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tome 1, Chapitre 15 « Lueur » tome 1, Chapitre 15

Crac !

Cole sursauta. Plissa les yeux. Silence. Dans la pénombre, il distingua une silhouette. Les bourreaux ? Non. Un tronc. Rien qu’un tronc gigantesque avec des branches semblables à des bras. Autour de lui, tout se confondait. Son cerveau lui jouait des tours. Un rictus frustré lui tira les lèvres : difficile de garder son sang-froid.

Lambda, insouciant, respira la force tranquille tandis que les nerfs de son maître se nouèrent. Il se mordit les lèvres, marcha dans les ténèbres. Sa main se posa contre un tronc aux boursouflures piquetées de trous. Il approcha son visage pour mieux y découvrir quelques traces de moisissures et s’éloigna d’un pas plus rapide.

Plus il avançait, plus les arbres se paraient d’excroissances. Si certaines d’entre elles demeuraient à peine visibles, d’autres purulaient sous l’humidité. Les insectes les meurtrissaient. D’autres ennemis agissaient. Une autre source malveillante réveillait à coup sûr ces tumeurs où les champignons naissaient. De telles boursouflures n’avaient rien de naturel. Il entendait presque la douleur des plantes… Il hocha la tête, reprit ses esprits. Devant lui se dressait une légère pente.

L’ascension lui tira un soupir de lassitude. Ses muscles brûlèrent sous la peau, les courbatures s’apparentaient à des coups de massue à chaque nouveau pas. Mais il fallait continuer. Il ne pouvait plus reculer. La seule alternative consistait à se laisser mourir.

Non. Je veux pas mourir.

Cole fléchit et plaqua sa main contre le sol enneigé. Les poils de ses bras se hérissèrent sous l’impact du froid glacial. Puis, il se redressa. L’écart entre ses pas s’agrandit, la marche se mua en une ascension éreintante. Son cœur battit à tout rompre sous l’effort, sa respiration trancha avec le calme ambiant.

Entre les racines, des insectes grouillaient et des toiles d’araignées luisaient, gelées, sur les branches ou dans les craquelures des écorces. Il frissonna et se frotta l'œil dans l’espoir de se maintenir éveillé. Bientôt, il arriva au sommet, les jambes flageolantes, la respiration courte et trempé de sueur.

Qu’est-ce que…

Là-bas. À l’horizon. Derrière les arbres. Une lumière. Un halo jaune-orangé. L’électricité. Un signe.

La civilisation !

Cole qui, une minute plus tôt, songeait à se laisser tomber, fonça vers cet espoir. Lambda accompagna chacune de mes enjambées. Plus vite ! Plus vite !

Bon dieu, j’y arriverai donc jamais ?

Si proche et pourtant si loin. Il manqua de trébucher sur une racine. Tint bon, l’œil fixé sur la lumière dont le halo s’agrandit à chaque mètre franchi. Le terrain descendit légèrement, sa vitesse s’accentua. Elle était là. Tout près !

Ses pieds atterrirent sur le bitume. L’ampoule du réverbère vacilla au-dessus de sa tête. À gauche, à droite, le noir intégral. En face, encore un millier d’arbres. Un chemin. Une route. Elle menait forcément quelque part.

Il plaqua les mains sur ses genoux, le souffle coupé. La gorge le brûlait, le grattait. Il toussa. Il cracha. Toutes ces années sans réaliser le moindre effort… Il en payait le prix. Un frisson l’assaillit : son père avait rempli son objectif. Rendre le cobaye incapable de courir plus de quelques minutes sans vomir ses poumons. Voilà une croix à ajouter sur son carnet de notes !

Ce fils de pute ! cria Cole. Il cogna son poing serré contre le réverbère métallique. Un plong ! en résulta. L’objet se moquait de lui. Il retira sa main, l’agita dans les airs pour éteindre la douleur. À ses pieds, Lambda gémit. Ses yeux l’imploraient. Il tremblait. Il avait froid. Il était fatigué. Son pauvre ami…

— Désolé… je voulais pas te faire peur.

Agitation de la queue.

— T’as raison, je devrais être content. On a franchi un cap ! Reste à trouver la ville la plus proche, pas vrai ?

Aboiement unique. Cole arqua les lèvres dans un sourire entendu. Plus qu’à choisir une direction. Gauche ? Droite ? Pas en face, trop d’arbres. La forêt avait gagné.

J’y foutrai plus les pieds.

Aucune bâtisse ne se dressait au loin. D’aucun côté. Cole évalua la situation. Alla choisir au pif-o-mètre.

Putain, j’ai pas l’air con sous mon lampadaire !

Lambda attendit ses ordres. Il le fixa avec une intensité effrayante.

Je sais pas.

Il se frotta à nouveau l’œil. Il piquait. Cole somnolait.

Je peux pas rester là…

Un bruit de moteur. Il sursauta. À gauche, la lumière des phares. La voiture de Sven ? Jedefray ?

Ni une ni deux, Cole siffla Lambda. Ils retournèrent sous le couvert des arbres. Cole se plaqua contre un tronc. Frémit. Manqua de vomir. Une araignée énorme se trouvait à proximité de sa tête. Elle resta immobile. L’homme cessa de respirer. Les yeux rivés sur la bête. Le bruit du moteur enfla. Rugit. La lumière des phares balaya la forêt. La cachette du fugitif. La voiture les dépassa, Lambda et lui. Les phares disparurent dans la nuit. Cole s’éloigna des huit pattes avant de reprendre enfin mon souffle. Ses muscles se détendirent au fil des secondes qui passèrent dans le silence.

M’éloigner. M’éloigner des tortionnaires.

Ils rentraient sûrement au labo après des heures de recherches à proximité de la forêt. Ils avaient d’ailleurs dû penser que Cole errait déjà en ville. Ils l’avaient épluchée de fond en comble. À n’en pas douter. Ils retournaient au labo… préparaient un nouveau plan de traque. Les mains de Cole tremblèrent. Son cœur battit à tout rompre.

Ils rôdent si près… S’ils m’avaient attrapé… alors je serais… Non ! Jamais !

Cole secoua la tête, frénétique. Les bourreaux avaient répondu à son dilemme, il prit la direction de droite. Loin de la voiture. Loin de ses phares éblouissants. Loin des monstres. Il se gratta le bras. Ça démangeait.

— On reste… on reste à l’orée du bois. Au cas où… au cas où ils repasseraient, d’accord ?

Lambda le contempla de son petit air naïf. Cole soupira, comprimé sous la responsabilité de ce choix crucial. Ils reprirent la marche forcée. Les muscles du fugitif gémirent sous l’effort. Il agissait au mieux. Pas d’autre solution. Vraiment ? Il hocha la tête. Advienne que pourra.

La route s’étendait, interminable. Elle disparaissait dans l’angle-mort du cache-œil. Cole tourna la tête par intermittence, anxieux à l’idée de la perdre de vue trop longtemps. D’autres phares survinrent dans le noir. Il se plaqua contre l’arbre le plus proche. Maintint Lambda par l’encolure. Bruit de moteur. Elle passa. Garda la même allure. Les ténèbres l’avalèrent alors. Rasséréné, le fugitif poursuivit sa pénitence.

Les bourreaux. Ce n’était peut-être pas eux. Dans la voiture, tout à l’heure. Trop tard, maintenant, pour se poser la question. Avec un peu de chance, Cole trouverait un coin pour dormir en ville. Ou ailleurs. Peu importe du moment que la forêt s’éloignait.

Il approchait de son but. Les véhicules fonçaient dans la nuit. Malgré ses précautions, des phares l’éclairaient, parfois. Son souffle se coupa. Les lumières l’inondèrent. Les automobilistes l’ignorèrent.

Bientôt, enfin, il découvrit un panneau.

BIENVENUE À

MONROE


Texte publié par Albane F. Richet, 29 septembre 2022 à 17h52
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