Cole n’y voyait plus rien. Les silhouettes des troncs se confondaient et la lune, à moitié visible, jouait à cache-cache au-dessus des arbres denses. Plus d’une fois, le jeune homme trébucha. Manqua tomber. Les échardes lui égratignèrent les jambes ; il grimaça dans le noir.
La forêt n’était jamais complètement silencieuse. Un grincement, un bruissement, un pépiement. Cole haletait, entouré de tous ces sons sans jamais en connaître l’origine. Il se traînait, les pieds engourdis. Ses dents claquaient au gré du froid vigoureux. Depuis le couché du soleil, Lambda et Cole n’avaient rencontré que quelques rongeurs.
L’angoisse comprima l’estomac du jeune homme. C’était donc ça, le monde extérieur ? La solitude. Le froid. La faim qui tiraillait de plus en plus. Les bruits insolites, les mouvements rapides dans le noir. On l’observait, tapis dans l’ombre. Jedefray ? Sven ? Peut-être. Ou pire, si c’était possible. Des loups. Des ours. Lambda levait l’oreille par intermittence. Il humait l’air. Jamais Cole ne l’avait connu si agité.
Pourtant, dans les livres, dans les films à la télévision, il avait vu ou imaginé les villages, les villes, les fermes… peu importe ! Ou se trouvaient-elles, désormais ? Uniquement entre les pages d’un bouquin ou derrière une lucarne ? Le bruit des moteurs de voitures devrait lui percer les tympans. Les lumières devraient l’éclairer au loin. Rien. Juste des arbres à perte de vue et un vent qui siffle à en fouetter la peau.
La lune s’amusait avec Cole. De Cole. Tantôt visible à droite, tantôt tout droit. Quand elle disparaissait, il l’imaginait dans l’angle mort de son cache-oeil. Les souches, les pentes abruptes et les racines emmêlées l’obligeaient à bifurquer. Impossible ensuite de retrouver son axe initial. Tout se ressemblait. Malgré la taille gigantesque de la forêt, il subissait un nouveau confinement. Les arbres, toujours plus nombreux, l’entouraient et l’étouffaient. Les troncs et les branches l’effrayaient, barreaux de prison auxquels il ne s’attendait pas.
Son cerveau tournait à mille à l’heure. Se repérer. Se repérer dans une forêt quand on est perdu… Dans une série télévisée, un homme suivait un cours d’eau. Le courant. Le courant amène à la civilisation, avait-il dit. Mais Cole avait dépassé la rivière des heures auparavant. Pas question de rebrousser chemin. Les étoiles ? Dans un dessin-animé, les personnages suivaient une grosse étoile. Celle qui brillait le plus. Cole leva l'œil au ciel, mais les branches en recouvraient la majeure partie. Des petits points brillaient, mais aucun d’eux ne luisait assez fort pour représenter le Nord.
Je suis vraiment perdu…
Cole se stoppa net. Un grand vide en lui. Seul. Seul dans le noir et le froid. On ne le retrouverait jamais. Jedefray et Sven ne s’aventureraient jamais si loin pour sa carcasse. Ils la laisseraient pourrir là, au beau milieu d’un enchevêtrement de ronces. De toute façon, le bourreau voulait le tuer, non ? Lui ouvrir le crâne. L’ “endormir”... D’habitude, une colère furieuse, noire, s’emparait de Cole. Pas cette fois. Panique. Désespoir. Après l’abandon de sa mère, celui de son père quand il est devenu le scientifique, Cole se sentait maintenant abandonné de la civilisation elle-même. Personne ne voulait de lui. Seule la forêt acceptait de le cacher jusqu’à ce que mort s’en suive et que les plantes recouvrent son corps en décomposition.
Le torse de Cole se levait et se baissait par intermittence, au rythme de sa respiration haletante.
J’peux pas. J’peux pas crever ici. Pas après ce que j’ai enduré. Pas après ce que j’ai réussi à faire pour m’en sortir.
Mais la faim tiraillait depuis des heures. Elle grappillait du terrain, sournoise. Son estomac grondait plus fort à chaque mètre franchi, il se tordait dans son ventre et une pointe de tension stagnait dans son cerveau; invisible mais bien présente. Elle titillait son impatience, ravivait le goût des mets simples qu’on lui proposait au laboratoire. Simples, oui, mais délicieux. Capables de satisfaire sa plus terrible satiété. Celle qui, désormais, l’obnubilait. L’insupportait.
Même les steaks trop cuits façon semelles de chaussures concoctés par Jedefray lui amenaient l’eau à la bouche, au point où il en était. L’oeil fermé, il imagina le bout de viande sur la pointe de sa langue, puis se balader dans sa bouche tandis que ses effluves empliraient toute la cavité. Ses dents joueraient avec lui jusqu’à ce que, las, elles céderaient sous la tentation et se refermeraient sur la pauvre victime. Encore et encore. Jusqu’à déglutition, où les morceaux de protéines glisseraient le long de son oesophage satisfait, enfin.
Une pression s’exerça sur son genou. Cole sortit de sa rêverie sordide et sursauta : Lambda grattait contre le tissu de son pantalon. Cole se baissa vers lui, il l’accueillit dans une étreinte profonde, touchante. Un soutien rassurant. Loyal. Non, jamais plus Cole ne devait-il se prétendre seul.
— Ça va aller… on va y arriver, hein ?
L’animal se détacha de son étreinte. Cole devinait à peine sa silhouette, dans le noir profond.
— Faut… faut qu’on continue à marcher…
Pas moyen de faire un feu ici. Bois mouillé. Pas de briquet. Ça ne prendrait pas. Pourtant, c’était si facile dans les films ! Du bois. Deux pierres… ou juste un bâton à frictionner entre les fines branches. Rien de bien compliqué. Lambda lui tournait autour. Il mangeait un peu de neige par intermittence. La faim. Encore. Toujours. Jusqu’à la nausée. Si Cole ne trouvait pas la civilisation très vite, il leur faudrait se contenter des offrandes de la forêt.
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