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tome 1, Chapitre 25 « L'état de Marianne » tome 1, Chapitre 25

Dawn toqua à la porte de l’appartement où on avait accroché un petit “23” à l’effet doré qui passait avec le temps. Marianne pestait toujours à son sujet : elle avait appelé son propriétaire quatre fois, déjà, pour le faire repeindre. Il avait mieux à faire, paraissait-il. Tout pour irriter Marianne, dont le perfectionnisme haïssait ce chiffre si sale à son goût.

Pas de réponse. Dawn se mordilla les lèvres, dansa d’un pied sur l’autre, rajusta son manteau. Elle toqua à nouveau, plus fort, cette fois. Même les voisins devaient avoir entendu. Le temps s’écoula assez pour que Dawn cède à son courant de pensées : c’était la première fois en cinq ans qu’elles travaillaient ensemble que Marianne se sentait mal en plein cours.

On l’avait renvoyée chez elle pendant que Dawn avait effectué sa dernière heure. Cette dernière s’était amusée à imaginer que, cette fois, les 3e CASSINI avaient achevé cette prof chevronnée. L’idée même de leur faire la classe avait anéanti Marianne. Dawn secoua la tête : impossible. Son ami y croyait encore. Il y avait des têtes dures, mais chacune d’entre elles méritait qu’on s’y arrête. Qu’on prenne le temps. Marianne avait dit un jour qu’on ne les sauverait pas tous, non, mais ce n’était pas une raison pour négligeait l’impact des enseignants sur leurs élèves, y compris les têtes brûlées.

Pour Dawn, Marianne incarnait cette prof idéale qu’elle convoitait. Chaque jour, elle apprenait à nouveau les ficelles de son métier. Elle persévérait. Elle y croyait. Surtout parce qu’elle était bien entourée. Marianne lui avait ouvert les yeux, après la mort de Selim, trois ans auparavant. Un traumatisme qui l’avait marquée au point d’en garder de vives séquelles. Dawn avait reporté toute son attention sur ses élèves, ses “enfants d’un an”, elle s’était formée toujours plus, avait réfléchi à sa pédagogie dans le détail. Le tout sous l’œil bienveillant d’une Marianne prête à sacrifier ses soirées dans le but de ramener un semblant de vie chez son amie. Juste une petite étincelle. La magie avait opéré, à un détail près : cette peur des microbes, des bactéries, des virus… tenace, obsessionnelle.

Toujours pas de réponse. Dawn attrapa son téléphone : quatorze heures trente. Marianne avait peut-être sombré dans une sieste réparatrice. Elle gardait toujours son portable à proximité. Dawn pria pour qu’il ne soit pas en silencieux. Bingo ! Marianne décrocha à la deuxième sonnerie.

— Marianne ? hasarda Dawn.

Bruit de respiration. Sons gutturaux. Ça n'allait pas. Ça n'allait pas du tout. Dawn raccrocha. Marianne gardait une clé de secours sous son paillasson. Gagné ! Elle l’inserra dans la serrure, puis retint son geste. Dans un élan de lucidité, Dawn dégota un masque chirurgical dans son sac et du gel hydroalcoolique. Elle ne tourna la clé qu’une fois ses mains désinfectées.

A peine entrée, Dawn perçut l’effluve de la maladie. Rance. Mêlée à une odeur putride. Elle l’inventait, sûrement. Comme elle voyait les petites pattes des streptocoques et les virus en forme d’oursins multicolores sur les meubles de cuisine et dans les recoins du sol au plafond. Ouvrir une fenêtre les balayerait tous, mais Dawn n’était pas chez elle. La jeune femme rassembla tout son courage pour entrer. Un petit pas. Un seul. Elle pria pour trouver Marianne dans son canapé, au salon, dans la pièce à côté. Elle redoutait de devoir monter dans sa chambre, au premier.

Dawn évita d’appeler son amie. Ouvrir la bouche, c’était se condamner. Les sueurs froides suintaient le long de son corps emmitouflé dans sa doudoune hivernale, elle regretta d’avoir oublié ses gants. Ils l’auraient rassurée. La respiration rauque de son amie se répandit en écho. Elle était bien dans son canapé, mais Dawn n’était pas rassurée pour autant. ‘Ce matin, elle allait si bien’, pensa-t-elle. Comme Selim, trois ans auparavant. Tout se passait à merveille dans sa petite vie tranquille, et puis…

Marianne tremblait, emmitouflée dans son plaid. Dawn recula d’un pas, les spores tout autour de son amie l’intimidaient. Elle les imaginaient sûrement aussi. Marianne puait la maladie. Ca la gangrènait de l’intérieur. Sur la table du salon : un thermomètre, une boîte d’aspirine, un sirop contre la toux périmé et un anti-vomitif. Une auto-médication loin d’être de qualité. Marianne ne se serait jamais encombrée d’aller à la pharmacie avec les trois bricoles qui trainaient chez elle. Son système immunitaire ferait l’affaire.

Dawn se résolut à limiter son temps chez Marianne. Ses difficultés respiratoires l’amenèrent à la placarder dans la rubrique des pneumonies et autres bronchites, tandis que sa fièvre et maux de tête attestaient plutôt d’une foutue grippe. Si les symptômes, un à un, n’alertaient pas au premier abord, tous ensemble, ils prenaient une proportion inquiétante.

— Marianne… je crois que tu devrais aller à l’hôpital.

Dawn avait imaginé une réponse cinglante, dans laquelle son amie se serait insurgée. ‘Avec toi, Dawnie, on finirait tous à l’hosto en moins de deux ! Et puis quoi, encore ? Que j’y perde mon après-midi à attendre ? Comme si les urgences étaient pas assez bouchées comme ça ! D’ailleurs, un bobo au ventre, c’est pas une urgence’. Rien. Marianne la contemplait, les yeux vides. Est-ce qu’elle allait perdre connaissance ? Cette perspective épouvanta Dawn.

Malgré son envie de vomir, Dawn attrapa Marianne par les épaules. Elle l’obligea à se lever.

— Daw…nie…

Impossible pour Marianne d’articuler au-delà de ce simple mot prononcé mille fois par jour. Dawn y reconnu de la surprise. Elle renâcla :

— T’as de la chance que j’ai aussi le syndrôme du sauveur. Allez, à l’hosto !


Texte publié par Albane F. Richet, 27 décembre 2023 à 15h48
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