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tome 1, Chapitre 33 « Furtifs » tome 1, Chapitre 33

— Eh ! Range ça tout de suite ! s’insurgea Cole quand il repéra le pistolet de Jedefray entre les mains de son oncle.

Sven claqua la langue, frustré. Il venait de choisir son camp. Son neveu pourrait lui attribuer plus de mérite. Sven avait tout perdu à se rebeller contre son frère. Le grand, l’unique Jedefray Coldman ! Si Jed les attrapait dans leur fuite, il tuerait Cole, à n’en plus douter. Il n’aurait plus la moindre utilité pour son petit frère. Il l’enverrait chier une bonne fois pour toute. Sven finirait seul avec nulle part où aller. Ou alors Jed “l’endormirait”, lui aussi ? Son instinct de survie imprima sur sa rétine l’image des yeux fous de Jedefray, au moment où il avait pointé l’arme sur son propre fils. Son fils, bon dieu ! Les mains de Sven serrèrent le pistolet plus fort. Faudrait lui passer sur le corps pour lui reprendre, c’était clair. Cole, c’était toute sa vie. Alors Jed ne mettrait jamais le grappin sur eux, Sven se le promit. Pas le choix.

— Oh, ça va, grogna-t-il, faut bien se défendre, au cas où ! Ton pote a piqué mon PIE* alors je m’organise autrement.

— Votre quoi ? demanda Dawn toujours plus perplexe.

Elle avait pris place dans le rang entre Cole et Calvin. Elle s’estimait bien entourée. En aucun cas aurait-elle voulu ouvrir ou fermer la marche.

— Mon PIE. Mon taser, si vous préférez, ronchonna Sven.

— Oh… répondit Dawn sans prêter attention à sa réponse.

Trop de possibilités d’être attaquée. Infectée. Son cœur battait à tout rompre, elle hallucinait à imaginer des sorties qui n’existaient pas. Y avait-il vraiment des moisissures sur les murs ? Ou ces petits points noirs représentaient le monde invisible ? Celui bourré de bactéries. De virus. Des champignons. De toxines. Tant d’ennemis naturels que Dawn en eut le tournis. Elle soupira une vague de tension. Se retint de tomber en posant son bras contre un DAE**.

Lambda lui gratta la jambe, inquiet. Dawn tremblait.

— Ça va ? demanda Nours alors même qu’il se doutait de la réponse.

Un silence de trois secondes pesa entre eux. Assez pour que Dawn expulse les trois mots, pourtant simples, qui lui vinrent à l’esprit :

— … J’ai peur.

Cole stoppa net. Il dévisagea la jeune femme aux yeux fermés, à tenter de reprendre le dessus sur ses émotions. Il avait connu cette frayeur là. Celle qui retourne le cerveau. Elle paralyse, des fois, elle rend fou d’angoisse souvent. A la fois insidieuse et agressive. Incontrôlable, ravageuse. Ce regard bourré d’appréhension, il l’avait lancé à son père des milliers de fois. Le scientifique l’avait ignoré à chaque occasion. Papa n’avait jamais ôté sa blouse. Papa l’avait abandonné dans cette prison aménagée. Papa avait accepté que le bourreau prenne sa place. Cole ne cautionnerait jamais ce choix.

— Je te jure que je suis pas malade, assura le jeune homme avec aplomb. Peu importe ce qu’à pu insinuer mon père.

Il ne lui dirait pas que tout irait bien. Il éviterait de lui mentir. D’assurer que les décisions qu’il prendrait seraient “pour son bien”. Il serait honnête. Tout l’inverse de son géniteur. Cole décela la surprise dans le regard de Dawnie qui croisa les bras :

— Ce gars-là… C’était votre père ?! Ça craint…

— Ouais et moi, j’suis son oncle, lança Sven à la cantonade. Mais on s’en tape un peu, quand même et…

Un râle. Suraigu. Les dents de Sven crissèrent. Lambda grogna. L’homme lui attrapa le museau, seul moyen de lui sommer de se taire. C’était tout proche. Le monstre se cachait à l’angle du couloir austère. Il émergea de profil aux pieds de Sven. L’homme retint son souffle. Ses jambes trépignèrent. Elles attendaient l’ordre de fuir. Ses jointures blanchirent contre le manche du pistolet. La mâchoire serrée, il n’osa plus bouger. Lambda non plus, aux aguets. Quant aux autres… Sven se souciait bien trop de l’énergumène devant lui pour leur octroyer la moindre attention.

La bouche du malade purulait. Ca dégoulinait de sang. De pus. Il bavait. Des gouttes lui tombaient du menton. Sven ravala un haut-le-coeur. Il puait la mort, nom de Dieu ! Une odeur que Sven avait déjà senti auparavant. Immonde. A gerber. Elle ne laissait place à aucun doute et alertait tout son être. L’instinct de survie aux aguets, il n’aspirait plus qu’à fuir au plus vite… ou à emporter cette pathologie sur patte dans la tombe.

Ces yeux révulsés… une caractéristique que tous les malades partageaient. Sven, statufié, espéra que l’infecté l’ignore. Il essaya de ralentir son rythme cardiaque. Surtout son souffle, dont le bruit lui parut emplir la pièce entière. Il n’entendait plus que ça. Le vent qui s’exfiltrait de ses narines larges. L’enragé avait d’autres préoccupations : il hurla. Il plaqua les paumes contre ses tempes. La fièvre ? Il tritura ses vêtements, ensuite. Ouvrit la bouche par intermittence, comme s’il cherchait à parler. Ses lèvres remuèrent, oui, elle remuèrent, mais seul un son guttural sortit de cette bouche saliveuse. Pourvu que Lambda se taise… Pourvu que Lambda se taise… Le malade ne les voit pas. Il. Ne les. Voit pas.

Il ne bougeait plus, au grand damn de Sven, les iris aigue-marine focalisés sur l’horreur. Qu’il s’en aille, putain ! Qu’il s’en aille… La sueur perla le long du front de Sven. Le malade fit quelques pas à l’opposé des furtifs. Il cherchait. Quelque chose. Quelqu’un. Il renifla l’air. Planta son regard mort sur Sven et ses compagnons collés au mur. S’ils attendaient plus longtemps, cette chose leur sauterait dessus.

D’un signe de main rapide, Sven indiqua aux autres de le suivre. Il bifurqua dans le couloir qui menait droit à la sortie. Si jamais le monstre se manifestait, ils pourraient le semer. Courir. Sans s’arrêter. Passer la double porte. Il emmena Lambda dans son mouvement. Soulagé. Vulnérable. L’instinct de survie en ébullition. Il avança. Plus vite.

— Aaah !

Sven fit volte-face, le coeur au bord des lèvres. L’enragé avait bousculé Cole. A califourchon sur lui, l’horreur plaqua ses mains sur sa nuque. Il serra. Serra. Sven mit son arme en joue. S’il tirait, il toucherait Cole… Il pria pour que Debroe ne l’électrocute pas. Les corps, c’est conducteur. Lambda aboya. De plus en plus fort. Un bruit de métal. Dawn lâcha le plateau repas avec lequel elle avait frappé le malade. Celui-ci lâcha prise, confus. Cole s’arracha à sa prise. Il se colla contre un mur, entre deux plantes. Il toussa. Incapable de reprendre sa respiration. Lambda se plaça devant son maître, tel un bouclier.

— Raaah ! Ca marche comment cette merde ? s’acharna Debroe sur le PIE.

Sven leva le pistolet vers le monstre. Non. Le malade. Un être humain. Juste malade. Qui avait besoin de soins. Il avait une famille. Un travail. Des amis. Une vie. Bien meilleure que celle de Sven. Beaucoup plus accomplie. Après tout, c’était pas bien difficile. Quelque chose, chez Sven, refusa d’appuyer sur la gâchette. Il y pouvait rien, ce gars-là, s’il était malade à crever. Les mots de Jedefray serpentèrent dans sa tête : “Pauvre idiot…”, “Tu n’en a pas marre d’être aussi stupide ?”, “Comme si tu étais capable de comprendre quoi que ce soit, ne me fait pas rire”. Une décision, une seule. Ici, maintenant. Il changerait la vie d’au moins un homme à tout jamais.

“Justement, c’est ça ton problème. Tu ne fais rien. Tu acceptes. C’est pire, peut-être. Le scientifique, lui au moins, il assume”. Cole n’avait pas toujours été tendre avec lui non plus. Aujourd’hui encore, il était témoin d’une scène pour laquelle il avait le pouvoir de tout arrêter. Sauver des vies. En détruire d’autres aussi. La perte, il connaissait. Elle monopolisait sa vie depuis des années. Alors, il ne put se résoudre à presser la détente.

Lambda se posa moins de questions. L’enragé approcha son maître d’un peu trop prêt. Il s’était juré d’attaquer s’il essayait de nuire à nouveau à Cole. Il s’était positionné en garde. Les pattes raides, plantées au sol. Les poils hérissés. Les babines saliveuses et les canines saillantes. Son grognement ne sut dissuader son adversaire. Tant pis pour lui. Lambda sauta sur l’homme. Il griffa le corps. Planta ses crocs dans la carotide. Une marée sanglante se déversa sur les pattes du Colley. Elle peignit sa gueule aux babines retroussées. Il ne lâcherait prise que quand le monstre cesserait de bouger.

Cette vision d’horreur glaça le sang de Cole. Il avait déjà vu son chien perdre le contrôle au laboratoire. Surtout les premiers temps. Mais jamais il ne l’avait imaginé capable d’aller si loin. Pour son bien. La phrase résonna en écho dans la tête du jeune homme courbaturé. De chaque côté de lui, un hibiscus le protégeait. Les feuilles suintait de cette substance chimique qui embaumait l’air des urgences. Elle contrastait, au moins, avec l’odeur métallique du liquide écarlate. Cole se sentit à l’étroit. Comme lui-même enfermé dans un pot trop petit pour lui. Il s’extirpa de sa cachette quand tout danger fut écarté. Lambda s’était occupé de tout.

— Merde, Debroe ! Pourquoi avoir pris mon Taser si vous savez pas vous en servir ! gronda Sven. J’aurai pu…

— Z’auriez pu rien du tout ! hurla la montagne. Vous aviez un foutu pistolet entre les pattes, mon vieux, c’était de le moment ou jamais de…

— Stop ! coupa Dawn, les traits tirés par l’angoisse. Le chien…

Les yeux se tournèrent vers Lambda, assis au beau milieu du couloir. Calme. Très calme. Trop calme. Il se léchait les babines, déjà las de s’être sali.

— Eh bah quoi, le chien ? demanda Sven, peu sûr de suivre le raisonnement de la jeune femme.

— Cette maladie… elle s’attaque aux animaux, non ? demanda-t-elle.

— Ouais, rappela Nours donc les tendons entre le pouce et l’index souffraient encore le martyr.

— Alors… vu qu’il a mordu quelqu’un de malade… est-ce qu’il va…?

Cole vacilla. Non. On ne ferait aucun mal à Lambda. Jamais. Sven rangea l’arme dans son holster, tout à coup rassuré.

— Nan, il risque rien, déclara-t-il, il est vacciné.

Les yeux de Dawn s'agrandirent. Elle attrapa Sven par le bras.

— Hey ! s’offusqua-t-il.

— Ce vaccin. Je le veux. Je tiens pas à finir comme… lui.

Elle pointa du doigt le pauvre hère sans vie qui marinait dans son propre sang. Sven renâcla :

— Vous avez cru que j’me baladais avec ça dans mes poches ?

Dawn croisa les bras, courroucée :

— Franchement, vu la situation… N’empêche que je ne vous lâche pas tant que je ne serai pas vaccinée.

L’ours grogna :

— J’en aurais p’t’être bien besoin aussi…

Il avait espéré qu’une fois soigné, la douleur s’atténuerait. Il n’en était rien. Sven haussa les épaules :

— C’est mon frère qui s’occupe de ça… vous êtes pas tombés sur le bon Coldman.

Cole fronça les sourcils. S’il suffisait de “vacciner” pour ne pas être malade… pourquoi l’avait-on enfermé tout ce temps ? Il garda la question pour lui. Il la poserait à son oncle quand ils seraient seuls. Pour le moment, Nounours et Dawnie avaient un espoir. Un espoir que Cole était prêt à embrasser. Peut-être que s’ils vaccinaient tout le monde, Cole pourrait vivre parmi les autres. Ça n'avait pas de sens. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? Ces pensées amenèrent des céphalées au jeune homme. Il ne supportait plus cet endroit où pendaient des blouses blanches un peu partout, où gisaient des lits identiques au sien, où l’odeur de mort régnait en maîtresse. Sortir. Il voulait sortir, et vite. Il ne lâcherait pas son oncle d’une semelle non plus. Sven détenait une vérité. Une vérité qu’on lui avait cachée. Il la découvrirait, peu importe les moyens employés.


Texte publié par Albane F. Richet, 17 février 2024 à 10h42
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