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tome 1, Chapitre 21 « Le fils de Jedefray Coldman » tome 1, Chapitre 21

Calvin, à bout de souffle, se cramponna à la barre centrale de la rame. Ses muscles tiraient et formaient des poids lourds sous sa peau palpitante. Il entendit à peine Cole s’affaler dans un des sièges et Lambda le coller aux basques. Ils avaient eu de la chance, dans leur malheur : minuit vingt, ils avaient chopé la dernière rame en service. la prochaine ne passerait plus qu’à six heures. Nounours fut rassuré de voir qu’ils étaient seuls. Quand le bruit caractéristique du vent sur le métro annonça le départ de celui-ci, Calvin se posta devant… l’autre.

— Tu t’appelles pas Sven, claqua-t-il.

Il l’avait tout de suite deviné, au terrain-vague, mais à aucun moment il n’aurait relié ce mec chétif avec le vieux Coldman. Cole se mordit la joue, évita son regard, mais fut bien forcé d’admettre :

— C’est le prénom de mon oncle…

Nounours commençait à tourner sur lui-même comme un lion en cage, les poings serrés, la sueur au front.

— Alors ton vrai nom, c’est…

— Cole. Ouais.

Sa nonchalance le piqua au vif. Il empoigna le menteur et l’obligea à se relever, son visage tout proche de celui du borgne. Une grimace déforma les traits de Nours : il culpabilisait d’avoir pris cet étranger en sympathie. Son jeune âge, son air de chien battu et son côté gamin naïf l’avait attendri. Pourtant, il aurait dû se méfier… Personne n’atterrissait au terrain-vague par hasard.

— Ecoute-moi bien, Cole. Je ne peux pas me permettre d’avoir de nouvelles emmerdes avec le vieux Coldman alors tu vas vite m’expliquer ce qu’il te veut, ce sale rat.

Cole hoqueta. Plaqua une main sur le poignet de Nours. Lambda aboya. Tourna autour des deux hommes.

— Lâche-moi ! Lâche-moi ! vociféra Cole.

Sa véhémence choqua assez Calvin pour qu’il réponde à sa demande. Cole tomba lourdement sur le sol de la rame tandis que celle-ci se remettait en route après un arrêt. Il se recroquevilla contre les sièges. Lambda approcha et gémit, inquiet. Il posa le museau contre l’épaule de son maître.

— T’es quand même vachement émotif, comme mec, reconnut Calvin, mais je vais pas te lâcher. Alors crache le morceau.

Cole tremblait à la manière d’une feuille morte que le vent harcèle par petites touches.

— Il… il me poursuit, articula-t-il. Il me cherche. Je veux pas… je veux pas y retourner !

Nounours fronça les sourcils :

— Retourner où ?

— Au labo. Non. Plus jamais… plus jamais.

Cole attrapa Lambda par l’encolure afin de l’amener tout contre lui. Son bouclier. Un soulagement dans les moments où la tension étouffait le jeune homme. Nounours s’agenouilla, mais resta assez éloigné pour ne pas effrayer le traumatisé davantage. Encore cinq arrêts avant le parc. Manquerait plus qu’il profite d’une ouverture des portes pour se ruer dehors. Calvin fut soudain pris d’un sérieux doute : et si Cole n’était pas… disons… recommandable ? Après tout, il s’était inventé une nouvelle identité, il fuyait, il agissait comme… comme un mec en manque.

— C’est quoi le lien entre Coldman et toi ? demanda l’homme d’un ton bourru. Comment vous vous connaissez ?

L’iris aigue-marine de Cole le jaugea. Nounours serra les dents :

— Ecoute-moi bien : t’es là depuis quatre jours et y a quasiment autant de cadavres sur ta route. On t’a fait une place chez nous. Tu t’es fait agressé, je le regrette, mais j’y suis pour rien. Et là, deux abrutis que j’essaie d’éviter comme la peste depuis deux ans te courent après. Si tu m’fais pas confiance, alors on arrête là et on se sépare.

Nounours se félicita d’avoir tiré cette carte. Il avait vu juste : Cole avait peur à l’idée de finir seul. Le garçon se ressaisit, essuya une larme insolante qui roulait sur sa joue, puis déclara :

— C’est mon père.

Il se reprit de suite :

— Mais c’est un salaud ! Je veux plus jamais avoir à faire à lui.

Une chappe de plomb s’écrasa dans le corps de Calvin. Ce gars devant lui, pétrifié de terreur… il s’inventait une vie. Un menteur compulsif. Un malade. Nounours se releva, plus déçu que jamais, certain d’avoir pris sous son aile un pauvre type qui avait clairement besoin de soins. Il s’assit sur un des sièges, les coudes sur les genoux, les mains sur le menton, dans un silence absolu. Cole le fixait. il attendait une réaction qui ne vint pas. Les portes s’ouvrirent sur Mansfield. Se refermèrent. Plus que deux arrêts avant le parc. Plus Nours tergiversait, plus il était convaincu d’une chose : il ne pouvait pas ramener Cole au terrain-vague. Il était dangereux, à sa manière.

— Nounours ? s’inquiéta Cole d’une petite voix tandis que la sclérotique de son œil valide se teintait de rouge. Je… je suis pas comme lui.

Lambda aboya d’indignation quand son maître le repoussa pour mieux se redresser.

— Je suis pas comme mon père, tenta-il pour sortir Calvin de son mutisme.

— Arrête, gronda ce dernier. Je sais pas si tu crois un mot de ce que tu dis ou si tu te fous de ma gueule, mais dans les deux cas, ça va mal finir pour toi.

L’air interdit de Cole lui rappela ce côté naïf qui lui avait plu de prime abord. Il avait espéré se faire un vrai pote. Pourquoi pas ce p’tit blond, survenu de nulle part. On avait tous besoin d’un ami et Calvin n’en avait jamais vraiment eu. Lambda sentit son malaise, car il délaissa le malotru trop stupide pour apprécier ses câlins et vint poser une patte compatissante sur la jambe de Nounours. Que ce soit ce geste, l’air confus de Cole ou sa tristesse d’avoir été ainsi berné, Calvin soupira, puis contra d’un argument irréfutable :

— Tu peux pas être le fils de Jedefray Coldman. C’est pas possible. Il est mort y a des années.


Texte publié par Albane F. Richet, 12 avril 2023 à 15h02
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