mot si lourd de sens, trop tard pour nier ses sentiments. Cole se rendit à l’évidence : il l’aimait aussi. Au fond de lui, il le savait. Mais, maintenant que l’idée était lâchée, il en était convaincu. Il aimait Dawn. Il voulait Dawn. Il se passionnait pour tout ce qu’elle était, tout ce qu’elle représentait. Son ouverture d’esprit, sa clairvoyance… Tout chez elle le troublait. Au point où il abandonna tout contrôle et se risqua à l’embrasser quand ses lèvres se démarquèrent de son oeil. Comme ça. Une folie, peut-être, mais qui eveilla en lui un flot d’émotions et d’hormones dont il ne soupçonnait pas l’existence.
Dawn accepta la chaleur de ses lèvres contre les siennes. L’espace d’un instant, elle se rappela que, peut-être il était malade, mais revint à la raison. Non. Avec Sven et Calvin, ils en étaient arrivés à une conclusion à laquelle elle devait se cramponner. Elle leur faisait confiance, surtout à Calvin. C’était lui, le biologiste. Elle se rasséréna. Elle n’avait plus peur depuis un moment et ne souhaitait pas tout gâcher avec un relent d’hypocondrie. Elle lui rendit son baiser avec langueur, conquise par la chaleur bouillonnante de son corps contre le sien.
Libre. Cole laissa libre court à ses pulsions. Libre. Il avait le droit d’être lui. Cole Ezeckhiel Coldman. Sans entrave. Sans secret. Loin du sous-sol où on l’avait laissé pourrir. Il s’épanouissait, tout à coup. Ses muscles de tendirent, ses nerfs vrillèrent tandis que, libres aussi de leurs vêtements, ils se collèrent à nouveau en une étreinte charnelle. Cole voulait Dawnie. Presque agressif. Il lui mordilla l’épaule, effrayé à l’idée de remonter jusqu’à la carotide. Les doigts de Dawn sillonnèrent son torse, le chatouillèrent un peu. Ils descendirent plus bas. Cole retint un hoquet de surprise et la laissa faire. Elle le guida dans cette danse sensuelle dont il était ingénu. Leurs soupirs se répandirent en écho, les pores de leur peau transpirèrent toute la chaleur torride de leur étreinte. Le plaisir monta, encore, si proche. Jusqu’à atteindre son paroxysme.
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