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Lambda vadrouillait. Il profitait des mètres carrés tout à lui sans jamais approcher les hellébores sous lesquels dormait Ana pour toute éternité. Les arbres entouraient la propriété et la voiture de Sven gâchait le paysage naturel. Lambda se roula dans l’herbe fraîche, puis, inquiet, chercha le maître du regard. Il n’était plus accoudé à la rambarde de la terrasse. L’animal suivit l’odeur que sécréter l’hormone du stress et y trouva au bout celui qu’il guettait. Cole se rapprochait des fleurs presque fanées. Il s’arrêta pile devant. Lambda s’assit, en retrait. Assez loin de la mort, assez proche pour venir en aide à l’alpha au besoin.

Les hellébores chancelèrent sous la brise, en réponse aux murmures des arbres nus. La gorge de Cole se serra, tout comme ses poings, quand il imagina le cadavre un mètre sous la terre. Il ne devait plus en rester grand chose. Quelques os, sûrement. Pas de stèle pour elle. Pas de plaque de marbre. Pas de petits mots à vomir des émotions douteuses. Juste des fleurs. Des jolies fleurs. Pour veiller sur sa mère.

Cole se baissa et les caressa. Noires. Rares. Cole se souvenait d’une page lue dans un de ses livres, au laboratoire. Peu de détails, juste la meilleure manière de s’en occuper. Quelle ironie de recouvrir la tombe d’Ana avec des plantes appelées “roses de Noël” quand on savait son fils mort peu de temps avant cette fête calendaire. C’était ses fleurs préférées, d’après son père. Ou son oncle ? Ses fleurs préférées…

Le jeune homme plissa l'œil. Le souvenir de son dernier jour auprès de sa mère se précisa. Les gouttes de pluie, comme des coups, sur les vitres. Lui, assis dans le rocking-chair. Les chack ! chack ! de la pelle. Les silhouettes distordues de son père et du linceul. Plus Cole se concentrait, plus les détails affluaient : il y avait de fortes bourrasques, ce jour-là. Ca grondait, dehors. Même s’il était loin et qu’une fenêtre les séparait, Cole entendait les grognements de Jedefray qui s’épuisait à la tache.

Il avait arraché les fleurs. Il avait arraché les hellébores de Maman. Cole les avait vu voler avec les mottes de terre auxquelles leurs racines étaient attachées. Des rouges, des bleues, des blanches. Le mal de tête. Petit Cole avait la migraine et cette vision avait empiré ses symptomes. Avec les chack ! chack ! étaient survenues des bulles qui éclataient. Plus vite. Comme une alarme. Assourdissante. Les coups de pelle persistaient. Les claquements dont Cole peinait à déterminer la source aussi.

Au milieu de ce fratras, le draps dans lequel Jedefray avait enveloppé sa femme avait bougé. Juste assez pour révéler sa tête. Le sang à ses tempes. Avant qu’elle ne disparaisse dans le trou, Petit Cole avait cru entendre un furtif “à l’aide”. Il l’avait imaginé, sûrement. Les bulles qui éclataient avaient altéré son jugement.

Devant la tombe, Cole ferma l’oeil. Un vague de froid se répandit en lui. Une intuition. L’évocation d’une vérité. Il se remémora cet instant précis. Ce “à l’aide” presque imperceptible. Quand sa mère avait disparu dans le trou… pendant tout le temps où Jedefray l’avait ensevelie… les bulles s’étaient intensifiées. Jusqu’à se mélanger. Devenir un cri. Plusieurs cris. Les hellébores avaient pleuré le sort de la femme enfouie, avaient imité sa voix.

Cole rouvrit l’oeil, le souffle court, tremblant sous le froid qui lui glaçait le sang et les os. Les fleurs ne parlaient pas. Son esprit, son souvenir étaient confus. Le cri des hellébores n’avaient qu’une seule explication. Une seule origine. Le désespoir d’une mère, encore en vie, que le bourreau n’avait pas écouté et qui avait appelé le seul présent sur les lieux au même moment : son fils qui observait la scène par la fenêtre.