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tome 1, Chapitre 45 « Le secret de Sven » tome 1, Chapitre 45

L’heure approchait. Bientôt, Cole rentrerait de son petit tour sur la propriété avec Lambda. Il lui faisait confiance. Son neveu reviendrait. Pas le choix. Sven n’avait pas tout dit. il n’avait pas encore régurgité les horreurs qui lui sciaient le ventre jour après jour depuis toutes ces années. Ce voile de destruction qui planait au-dessus de sa tête et l’enveloppait à la nuit tombée ou dès qu’il foutait un pied au laboratoire.

Son cœur frémit. Sa cage thoracique se comprima. Peut-être que Cole ne comprendrait pas. Peut-être qu’il persisterait à croire son oncle fautif, au même titre que Jedefray. Un obstacle. Un adversaire. Sven n’avait jamais cherché autre chose qu’un allié chez ce gamin. Ils étaient à la maison. Ça y est. C’était le moment. Le moment de tout balancer. Se dédouaner de Jed’ pour de bon. Se libérer de son emprise malsaine, de ses idées farfelues. Couper ce lien délétère qui empêchait Sven et Cole d’avancer depuis leur naissance respective. Jed’ ne savait que séduire. Et détruire. Aucun juste milieu. C’était Sven, justement, le juste milieu dans ce trio infernal. Ce n’était pas un cercle vicieux. C’était un triangle avec Sven et Cole sur chaque point du bas et Jedefray à la tête. Le marionnettiste qui faisait ce qu’il voulait de son frère et son fils. Il était temps de changer le prisme d’angle.

Sven inspira un grand coup, le corps et les muscles tendus. Assis sur le canapé, il avait posé les coudes sur ses genoux et croisait les mains. Calvin aidait Dawn à ranger la vaisselle du petit-déjeuner dans un silence solennel : ils respectaient le besoin de préparation mentale de Sven. Il ne leur avait rien dit, mais sa pâleur et les sursauts frénétiques de sa jambe parlaient pour lui.

— Entre nous, murmura Calvin à l’intention de Dawn, je vois pas ce qui peut être pire que d’emmener Cole sur sa propre tombe…

— Je crois pas que ce soit pire, répondit son interlocutrice. C’est l’accumulation de tout qui rend la situation… imbuvable. Pour n’importe qui.

Calvin acquiesça d’un grognement pendant que Sven se demandait par quoi il allait commencer. Les bons moments vécus après sa naissance ? L’année qui avait suivi sa mort ? Il fallait tout lui dire. Tout. Mais, Sven doutait de réussir ses explications, surtout qu’il n’avait jamais vraiment compris les faits et gestes de son frère. Peut-être qu’en montrant à Cole le bureau de Jedefray… Puisque c’était Jed’ la majeure partie du problème, autant qu’il soit aussi la clé qui ménerait à la solution. Fort de cette idée, Sven se leva, prêt à discuter entre adultes avec son neveu.

La porte d’entrée s’ouvrit à la volée. Dawn et Calvin sursautèrent.

— Où il est ? vociféra Cole en s’avançant dans la pièce.

Lambda se planta droit devant Sven et grogna. Quand l’aigue-marine de Cole rencontra ceux de son oncle, celui-ci y lut une haine aveuglante à son égard.

— Cole ? Qu’est–ce que…

Le furibond se jeta sur lui. Le plaqua entre l’enceinte et la télévision accrochée au mur. Sa main se referma sur la gorge de son oncle qui cracha de la salive. L’air entrait à peine dans sa gorge. Il plaqua ses deux mains contre le bras de Cole dont la force soudaine l’empêcha de s’extirper.

— Tu savais ! ragea Cole. Tu savais qu’elle était pas morte !

Sven s’exprima en borborygmes. Cole serrait trop fort. Sa pomme d’Adam compressait son oesophage. Il rougit jusqu’au front.

— Cole, lâche-le ! s’exclama Calvin en l’entourant par la taille et en le tirant en arrière.

Le geste raviva la douleur entre son pouce et son index. Menace d’une mort prochaine ? De la maladie qui prenait son temps à se manifester ? Calvin se concentra. Cole était un poids plume ! Pourtant, pas moyen de le déloger.

Lambda aboya contre Sven, toutes dents dehors, prêt à mordre. Il n’attendait plus que l’ordre du maître.

Dawn essaya d’obtenir l’attention de l’assaillant. En vain. Il n’écoutait pas. Rendu sourd par sa rage foudroyante. Les lèvres de Sven virèrent au bleu. Petit à petit.

— Cole ! essaya Dawn. Si tu ne le lâches pas, maintenant, alors tu ne vaux pas mieux que ton père !

Un courant électrique le traversa tout entier. Il ôta sa main de son oncle qui tomba telle une masse sans force au sol. Calvin lâcha son ami. Sven toussa. Cracha. Un filet de sang vint tacher le tapis sous lui.

Ce n’était pas assez. La colère. Trop forte. Les papillons dans le ventre de Cole. Dans une agitation frénétique. Les relents acides. Brûlants. L’oeil injecté de sang. L’hypersalivation. La fièvre.

Quand Sven fit mine de se relever, Cole lui asséna un coup de poing à la joue. De quoi le clouer à nouveau au sol. La tête de Sven lui tournait. Le coup fut si violent qu’il en perdit tout repère.

Calvin opta pour une clé de bras. Cole n’eut d’autre choix que reculer sous les yeux circonspects de Lambda. Qui était l’ennemi désormais ? Il était confus. Tout comme le maître.

Dawn aida Sven à se remettre debout. Sa respiration rauque témoignait du traumatisme infligé à sa gorge.

— Ca va ? demanda la jeune femme.

Sven acquiesça.

— Bon sang, Cole ! Qu’est-ce qui te prend ? s’enquit-elle sur un ton autoritaire.

Sa voix se brisa. Cole la jaugea. Etait-ce des larmes qu’elle réprimait ? De la peur. Il l’avait effrayée. Tout ce qu’il avait voulu éviter depuis leur rencontre dans le métro. Il inspira une fois, deux fois, trois fois. Jusqu’à ce que les battements de son coeur réduisent en intensité. Il baissa la tête, penaud tandis que toute sensation de haine le quittait petit à petit. Il n’y avait plus que culpabilité, honte… et besoin irrépressible d’être accepté, aimé, par Dawn.

— J’suis… désolé, murmura-t-il à son intention.

— Ce n’est pas à moi qu’il faut dire ça, le sermonna-t-elle, c’est à Sven. Tu l’as agressé sans raison.

Cole fut piqué au vif. Il y avait une raison. Très bonne, d’ailleurs. Sven gronda :

— J’en ai pris des raclées dans ma vie, mais celle-là… je l’ai pas vu venir.

Un rictus de dégoût se dessina sur les lèvres tremblantes de Cole. Il reporta son regard sur son amie, sa lumière dans la tourmente. Elle saurait le guider.

— J’peux pas m’excuser. Il le mérite.

Les maxillaires contractées, Cole défia son amie du regard. Sven se malaxa la joue avant de le rabrouer :

— Ça va pas bien, non ? J’ai rien dit ni rien fait pour l’instant !

— Justement ! vociféra Cole. Tu dis jamais rien. Tu fais jamais rien. Pourtant, t’es tout le temps là !

Il le pointa du doigt, agressif :

— C’est bien ça le problème avec toi.

Sven se colla contre le mur. Il accusa le coup contre les os de son dos avec un gémissement plaintif.

— Ce jour-là, postillonna Cole, t’étais là et t’as rien fait non plus !

Un déclic. Une parole de trop. Ce moment où Sven n’accepta plus les remontrances. Les accusations. Les brimades. Les humiliations. Lui aussi, savait se défendre. Surtout contre son neveu qu’il avait en respect depuis sa naissance et dont il ne pouvait supporter les allusions péjoratives à son égard.

— Arrête, gamin ! cria-t-il plus fort que son adversaire. Tu sais pas de quoi tu parles !

Cole fit un pas vers son oncle. Muscles tendus. Prêt à frapper.

— Oh, si, je sais ! Je l’ai entendue ! Elle m’a appelé à l’aide. Vous l’avez enterrée vivante !

— Oh, nom de dieu ! s’exclama Calvin, le teint pâle.

— Mais ça va pas ? s’insurgea Sven en s’élançant vers son neveu. Comment tu peux croire que j’aurai laissé l’autre con faire un truc pareil !

Les deux hommes, visages contre visages, transpiraient la rage.

— Et comment j’pourrai croire l’inverse ? claqua Cole. T’as accepté ce qu’il m’a fait. T’as accepté aussi pour ma mère. Avoue !

Les larmes embuèrent les yeux de Sven. Une grimace déforma son visage. Cole affiche un sourire sardonique. Sven allait craquer. Tout avouer. Là, devant lui. Devant témoins.

— J’l’aimais, d’accord ? J’ai jamais voulu qu’il lui arrive quoi que ce soit. J’aurai mille fois préféré prendre sa place, ce jour-là, tu m’entends ! J’voulais pas… j’ai pas pu la sauver… j’ai rien pu faire, merde ! J’ai rien… pu faire. A aucun moment.

Sven se mordit les lèvres. Ce n’était pas ce morceau là qu’il avait voulu cracher. Il avait réussi à éviter le sujet quand Calvin et Dawn avaient trouvé étrange son implication dans la vie de sa belle-soeur.

Dawn et Calvin s’interrogèrent du regard. La froideur du silence écrasa les poumons de Cole. Il avait beau se répéter les propos de son oncle dans sa tête, ils refusaient d’avoir un sens réel pour lui. Il lui manquait encore des pièces, dans le puzzle géant de sa famille dégénérée.

— Je veux des réponses, Sven. Pas davantages de questions.

L’oncle en profita pour éluder le sujet qui l’angoissait tant à nouveau.

— Alors arrête de m’péter la gueule et… laisse-moi te raconter comment j’ai vécu les choses. Ce serait plus simple.

— Sven… Pourquoi Jedefray m’a ramené d’entre les morts… mais pas ma mère ?

Calvin se détourna :

— Faut qu’j’aille m’asseoir.

— Moi aussi, renchérit Dawn. Trop d’émotions dans ma vie, là.

Cole incita Sven à en faire autant et le quatuor se trouva fin prêt à dénouer les pensées du complice.

— On rembobine, commença Sven. C’est vrai que j’avais p’t’être un peu beaucoup de sentiments pour Ana. J’avais pas forcément envie de parler de ça, surtout que ça fera rien avancer du tout. C’est juste… Jed’ était pas souvent là et, que ce soit elle ou moi, on supportait mal d’être seuls dans nos baraques respectives alors, je venais souvent.

Calvin croisa les bras et Sven éteignit leurs derniers doutes :

— Oui, bon, ça va ! Debroe avait raison, tout à l’heure, y avait bien un truc entre elle et moi, voilà.

La lèvre supérieure de Cole se souleva en un rictus dégoûté face à l’image mentale qu’il se faisait de cette phrase. Lambda vint s’allonger contre son maître, Sven voulu alléger l’atmosphère :

— Un jour, elle est arrivée dans le salon toute souriante et, pour une fois, Jed’ était là. Alors elle en a profité pour nous dire qu’elle était enceinte. J’crois que c’était le plus beau jour de sa vie.

— J’te crois pas, le coupa Cole. Elle me détestait.

La rancoeur dans sa voix surprit tant Sven qu’il en vacilla.

— Ana t’aimait plus que tout, gamin. Le jour où tu as eu ton accident, elle… elle est devenue l’ombre d’elle-même.

Cole fronça les sourcils. Devant son désarroi, Sven l’encouragea à s’expliquer :

— Elle a dit… elle a dit que j’étais pas son… son fils. Que j’étais un monstre.

Dawn se fendit d’un “oh” de compassion et tapota le bras de son ami. Calvin se contenta d’un soupir courroucé. Les Coldman, hormis leur cobaye de service, lui courraient sur le système. Penser ces mots brisa le coeur du petit garçon que Cole avait été. Les entendre de sa propre bouche le ravageait. Il ravala un sanglot. il n’avait pas rêvé, ça s’était passé.

— Merde… tu te souviens de ça ?

Sven poussa un soupir écoeuré :

— Excuse-moi, gamin, j’avais pas réalisé… est-ce-que tu te souviens de ce qui s’est passé avant ? Ou après ?

Après, il y avait eu les coups de pelle. La voix de sa mère qui le suppliait de l’aider. Les bulles qui éclataient. Les arbres qui s’agitaient. La pluie, comme des coups, sur la vitre. Et le tic-tac de l’horloge de grand-père.

— Juste des bribes…

Sven se racla la gorge :

— Quand… quand t’es “parti”… comment dire… ta mère… elle est entrée dans une profonde dépression. Elle avait perdu sa raison de vivre, tu comprends ? Je te passe les détails…

— Non ! Je veux savoir. S’il te plaît. C’est important pour moi.

Sven jaugea sa réaction. Il pesa le pour et le contre, puis céda :

— Pour tout te dire, elle voulait plus manger. Elle était toujours sous médoc… et c’était à Jed’ ou à moi de les lui donner, parce qu’elle avait tendance à pas vérifier les doses. Ca aurait pu la tuer.

Cole frissonna :

— Tout ça… à cause de moi ?

Les traits de son visage s’affaissèrent. Sven le rassura :

— Nan, gamin. C’est pas de ta faute.

Réponse trop facile. Une pointe de colère gronda chez lui.

— C’est celle à qui, alors ?

Les yeux de Sven se perdirent dans le vague.

— C’est celle de Jedefray, pour t’avoir lâché la main. C’est celle d’Ana pour avoir accepté que vous sortiez. C’est la mienne pour ne pas être venu avec vous. C’est la faute à l’autre grognasse qui n’a pas regardé avant de traverser…

— … c’est de la mienne pour avoir suivi le chien…

— T’étais qu’un gamin, Cole ! Sois pas trop dur envers toi-même. On a tous reporté la faute sur quelqu’un. Moi, je l’ai reportée sur Jed’. Lui, il l’a reportée sur le chien que t’as suivi. T’as jamais remarqué comme il déteste les chiens ?

Il appelait Lambda “le sale clébard”. Il ne le sortait jamais. Ne voulait rien avoir à faire avec lui.

— Le jour où je t’ai ramené Lambda, il était à la limite de la syncope. Mais bon, comme il a vu que le chien te calmait… mais ta mère t’aimait.

Sven se frictionna les mains avant de poursuivre :

— Jed’ a merdé dans le sens où il a pas parlé de ses projets à Ana. Il avait un doute sur le fait que ça fonctionnerait, alors il a gardé ça entre nous. Ana allait tellement mal, j’ai jamais réussi à lui soumettre l’idée. Pire… J’me suis dit que Jed’ savait ce qu’il faisait.

Le neveu se fendit d’un rire narquois.

— Te fous pas d’moi, Cole. T’imagine pas comment j’étais à côté de la plaque, moi aussi, quand t’es mort, d’accord ? Au moins, j’avais l’espoir que mon frangin pouvait mettre sa superbe intelligence à contribution. Pour une fois qu’elle servirait vraiment !

Sven s’agita. Il claqua la langue.

— Ana était persuadée que t’étais juste… mort et enterré. Jed’ et moi… aucun de nous deux, on l’a contrariée alors qu’on savait.

Derrière lui, Cole entendit le murmure de Dawn :

— C’est complètement délirant.

Calvin grogna pour toute réponse et Sven plaqua les mains sur son visage :

— Si j’lui avais dit… Si on avait craché l’morceau ! Elle serait p’têtre…

Il poussa un râle. Reprit son souffle. Cole se vit lors de ses crises. Incapable d’esquisser le moindre geste, il le laissa se calmer seul.

— Cole, quand tu t’es réveillé… forcément, on était les plus heureux du monde. T’imagine ? Une deuxième chance. Pour Jed’. Pour moi. Pour toi. Pour Ana. La possibilité de reprendre nos vies là où on les avait laissé… mais, comme je t’ai dit : ta mère t’avais enterré. Tu pouvais pas revenir. Alors quand on t’a amené devant elle avec nos gueules en gâteau d’anniversaire…

— Elle a pété les plombs, conclut Calvin.

Sven acquiesça :

— Y a qu’un monstre pour revenir d’entre les morts. Bien sûr que non, tu pouvais pas être son fils ! T’étais sous terre ! Dans un p’tit cercueil…

— Mais alors… si on allait tous bien… enfin… Là on parle pas de maladie ! Pourquoi Papa a enterré Maman ? Pourquoi m’avoir enfermé, bon sang ?

Cole n’avait jamais demandé à revenir d’entre les morts.

— Ca s’est pas passé comme ça… Les mots… les mots qu’a eu Ana… ils m’ont blessé.

Devant le regard circonspect de son neveu, Sven leva les bras comme pour se défendre :

— T’es pas obligé de me croire, n’empêche que c’est vrai. Tu sais que je t’aime plus que tout… alors entendre ta propre mère te dire… que t’es un monstre… que t’es pas son fils.... une abomination de la nature…

Les pensées de Cole tourbillonnèrent. Cette vérite, qu’il avait cru toucher quelques minutes auparavant, se matérialisait à nouveau. Les pièces du puzzle s’assemblait et révèlait un secret bien gardé qui lui flanquait le tournis.

Sven plaqua une main sur ses lèvres :

— C’était trop… juste trop. J’suis sorti de la maison.

Il l’aimait plus que tout… Celui qui avait toujours été là, mais n’avait jamais agi.

— J’pouvais plus supporter. Jed’ est venu voir comment j’allais… j’ai jamais fumé une cigarette aussi vite… j’en ai même repris une deuxième tellement j’étais sur les nerfs. Il m’a dit que ça irait, il fallait un moment à Ana, mais elle finirait par comprendre. J’l’écoutais plus.

Sa relation ambigüe avec Ana. Au point de questionner Dawnie et Nours.

— J’étais en rage, j’voulais qu’il me foute la paix ! Qu’il répare ses conneries. Qu’Ana arrête de te repousser comme elle le faisait. Pourquoi elle voyait pas que t’étais là ? Vraiment là ? Toi ! C’était évident !

Cole et son oncle s’étaient toujours ressemblés comme deux gouttes d’eau, à l’exception de la couleur des cheveux et du cache-oeil.

— M’a fallu un moment, et puis j’suis retourné dans la maison. T’étais assis sur une chaise, dans le salon. Je t’ai demandé ce qu’il se passait et t’as dit que Maman et toi aviez mal à la tête. Je t’ai demandé où elle était et tu m’as dit… “dans sa chambre”.

Ses yeux s’embuèrent de larmes. Ses yeux dont Cole avait hérité la couleur.

— Merde, j’suis désolé, gamin… j’voulais pas… jamais j’lui aurait fait le moindre mal, tu dois me croire.

Cole recula de trois pas, horrifié :

— De quoi tu m’parles, là ?

A la périphérie de sa vision, il remarqua l’air estomaqué de Dawn. Sven leur lancèrent un air interrogateur, il avait cru que ses interlocuteurs avaient suivi le fil de ses pensées. Il détourna la tête, prit une profonde inspiration et soupira :

— J’suis allé dans la chambre. Ana était devenue…

Il ravala un sanglot avec une immense difficulté :

— … folle. Complètement folle. Elle croyait que le néant l’attendait… elle répétait que c’était la faute du chien. Qu’elle avait mal à la tête. J’lui ai demandé de se calmer. Elle m’a sauté dessus. Toutes griffes dehors. Prête à mordre.

Cole déglutit. Sa gorge s’assécha.

— J’l’ai repoussée… une fois, deux fois… Plus violemment… elle s’est cogné la tête contre la table de chevet.... putain, le con !

Sven cessa de parler, trop ému. Ses lèvres tremblèrent, son corps aussi. Il renifla. Secoua la tête. Voulu oublier. Les larmes roulèrent sur ses joues, il partit dans des pleurs non-retenus saccadés de “j’suis désolé… j’suis désolé !”. La culpabilité le rongeait, affaissait les traits de son visage, rendit sa pâleur crayeuse. Il l’avait tuée. Du moins, il le croyait.

— Tu t’fous de ma gueule, déclara Cole d’une fois blanche. Dis-moi que tu te fous de ma gueule.

On l’avait enfermé pendant des années. Fait subir mille et une tortures. Pour un crime qu’il n’avait, selon Sven, définitivement pas commis.

— Comment t’explique que j’l’ai entendue ? ajouta Cole. Sa voix ! Elle était là ! Bien claire. Pendant qu’il la foutait en terre ! Comment t’explique ça, hein ?

Sven renifla bruyamment avant de tenter :

— J’sais pas. Ton esprit te joue des tours. Il a manipulé le souvenir. Il te fait croire ce que t’as envie qu’il se soit vraiment passé. J’te mens pas. J’suis… désolé. Juste désolé. Si elle avait été en vie, Jed’ l’aurait pas enterrée. Il l’aurait étudiée.

— Il sait ? insista son neveu. Jed’ sait ce que t’as fait ?

Sven acquiesça sans oser poser les yeux sur son interlocuteur.

— Mais vous êtes complètement ravagées, hein ! cracha Calvin hors de lui.

— Y a autre chose. Tu m’caches autre chose. Avoue-le ! Vas-y, balance tout ! C’est le moment, Sven. Vas-y ! Libère-toi une bonne fois pour toutes !

Les bras de Sven fourmillèrent sous la pression. Il avait, en effet, une dernière chose à lui dire. Il avait hésité de longues années. Il aurait voulu lui faire comprendre à lui seul. Sans témoins. Juste eux. Dans une ambiance plus pacifique. Plus propice à ce qu’il aurait voulu être une bonne nouvelle. La vraie raison pour laquelle Sven était resté toutes ses années auprès de Cole. Celle qui l’avait aveuglé au point d’espérer que son frère avait la solution miracle aux maux de ce p’tit gamin malade. Celle pour laquelle il avait tout accepté sans rechigné et à cause de laquelle il aurait tout donné plutôt que de le perdre à nouveau. C’était le moment ? Soit. Au moins, il contemplerait son reflet dans sa prunelle :

— T’as toujours été mon gamin… tu s’ras toujours mon gamin.

Cole perdit pied. Le monde tourna. Il entendit, au loin, les appelle affolés de Nours et Dawnie. Les aboiements de Lambda. Tous ces gamins que Sven avait prononcé depuis sa naissance prirent un nouveau sens. Celui que Sven avait voulu leur donner sans que le scientifique, malgré sa présence, malgré les caméras, ne puisse le deviner.


Texte publié par Albane F. Richet, 23 janvier 2025 à 19h04
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