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tome 1, Chapitre 32 « Loyauté » tome 1, Chapitre 32

— Bon chien ! Bravo, c’est bien ! congratula Sven en raffermissant sa poigne sur le collier de l’animal.

Il ébouriffa le dos d’un Lambda à la langue pendante et à la queue frétillante. Du coin de l’oeil, Sven perçu la stupeur sur les traits de son frère. Pour une fois, il l’avait coiffé au poteau. Il s’était montré plus rusé. Plus intelligent. Lambda de leur côté, Cole ne fuirait plus. Le gamin en perdit le souffle, bouche ouverte, terrifié. Une vague de soulagement déferla en Sven : Cole allait bien. En vie. En un seul morceau. Une lueur d’espoir dans sa vie de merde.

Jedefray ouvrit grand les bras, sous l’air circonspect de son cadet. Son ombre s’étira, elle formait des boas prêts à s’emparer du garçon. La pupille de Cole se dilata, saisi à la manière d’un lapin ébloui par les pleins phares d’une voiture. Une proie fragile et tétanisée face à son prédateur sans foi ni loi.

— Cole, mon chéri, minauda le scientifique, comme je suis heureux de te voir ! J’ai remué ciel et terre pour te retrouver.

— T’approche pas ! hurla le gamin aux nerfs saillants le long de sa nuque.

Il pointa son bourreau du doigt pour le tenir à distance.

— Franchement, fallait pas vous donner tout ce mal, grogna Debroe.

Sven chuchota à Lamda de se calmer. Il s’agitait sous cette atmosphère tendue. Ce serait bientôt terminé. Jedefray emmènerait Cole. Ils rentreraient ensemble au labo. Une petite opération ou deux et hop ! Le gamin serait sorti d’affaire une bonne fois pour toutes. Jed lancerait la production d’un vaccin et Monroe reprendrait son cours normal.

— On ne vous a rien demandé, Debroe, cracha Jedefray avec un rictus mauvais à la commissure de ses lèvres.

Ses bras retombèrent le long de son corps. Un frisson parcourut Sven, ébahi face au changement brutal dans la personnalité de son aîné.

— Je ne te donne pas le choix, Cole, continua-t-il sur le même ton sec, tu rentres avec nous au laboratoire. Maintenant.

— Dans un labo ? Vous avez une idée de ce qui se passe ici ? Un moyen de soigner tout le monde ?

Les questions de Dawn trahirent son ignorance. Jedefray ouvrit la bouche, prêt à employer son ton si doucereux de celui qui sait. Cole le contra :

— Pff ! Si seulement ! Tous les deux… ils veulent me tuer.

— Hein ? s’étonna Dawn. Oh ! Dans quoi je me suis encore fourrée, moi ?

Sven secoua la tête avec véhémence :

— Déconne pas, Cole. Tu sais bien qu’on ferait jamais un truc pareil.

L’iris aigue-marine du gamin bifurqua vers le pire des tortionnaires. Sven relâcha légèrement la pression qu’il exerçait sur Lambda. Pas assez pour le laisser s’enfuir. Il repéra une gène dans l’allure de son frère. Jedefray passait par toutes les couleurs des émotions depuis la fuite de Cole, mais à aucun moment il ne s’était muré dans un air indéchiffrable. Cette fois, c’était différent. Un mot, une parole avait brisé l'ersatz d’espoir qui sommeillait chez le scientifique. Sven, soudain, eut un doute. Jedefray s’était renfermé de plus en plus ces derniers jours. A chaque nouveau cas, ses pensées le taraudaient. Il entendait à peine Sven l’appeler et il avait même cessé d’être désagréable avec lui.

— Je te demande de rentrer avec nous, Cole, claqua Jedefray d’un ton froid et monocorde. Si tu veux qu’on te rende Lambda…

A l’appel de son nom, le Colley tourna la tête vers le père du maître et releva les oreilles.

— Bande d’enfoirés ! s’exclama Calvin tandis que Dawn se cramponnait à son bras.

Ils étaient là, devant elle, les individus dangereux. Calvin grogna, ce chantage le rendait malade. Dans la pièce barricadée, Marianne se vautra une nouvelle fois contre la porte. Un bong ! sourd fit sursauter tout le monde. Le lit d’hôpital qui barrait le chemin vacilla. Tous retinrent leur souffle. L’objet retrouva sa position initiale.

— Marianne, gémit Dawn.

— Je peux peut-être sauver votre amie, déclara Jedefray.

Cole serra les maxillaires. Il la manipulait. Il la prenait par les sentiments.

— Mais pour ça, reprit-il, je dois ramener Cole à la maison. Viens, mon chéri. Rentrons.

Jedefray tendit la main.

— Je ne vois pas le rapport entre l’état de Marianne et celui de Cole.

La gorge de Sven se serra. Depuis combien de temps cette femme trainait-elle avec Debroe et le gamin ? N’avait-elle vraiment rien noté de similaire entre les cas autour d’eux et Cole ? Pas de crise de colère ? Pas de fièvre ? Pas de sursalivation ni manque d’appétit ? Et sa peau blafarde ? Comme elle expliquait sa peau blafarde ? Une pensée vint raviver une théorie que Sven avait tu pendant des années. Une théorie qui, peut-être, assurerait que Cole n’était pas malade. Tout comme il l’avançait depuis toujours. Une théorie qu’il avait enterrée. Sa véracité l’obligerait à affronter son frère. A s’affronter lui-même alors qu’il n’en avait ni la force, ni l’énergie. Peut-être, juste peut-être… être dehors, en société, avait permis d’adoucir le gamin. On lui avait enseigné des codes sociaux, il s’était lié d’amitié… Cela aurait suffit à le guérir de sa rage.

Non. Ça n'expliquait pas l’épidémie qui menaçait cette ville toute entière. La seule où Cole avait foutu les pieds. La remarque, en tout cas, provoqua un spasme sous la paupière de Jedefray. La fille avait heurté un point sensible. Jed ajouta une pointe d’agressivité à son ton déjà glacial :

— Il ne vous est pas demandé de comprendre quoi que ce soit, madame. Il faut que tout cela s’arrête, vous en avez bien conscience. Je suis le seul capable de ramener l’ordre dans ce chaos.

Les veinules de Cole, saillantes, se mirent à battre au rythme de son coeur. Des vaisseaux verdâtres, violâtres ou encore aussi jaunes qu’un bleu en devenir. Elles se dessinaient le long de ses mains, sur sa nuque dénudée, sur ses cervicales. Il fulminait. Ça bouillait dans son ventre. S’il cessait de se contrôler, Cole avait la certitude qu’il vomirait du sang.

— Y a qu’ta folie furieuse, qui doit s’arrêter, cracha-t-il.

Cole avança d’un pas, puis un autre. Les rôles s’inversaient. Il dominait.

— Vas-y, hurla-t-il. Dis enfin la vérité ! Celle qui t’a poussé à me déclarer mort, bon dieu ! Celle qui t’oblige à me traquer ! Qui explique quinze ans de servitude !

Il postillonne à chaque argument. Sa salive explose en une myriade de gouttelettes lancées avec rage.

— On t’écoute ! Crache ton putain de morceau !

Blam ! Nouveau coup de Marianne contre la porte. Le lit tombe à la renverse dans un bruit de métal contre le carrelage blanc. Cette fois, Jedefray ignore la menace. Les paroles de son fils le transpercent. Reprendre l’ascendant. C’était tout ce qui comptait.

— Ma folie furieuse ? Mais, regarde-toi donc !

— Faut pas rester là, murmure Dawn à l’intention de Calvin.

— Tu ne te rends pas compte de tout ce que j’ai pu faire pour toi, s’époumone le scientifique.

Sven peinait de plus en plus à maintenir Lambda. Face à tous ces cris, le maître avait besoin de lui.

— Tout ce que j’ai fait, Cole, tout. C’était pour ton bien ! Tu ne comprends donc pas ? Comment peux-tu être aussi borné ?

Jedefray écarta les bras pour mieux amener Cole à observer les alentours :

— Regarde autour de toi, bon sang ! Vas-y. Donne-moi une explication, je t’écoute ! Explique-moi, comme tu sais si bien le faire, que ça aussi, c’est de ma faute !

Devant la situation hors de contrôle, Calvin essaya d’attirer Cole vers l’arrière. L’éloigner des bourreaux. Partir. Vite. Loin. Jedefray le perçut. Il frémit. Esquissa un pas en avant. Un seul. A peine perceptible. Cole haussa l’épaule, de quoi obliger Calvin à retirer sa main.

— Je ne fuirais pas, grogna Cole, pas cette fois.

Il s’adressa ensuite à son oncle :

— Tu vas me rendre Lambda tout de suite si tu veux pas que j’te fasse bouffer tes dents.

Le Colley gémit. Sven, malgré toute son appréhension, secoua la tête :

— Désolé, Cole, je… je pense que t’as besoin d’être en quarantaine.

Ses pensées s’affolèrent. Si seulement ils pouvaient discuter sans la présence de Jedefray. Sven saurait négocier avec son neveu. Il assurerait être encore plus présent. Insister davantage auprès de Jedefray pour comprendre ses manigances. Il jurerait qu’on n’entraverait plus le gamin. On lui foutrait la paix, à condition qu’il reste dans un endroit clos. Pas forcément le labo. La maison… ils rentreraient à la maison. La vraie. Celle que Jed avait délaissé à la mort de sa femme. Celle où Sven allaient déposer des héllébores en hiver, des lys en été. Il aurait dû l’emmener là-bas il y a longtemps. Mais, là-bas, pas de traitement. Pas de pièces aseptisées. Là-bas, ne subsistait que la réminiscence de la mort d’Ana.

Cole releva le menton, dédaigneux. Il répliqua d’une voix plus assurée que jamais auparavant :

— Je ne suis pas malade. C’est toi, Jedefray, qui me rend malade. Parce que tu es toi-même un putain de grand malade.

Un silence inquiétant s’imposa entre les deux clans et autour d’eux. Où étaient les infectés ? Pourquoi Marianne n’enfonçait-elle finalement pas la porte ? Était-elle tombée inconsciente après le coup terrible qu’elle avait porté ? Jedefray plaqua une main sur son ventre, ses doigts disparurent sous un pan de sa blouse :

— Tu as raison. J’ai eu tort… j’ai cru que je pouvais t’aider. J’ai cru être assez intelligent.

Le retour de l’homme imperméable à la moindre émotion. Celui qui interpellait Sven depuis quelques jours. Il n’annonçait rien de bon.

— Je ne veux pas te tuer, Cole, murmura-t-il, je ne l’ai jamais voulu. Mais si je veux être honnête avec moi-même…

Il sortit une arme de sa blouse :

— … alors je dois admettre ne plus avoir d’autres choix.

Les larmes roulèrent sur son visage stoïque. Le cœur de Sven rata un battement. Il lâcha Lambda :

— J’te d’mande pardon ? rugit-il.

Cole sursauta face à cette indignation. Il s’était persuadé que Sven… ne ferait rien. Malgré la clarté des pupilles de son oncle, celui-ci électrisa son frère d’un regard noir, effrayant. Monstrueux. Ses traits se muèrent en un rictus épouvanté. Estomaqué.

— Je suis désolé.

La voix du scientifique. Non. Du père. Elle se brise derrière une nouvelle salve de larmes. Ses yeux rougirent tant il était à la fois triste et épuisé. La tétanie cloua Cole sur place. Cette fois, plus aucun doute n’était permis. Son père… il cherchait bel et bien à le tuer. Le doigt de Jedefray serra un peu plus la gâchette de l’arme. Cole recula d’un bond. Se cogna contre Dawn dont le cri perçant réveilla Marianne, quelque part derrière sa porte close. Lambda hurla à la lune.

— Jed ! s’impatienta Sven. Lâche-moi ça tout de suite !

Le scientifique l’ignora. La gâchette grinça sous la pression de l’index. Marianne grattait la porte comme une furie. Elle hurlait dans sa chambre. Elle poussait des râles bestiaux.

— Tu ne comprends pas, Sven, reprit Jedefray d’un ton calme, je dois régler ça.

Il inspira profondément. Il était prêt. Il allait le faire. Il sentait déjà le soulagement l’envahir.

Un éclair l’électrisa tout entier. Le pistolet tomba lourdement aux pieds de Jedefray. Le coup partit. Se cogna dans un mur. Jed hurla sa douleur. Il se contorsionna, secoué de spasmes. Ses genoux vinrent frapper le sol.

Cole riva son iris sur l’arme de Sven. Si différent de celui de Jedefray. Il ne lançait pas des balles, non. De l’électricité. Un taser. Sven le rangea dans son holster d’un geste habitué. Il ramassa le fou. Le plaqua contre un mur.

— T’avises plus jamais d’insinuer la mort de Cole, tu m’entends ?

La rage au ventre, Sven le cogna une nouvelle fois contre le placo.

— Comment t’oses, putain ! Ton rôle, c’est de le guérir, enfoiré !

Coup de poing dans l’estomac. Jedefray s’écroula. Se recroquevilla et toussa.

— Tu t’es bien foutu de ma gueule, aboya Sven.

Le dépit s’empara de lui au même titre que les flammes de la colère dans son ventre :

— T’as jamais eu l’intention de le soigner, hein ?

Il ramassa le pistolet, tremblant. Il s’adressa ensuite à son neveu :

— La sortie, c’est par là. Dépêchons-nous avant que ce qui se trouve derrière cette porte finisse par sortir.

— Marianne, gémit Dawn.

— Désolée, m’dame. On peut plus rien faire pour elle, vous pouvez me croire sur parole. C’est trop tard.

Dawn resta bouche bée d’une telle révélation. Elle eut l’impression que son âme quittait son corps.

— Allez, bougez ! On reste pas là, reprit-il frustré.

— Comment on peut savoir que vous allez pas essayer de nous entuber ? gronda Calvin.

Sven renifla. Dans ses yeux, Cole décela un éclat nouveau. Sûr de lui. Un éclat moins triste. Soulagé.

— Cole… Je sais des choses que t’ignores… mais tu me croiras jamais si je te le dis de but en blanc comme ça. Faut que j’te montre, d’accord ?

Le neveu échangea un regard inquiet avec Calvin et sa nouvelle amie dont Sven ignorait toujours le nom. L’oncle haussa les épaules :

— Si on compte Lambda, vous êtes quatre. Je suis tout seul.

Il entreprit de ramasser le lit d’hôpital et le cala à nouveau contre la porte derrière laquelle Marianne s’était tue. Elle grattait les murs par intermittence, tout au plus. Calvin tendit la main :

— J’veux le taser. Avec des recharges.

Sven claqua la langue, mais finit par le donner. A gestes lents. Au cas où. Il pesta :

— Comment j’sais que c’est pas vous qui allez m’entuber, hein ?

Cole arqua les lèvres en un demi-sourire :

— T’as des choses à me montrer, je veux les voir. Après… on verra.

Calvin murmura à l’intention de Dawn :

— On vous emmène à la sortie. Ça ira, d’accord ?

Dawn acquiesça, peu sûre d’avoir compris les paroles de Calvin.

— On laissera rien t’arriver, dit Cole d’un ton sans équivoque, tu as ma parole. Je suis désolé de t’avoir embarqué dans cette situation.

L’air perdu de Dawn l'inquiéta, mais son oncle entreprit déjà d’emprunter le chemin de la sortie. Ils se mirent en route, Lambda au pied. Cole garda l'œil rivé sur son oncle, suspicieux. Agir une fois ne faisait pas de lui un allié fidèle.


Texte publié par Albane F. Richet, 4 février 2024 à 15h24
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