Cole relut sans comprendre les inscriptions sur le carnet. Il caressa le papier rugueux, suivit du doigt chaque ligne qu’un stylo avait tracée et se creusa les méninges pour faire sens des symboles listés là, avec l’écriture approximative de l’homme dont la main avait difficilement suivi le rythme de pensée du cerveau.
Rien n’avait su le perturber de son analyse minutieuse pendant tout le reste de l’après-midi. Il avait refusé de s’alimenter. Il n’avait pas faim, lui-même bouffé par ses émotions contradictoires. Cole n’avait pas imaginé tout ce que suivre Sven jusqu’à cette baraque allait lui révéler. Chaque secret, chaque découverte, pesait sur son estomac à la manière d’un poids qu’il avait hâte de régurgiter. Au moins, on lui avait foutu la paix.
“On accepte l’idée que Cole n’est pas malade, alors” ? La question ingénue de Dawnie attira les murmures de Sven et Calvin. Ils s’accordèrent. Le fautif, c’était Jedefray. La mort d’Ana n’avait aucun rapport avec l’enfermement de Cole. C’était plutôt son retour miraculeux à la vie qui l’avait voué à ce destin tragique. Ça faisait sens. Sven ne l’acceptait pas. On n’avait pas pu le duper à ce point. Pourtant… C’était pas lui, le con de la famille ? Le bon à rien ? Celui qui comprenait que dalle? La pointe de rage, au fond de Cole, l’obligea à proférer ces phrases abjectes. Un besoin stupide, irrationnel, de blesser celui qui avait été témoin de ses souffrances. Celui qui aurait pu lui susurrer bien des années plus tôt sa vraie nature.
Son. Père. La nouvelle remontait le long de ses bras à la façon d’une lame acide. Sven l’avait su tout ce temps, mais n’avait rien dit. Comme d’habitude. Cole l’avait appelé “tonton” ou “mon oncle” sans que l'intéressé ne hausse un sourcil surpris. Il avait délibérément gardé Cole dans l’ombre de sa caverne et n’avait jamais eu l’intention de l’amener vers la lumière et la connaissance.
Il dégrafa d’un coup sec la feuille noircie du calepin et la déchira avec une infinie lenteur. Le long “scratch” emplit ses oreilles, tel un murmure chatoyant, et soulagea les pensées noires qui l’attaquaient. Il ferma l'œil et s’imagina couper les liens délétères qui le retenaient au bourreau et à son complice. Les liens de cuir. Les liens invisibles. Les liens de sang. Il n’était pas malade. Il ne l’avait jamais été et, tandis qu’il abandonnait spirituellement son passé, il se focalisa sur sa liberté nouvelle. On le croyait. On l’écoutait. Le scientifique ne pourrait plus rien contre lui, désormais. Cole pourrait vivre comme tout le monde.
De belles idées qui lui attirèrent un sourire béat. Il rouvrit l'œil pour découvrir Lambda à quelques centimètres de lui, les oreilles dressées. Il remuait la queue au rythme d’un métronome. Cole lui asséna une caresse sur la tête et Lambda chercha à lécher l’intruse.
— J’vais me pieuter, déclara Nours en tapotant l’épaule de son compagnon. J’suis encore bien claqué, j’ai besoin de repos.
— Ok, répondit Cole.
Il se convainquit de la superficialité de sa réponse. Quelque chose — mais quoi ? — le poussa à rassurer son ami :
— T’inquiète. Ça ira. Dors bien, Nours.
— Tu peux compter sur moi.
Le bruit des pas de l’homme s’estompa à mesure qu’il montait les marches. Sven était parti bouder après les propos acerbes de Cole à son encontre. Celui-ci ne les regrettait pas. Sven les méritaient. Il tût la pointe de culpabilité qui lui scia les cottes.
Il se cala au fond du canapé et alluma la télévision. Impossible pour lui d’aller dormir maintenant. Encore moins dans la chambre de Sven. Il zappa d’un film de Western à une publicité vantant les mérites d’une friandise pour chiens. Lambda souffla. En général, il cernait à peine le goût du biscuit qu’il l’avait déjà gobé. Cole caressa le Colley. Il expérimentait pour la première fois la relaxation totale : son ami, une assise confortable, de quoi le divertir… et la certitude qu’on ne viendrait pas lui faucher quelques fioles de sang ou qu’on ne l’attacherait pas à son lit. Le calme. Il jeta son dévolu sur un documentaire qui traitait de la régénération des plantes.
— Ça va ?
Il sursauta. Il n’avait pas entendu Dawn sortir de la salle de bain. Elle se cala sous sa couverture, surprise de croiser son compagnon dans son lit de fortune. L’homme à la télévision coupa une feuille d’Arabette. Juste pour prouver sa théorie. Un comportement qui amena une grimace sur le visage de Cole.
— Ouais… J’espérais que ce reportage me rappelle des moments avec ma mère… Mais ce gars me fait juste penser à Jedefray. Il est là, il essaie des trucs sur un être vivant qui a rien demandé. Bref, il me casse les noix.
Dawn arqua un sourcil :
— Je ne te savais pas si préoccupé par le sort des fleurs.
— C’est pas une fleur, c’est… une plante.
L’air interdit de Dawn l’obligea à rétorquer :
— Quoi ? J’ai lu plein de livres sur les végétaux, quand j’étais au labo.
Dawnie hocha la tête :
— Du coup, tu es incollable sur le sujet ?
— Je sais au moins faire la différence entre une plante et une fleur. La plante, c’est tout le végétal. Mais toutes les plantes n’ont pas de fleurs. D’ailleurs, tu savais qu’elles communiquaient entre elles ?
La passion s’empara du cœur de Cole. Au moins un point commun qu’il entretenait avec sa mère.
— Y a même eu une étude, genre l’année dernière, qui disait qu’elles utilisent des ondes comme les dauphins pour dire quand elles sont stressées.
Plus il expliquait le phénomène, plus il joignait le geste à la parole. Dawn écoutait sans broncher, amusée de ces mimiques nouvelles.
— Et aussi, elles se régénèrent elle-même grâce à une hormone végétale. En quelques heures les lésions disparaissent, c’est cool, hein ?
Au même instant, le scientifique à la télévision cessa de malmener sa pauvre Arabette et déclara : La jasmonate a stimulé la production d’auxine quand les feuilles ont été coupées de la tige, tel un signal de lésion.
De quoi épater Dawnie, pour la plus grande fierté de Cole.
— Alors là, bravo ! Je m’incline.
Cole ne put empêcher un rire de s’échapper. Son œil rencontra les prunelles sapphire de son amie. Il avait la folle envie de rester là, dans ce canapé, auprès d’elle, toute la nuit. Et après ? Les jours prochains, que feraient-ils ? Son sourire s’estompa.
— J’ai l’impression que plus je fuis Jedefray, plus je m’en rapproche.
Le narrateur du documentaire poursuivit sur sa lancée, il expliqua que certaines plantes pouvaient être urticantes, tandis que d’autres libéraient des toxines si elles se sentaient menacées.
— Je ne suis pas sûre de suivre ton raisonnement.
— Le jour où j’ai fui… j’ai cru être libre. En réalité, il m’a traqué comme une bête. Il… me manipule. Il cherche à me faire croire que j’suis un putain de malade assassin.
Face à sa colère grondante, il retint une envie fulgurante de vomir. C’était fou l’effet que parler de Jedefray lui provoquait.
— Je sais pas trop ce qu’il se passe à Monroe… mais ça me paraît impossible qu’il s’agisse d’une coïncidence.
Dawn le toisa :
— Tu penses que ça a été provoqué ?
Cole acquiesça. Plus il y pensait, plus il était certain du rôle qu’avait joué Jedefray dans cette affaire. Histoire de faire croire à son “fils” combien il était dangereux. Qu’il devait rentrer à la maison, puisqu’il échouait tant à le rattraper lui-même.
— Peut-être même qu’il a essayé de me tuer parce qu’il a bien vu que, peu importe les circonstances, je reviendrais jamais au labo.
— Possible, déclara Dawn perplexe. Tu crois vraiment qu’il aurait pris le risque de déployer un virus capable de rendre autant de monde malade en si peu de temps ? Je veux dire… il n’a sûrement aucun contrôle sur la situation… Ce serait complètement idiot.
Cole haussa les épaules :
— Ou suicidaire. A moins qu’il ait bien plus le contrôle qu’on ne l’imagine.
Dawn secoua la tête :
— Ce serait immonde.
— Mais Jedefray tout craché.
— Quelle horreur.
Dawnie se raidit, en proie à une terrible anxiété. Elle formait une aura de tension autour de son corps et intimidait Cole. Il se rendit à l’évidence : il supportait de moins en moins de voir son amie souffrir en silence. Le jeune homme résista à l’envie de la serrer fort contre lui. Lui, avait toujours eu la sensation d’étouffer, lors de telles accolades. Il serait logique qu’il en soit de même pour elle.
D’un autre côté, c’était un cas de figure tout à fait différent. Sven et Jedefray entouraient Cole de leurs bras pour l’entraver. L’empêcher de nuire ou de se blesser. Il n’avait pas la même intention avec la jeune femme. Ce désire, mûe d’une émotion intense qu’il ressentait en sa présence mais comprenait à peine, s’exacerbait à chaque nouvel instant passé en sa compagnie. Comment pouvait-il associer ce geste à de la douceur ? Dee la compassion ?
Ses pensées s’emmélaient, son cerveau carburait quand Dawnie fit le premier pas. Elle se pencha et se blottit contre lui, couverture remontée jusqu’au cou. Le coeur de Cole s’accéléra. Elle devait le sentir. Ses joues brûlèrent à cette idée. La honte ! Il inspira profondément, s’évertua à reprendre le contrôle de son corps sans grand succès. A la télévision, le scientifique continuait d’élaborer sur les différents types de plantes. Cole amena son bras contre son amie. Il ne serra pas. Pas la peine. Il n’était ni son père, ni son oncle. La main de Dawnie serpenta le long de son ventre au creux duquel les papillons, agréables, s’agitèrent. Elle releva la tête. Ses lèvres s’étirèrent. Elle vint déposer un baiser sur sa joue. Il lui rendit son sourire.
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