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tome 1, Chapitre 31 « Retrouvailles » tome 1, Chapitre 31

“Mais qu’est-ce que je fiche ici ?” se fustigea Dawn, un masque chirurgical sur la bouche. Elle haletait, incapable de retrouver un souffle correct avec toute l’agitation ambiante. On criait. On pleurait. On courait. Elle avait essayé d’arrêter une infirmière au passage, mais la femme avait ignoré le “excusez-moi” timide. Dawn n’avait pas retenté, même si elle gardait pour objectif de retrouver Marianne : sa voix lui manquait, elle sentait mille bactéries et virus se presser contre son oesophage dès qu’elle ouvrait la bouche, malgré sa protection.

Elle aurait dû rester à l’accueil. Attendre qu’on vienne la chercher. Qu’on lui rende Marianne en pleine santé. Une chape de plomb coula sur sa poitrine : on la lui aurait peut-être rendu aux portes de la mort, comme on avait fait pour son frère. Voilà pourquoi elle avait franchi cette double porte. En dépit des coups sonores contre celle-ci. En dépit de ses peurs. Malgré qu’on ait essayé de la retenir. L’espace d’un instant, elle avait senti que peut-être, juste peut-être, Marianne était plus en danger dedans que dehors.

On la bouscula sans proférer le moindre pardon. Une douleur cuisante irradia dans l’épaule de Dawn déjà à fleur-de-peau. Le prochain se prendrait son poing en pleine figure, elle se le jura. Les chambres se succédaient, à sa gauche, à sa droite, sans qu’elle ne reconnaisse Marianne à l’intérieur.

— J’ai besoin de morphine ! cria-t-on à la cantonade.

Une demande qui demeura sans réponse dans le capharnaüm du couloir surpeuplé. Les portes claquaient, les soignants développaient leur don d’ubiquité sans jamais réussir à satisfaire un seul patient. Leur état se désagrégeait, à leur plus grande épouvante. Peut-être que s’ils avaient eu plus de lits… peut-être que s’ils étaient plus nombreux… ils avaient besoin de renfort. Du renfort qui n’arriverait jamais.

— J’vais bien, j’vous dit, lâchez-moi !

Une voix familière. De quoi redonner espoir à Dawn : le grand gars qui se baladait toujours avec Cole. Il émergea à sa gauche et la reconnut tout de suite :

— Bah merde, alors, s’écria-t-il, z’êtes pas malade, vous ! Qu’est-ce que vous foutez là ?

— Voilà bien dix minutes que je me pose cette question, déclara Dawn d’une voix blanche.

Les virus couraient sur ses cellules, les bactéries roulaient sur son corps. Elle s’imaginait les aspirer dès qu’elle ouvrait la bouche. L’homme, pourtant inconnu, la soulageait à la manière d’un phare dans la nuit profonde. Le temps s’était arrêté, depuis qu’elle avait fixé ses iris sur les siens. Dawn devinait à peine l’agitation des soignants, la complainte des souffrants, la dangerosité du moment.

— Z’êtes venue chercher votre copine, c’est ça ?

Oui. Marianne. Marianne l’attendait, quelque part. Dans une de ces salles d’attente entre deux examens. Dawn ouvrit la bouche pour répondre. L’homme la plaqua contre le mur derrière lui. La douleur irradia le long de ses os. Elle allait s’offusquer, quand elle comprit : un infirmier les avait dépassé dans une course effréné. Une femme le pourchassait. Des pics de glace remontèrent le long de l’échine de Dawn. Son cauchemar… il se matérialisait en vrai.

Depuis les hauts parleurs, une voix calme s’éleva. Automatique. Robotique. En cas d’urgence ou de contamination, quarantaine obligatoire en salle de repos de l’aile G, où que cela pouvait être. Dawn et Calvin échangèrent un regard entendu :

— Vous ne partirez pas d’ici sans votre ami et son chien, n’est-ce pas ?

— Vous pouvez m’garantir qu’il a passé la porte des urgences ?

— Juste avant moi, assura Dawn. J’ai… bêtement suivi.

La peur irradiait par tous les pores de la peau de la jeune femme. Elle remercia chaleureusement Calvin lorsqu’il maugréa sur un ton bourru :

— Restez avec moi. On va s’entraider.

Il ne serait pas de trop pour l’aider dans sa quête. Dans les hauts-parleurs, la voix monocorde répéta son message. Calvin ouvrit le chemin sans trop savoir où entamer ses recherches. Dawn vacilla lorsqu’elle vit son scalpel : en d’autres circonstances, elle aurait pris ses jambes à son cou. Cette fois, elle était bien contente de la prévoyance de l’homme. Peut-être la situation, aussi soudaine qu’inattendue, flouait son jugement, mais elle avait la certitude que Calvin ne lui ferait aucun mal. Il n’avait aucune raison de s’encombrer de sa présence, mais il s’en accommodait pourtant.

Ils vérifièrent chaque lieu de repos qu’ils croisaient sur leur passage. Se cachaient dans l’une d’entre elles lorsque cris et pleurs s’approchaient d’un peu trop près. Dawn avait hésité à prendre un scalpel, elle aussi. Elle aurait pu s’en servir… l’aurait-elle osé, seulement ? Rongée de frustration, terrifiée de sa propre faiblesse, la jeune femme n’en fit rien et se renferma davantage.

Si Marianne vagabondait dans ces couloirs avec eux, elle n’aurait pas hésité à renâcler. Dawnie la peureuse. Dawnie qui ne sait pas se défendre toute seule. Obligée de marcher dans les pas d’un homme pour se sortir de cette situation. Jamais Marianne n’aurait accepté l’aide de Calvin. Elle était forte. Indépendante. Elle le revendiquait chaque jour d’une nouvelle façon. Dawn admirait cette force de caractère autant qu’elle méprisait sa propre fragilité. Elle enviait Marianne, son panache, son assurance. Son charisme irradiait partout où elle s’exprimait.

— En bas… en bas…

Un murmure. Assez audible pour que Dawn reconnaisse la voix de son amie. Elle frappa le bras de Calvin du dos de la main. Il sursauta, interrogea Dawn du regard et suivit la direction montrée du doigt. Dans une autre salle de repos, à peine plus grande que toutes les autres. Au mur, un panneau lumineux pour lire les radios. Du désinfectant, de la bétadine sur un plan de travail. Des compresses aussi. Dans un lit, celui sur lequel on avait transporté MArianne incapable de marcher plus longtemps, se tenait la malade. Accroupie. Les yeux à la fois révulsés et étrangement rivés sur le matelas défoncé.

— Là, en bas. Elle est là, en bas, répétait-elle dans une litanie enrouée.

— M… Marianne ? appela Dawn, les sourcils arqués.

Marianne cria. Elle plaqua les mains contre ses tempes brûlantes.

— Dites-lui qu’elle arrête ! Qu’elle se taise !

Parlait-elle de Dawn ? Dans le doute, Calvin incita la jeune femme à reculer. Marianne reporta toute son attention sur le matelas dont la mousse en polyuréthane avait explosé en centaine de petits morceaux. Elle l’avait gratté. Elle recommençait. Ses ongles avaient cédé. Le sang jonchait ses doigts. Les draps. Elle continuait. Inlassable. En bas… il y avait quelque chose en bas.

— Marianne, tu m’entends ? tenta Dawn à nouveau, loin de vouloir laisser son amie sur ce lit défoncé.

Comme si Marianne l’entendait pour la première fois, elle leva la tête vers une Dawnie tremblante. “Elle ne voit rien”, pensa Dawn que les sclérotiques de son amie scrutaient. Marianne ouvrit et ferma la bouche par intermittence. Des filets de bave s'accumulaient à la commissure de ses lèvres. Seuls des râles émergeaient de sa gorge gonflée et témoignaient de l’infection pulmonaire. Marianne, persuadée d’être sur la terre ferme, tomba du lit dans un blam ! sonore. Dawn se cogna contre un plan de travail. Des fioles cliquetèrent sous le choc. Nounours referma sa paluche sur le bras de la jeune femme.

— On sort, décida-t-il. Maintenant !

Marianne poussa un râle exaspéré. L’ours la dérangeait. Elle hurla à s’en déchirer les poumons. Fonça sur Calvin dont les pupilles doublèrent en taille. Dawn sauta sur le côté. Elle évita la furie. Calvin la repoussa d’un coup de pied dans l’estomac. Marianne cracha un liquide à la fois purulent et vermillon. Les jambes de Dawn flageolèrent quand Calvin l’agrippa par le col. Elle atterrit dans le couloir grâce à la force de l’homme qui claqua la porte de la chambre derrière eux. Il la bloqua à l’aide d’un lit abandonné là.

Dawn haleta au rythme des coups de Marianne contre l’entrée de sa prison. Paralysée de terreur. Ce n’était plus Marianne. Elle se mouvait, pourtant. Sa conscience l’avait quittée… pourtant elle appréhendait certains éléments. Marianne… Marianne avait changé de réalité. Elle attaquait parce qu’on la menaçait. Les larmes montèrent aux yeux de Dawn : Marianne lui aurait-elle sauté dessus comme elle en avait eu l’intention avec Calvin ? Avait-elle paniqué devant le scalpel que l’homme tenait en main ? Ou alors sa réaction, extrême au possible, provenait uniquement du fait qu’il avait ouvert la bouche ?

— On peut pas… on peut pas la laisser là, suffoqua Dawn.

Calvin riposta :

— Jamais de la vie je rouvre cette porte !

Un aboiement. Lambda. Cole. Dawn les reconnut tout de suite. Calvin et elle le rejoignirent. Dawn jeta un œil par-dessus son épaule. Abandonner Marianne à son triste sort la répugnait. Elle saurait peut-être convaincre les deux hommes de l’aider… ou ils la laisseraient dans ce couloir où les pleurs redoublaient d’intensité, où on enfermait les malades avec soulagement, où on fuyait vers l’aile G.

— Ça va, grand ? demanda Calvin avec une certaine impatience dans la voix.

— J’allais te poser la même question, répondit le blond.

Calvin fit un geste désinvolte de sa main bandée.

— Ça ira, assura-t-il, juste un bobo. Rien de grave.

Dawn plissa les yeux : il avait esquissé un mouvement de tête où elle lut une profonde agitation. Un mensonge. Le déni ? Son bras tremblottait et ses muscles saillaient. Dawn devina la douleur remonter le long de son bras et de ses nerfs visibles. Elle vacilla, prête à s’écrouler : et s’il perdait la tête, comme Marianne ? Et si c’était contagieux ? Il lui avait touché le bras, l’avait attrapée par le col… Autant de gestes qui imposaient un contact physique. Et s’il l’avait contaminée de… peu importe ce qui trainait dans les parages ? Elle perdrait toute notion de la réalité, elle aussi. La vue, apparemment. Elle en mourrait, peut-être. Son estomac se contorsionna. Une chaleur désagréable remonta le long de ses tempes. Les frissons la chatouillaient, ici et là. Des abominations qui lui rapelaient sans cesse sa condition de femme fragile. Mortelle. La maladie la boufferait, comme elle avait bouffé son frère.

— Et toi ? questionna Cole qui sortit Dawn de sa torpeur.

— Qu… hein ?

Calvin inspecta les alentours. Quelque chose clochait.

— Est-ce que ça va ? insista Cole pourtant persuadé d'avoir été clair la première fois.

— Mieux que Marianne…

— Hey !

La voix de Calvin les alerta. Ils toisèrent l’homme à la mine déconfite :

— C’est trop calme, d’un coup…

Dawn arqua un sourcil, puis observa le couloir. Elle se rendit alors compte du silence. De la pagaille. Du temps figé. Un calme ambiant trop serein. Une menace.

— Ils… ils ont tous rejoint l’aile G ? hasarda la jeune femme.

Sûrement. Ils s’étaient confinés. Mis à l'abri. Lambda redressa ses oreilles. Un bruit strident l’attira. Un sifflement.

— Lambda ! s’exclama Cole. Non !

Trop tard. Une main se referma sur le collier de l’animal.


Texte publié par Albane F. Richet, 2 février 2024 à 21h13
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