Sven soulagea Dawn du poids du moribond.
— Oh, bordel ! s’exclama-t-il, surpris.
Pour toute réponse à cette attaque sur sa stature, Nours grogna. Ses jambes le portaient à peine, son souffle rauque résonna dans la pièce, véritable appel à l’aide de ses alvéoles pulmonaires inflammées. Il avait chaud. La vision trouble, il supportait de moins en moins la lumière. De moins en moins le contact de Sven contre son flanc. De moins en moins les voix, les claquements, les bulles qui éclataient dans sa tête. Elles parasytaient son cerveau bouillant. Des lianes brûlantes s’insinuaient entre les deux hémisphères, chaque interstice et entourait ses neuronnes pour mieux les étouffer. Nours tremblait. Ses pensées se désagrégeaient avant qu’il n’ait le temps de les appréhender. Il en oubliait des fonctions basiques : déglutir, parler, bouger les doigts. Une certitude lui tournait en tête : c’était la fin. Il allait mourir. Encore quelques heures et il quitterait ce monde de dingue.
Dawn gémit, elle se précipita vers l’évier de la cuisine et se lava les mains et le visage avec vigueur. La peur panique ne quittait plus ses yeux. La chair de poule la chatouillait le long du corps. Elle avait touché un malade. Contagieux. Elle allait forcément développer des symptômes. Le virus courait sur sa peau. Leurs petites pattes pointues s’enfonçaient dans sa chair, s’agrippaient aux cellules. Elle ne voulait pas mourir. Elle se battrait jusqu’au bout. Elle se savonna les mains une nouvelle fois. Les poignets. Elle remonta jusqu’aux coudes.
— Cole, appela Sven, Cole !
Celui-ci sursauta. Il ôta son regard du rocking chair et aida son oncle à maintenir l’ours au bord de l’évanouissement.
— Tu m’as amené chez mon bourreau, accusa Cole.
— Merde, fais pas chier, gamin. J’t’ai ramené à la maison. Il viendra pas ici. Y a des années qu’il vient plus.
Ils transportèrent l’homme dans les escaliers, cœurs battant à tout rompre, jambes flageolantes, grimaces sur les visages, respirations courtes. Quand ils arrivèrent à l’étage, Cole retrouva assez de souffle pour s’adosser contre une porte et continuer :
— Comment ça ? C’est chez lui, non ?
Sven se retint contre le mur du couloir pour ne pas tomber sous le poids de Nours. Il montra d’un mouvement de tête la clé accrochée au clou, près de Cole. Celui-ci déverouilla la porte sur laquelle il s’était reposé.
— Aide-moi, demanda Sven qui, dans un élan, poussa Calvin à faire un pas vers la chambre.
Tandis qu’ils l’amenaient vers le lit, Sven expliqua :
— C’était. Maintenant, il vit à temps plein au labo. Cette baraque, c’est qu’une façade. Ça permet aux gens de pas trop se poser de question.
Nounours s’affala tel un poids mort dans le lit aux ressorts craquants. Il gémit, murmura un borborygme, puis ferma les yeux, épuisé.
— Laisse-moi deviner, reprit Cole un ton plus bas, il vit plus ici depuis que ma mère pourrit dans un coin du jardin, c’est ça ?
— Nom de Dieu, Cole ! Dis pas des trucs pareils…
Sven se pencha vers la table de chevet. Ses doigts tatonnèrent dans le noir, à la recherche de l’interrupteur de la lampe.
— J’ai tort ? demanda le neveu.
— Nan, mais…
La lumière se répandit dans la pièce, atténuée par l’abat-jour décoré de petites voitures souriantes. Sur les murs peints en bleu et blanc, on avait collé le décalco d’un nuage apaisé sous lequel était écrit “Cole”.
— … y a l’art et la manière de dire les choses, finit Sven.
Cole se retint contre l’armoire autant constellé d’étoiles que le plafonnier. Près de la porte, un ours aux traits enfantins dormait sur un porte-manteau en bois.
— C’est ma chambre, déclara-t-il d’une voix blanche.
— Ouais… j’avoue j’aurai dû te prévenir avant qu’on entre. J’ai merdé.
Il avait vécu là. Avec sa mère et son père. La maison de famille. Son souvenir, furtif, se pigmentait à nouveau de couleurs, de détails. Une réminiscence de sa voix enfantine résonna à ses oreilles. Le bruit des petits pieds qui courent sur le plancher. Son oeil aigue-marine bifurqua vers la bibliothèque bourrée de livres sur le langage, la propreté, le premier jour d’école, l’alphabet, les chiffres, des petites histoires du soir… d’autres plus scientifiques provenaient sûrement de Jedefray.
Cole s’agenouilla devant le coffre à jouets attenant à la bibliothèque. Il l’ouvrit et découvrit des poupées, des peluches, des animaux de la ferme… mais surtout le seul dont il avait un réel souvenir : Wolfy.
Le chien-doudou tirait la langue. Cole l’avait machouillé par tous les bouts dans sa prime jeunesse, mais il avait toujours su garder son importance dans le coeur du petit garçon. Son pelage, couleur de sable, lui rappela étrangement un autre animal qu’il aimait par-dessus tout : son vrai chien, fait de chair et de sang, et qui n’osait pas entrer dans la pièce. Lambda observait Cole du pas de la porte, sans bouger.
Sven se racla la gorge :
— J’me doute que t’as besoin de temps, mais… J’crois que ce serait pas mal de laisser Calvin se reposer et… j’vais vous préparer des fringues, à toi et Dawn. Faut pas qu’vous restiez avec du sang sur vous. Tu laveras Lambda aussi. On va garder cet endroit le plus sain possible.
Cole, docile, rangea Wolfy. Le doudou l’avait rassuré pendant l’enfance. Lambda avait repris ce rôle. Nours dormait déjà profondément, mais Cole lui asséna quand même une petite tape amicale sur l’épaule avant de sortir de la chambre. Sa chambre. Lambda le toisait toujours avec respect. Sven demanda à son neveu de fermer à clé :
— Juste au cas où… fin, tu sais… Si jamais il développe les symptômes des gens, dehors.
Cole obtempéra de mauvaise grâce. Sven avait raison : il fallait être prudent. Ça lui déchirait les entrailles d’imaginer un tel scénario. Son ami prêt à se fracasser contre les murs. A gratter les murs jusqu’à en perdre les ongles. A hurler sa rage. Cole frissonna : ces symptômes, il les avait déjà tous ressenti. Au laboratoire. Tout le ramenait là-bas. Toujours. L’idée même qu’un vaccin se trouvait là-bas le dégoûtait… et lui donnait un semblant d’espoir pour Nours. Pour Dawn. Pour lui aussi, quoiqu’il doutait de son efficacité sur sa personne.
— Ecoute, gamin, reprit Sven d’un ton posé, on a eu une journée d’enfer… Je te jure de tout te dire demain. Juste… laisse-moi dormir un peu, d’accord ? J’en peux plus.
Cole avait attendu quinze ans. Une nuit de plus ne l’effrayait pas, à une condition :
— Tu me jures que Jedefray ne viendra pas ?
— Croix de bois, croix de fer, signa Sven. Quand on aura discuté de tout ça, on ira sur la tombe de ta mère. Ca lui fera plaisir de te voir.
Cole fronça les sourcils :
— Comment veux-tu que je rende une femme morte heureuse ?
Sven haussa les épaules :
— Tu l’es aussi, ça t’empêche pas de sourire de temps en temps, tête de lard !
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