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tome 1, Chapitre 8 tome 1, Chapitre 8

Il ne fallut que deux heures à l'appareil pour parcourir les trois mille kilomètres qui séparaient Sikil de Mairelle. Malgré son épuisement, Ælyonn avait lutté pour ne pas s'endormir. Elle craignait trop d'être assaillie par de nouveaux cauchemars. Elle n'avait pas parlé du voyage, ignorant même monsieur de Sabolin qui lui avait proposé une boisson chaude. Il faisait nuit quand le jet se posa sans bruit à l’aéroport international de la capitale où, officiellement, elle revenait à en tant que jardinière royale. L’héritier descendit en premier, escorté de ses gardes et de son secrétaire. Ælyonn prit ses affaires et suivit Velasquez. Elle frissonna en descendant, l’air était frais, elle mit son sweat zippé à capuche avant de repartir vers l’aérogare. Le cortège marcha en silence à travers de longs couloirs jusqu’à un escalier. Ils l'empruntèrent et arrivèrent dans un sous-sol où les attendaient deux voitures. Le prince monta dans la première alors que monsieur de Sabolin monta dans la seconde avec Ælyonn et Velasquez. Une fois installé, le secrétaire du prince ouvrit une mallette de laquelle il sortit un ordinateur portable, un téléphone et un galet argenté semblable à celui que Valentin avait utilisé dans la forêt. L’agent secret agacé par l'indifférence d'Ælyonn, lui retira avec brusquerie le casque des oreilles.

— Mademoiselle, voici votre nouveau matériel. A compter de maintenant vous n’aurez plus accès à vos appareils personnels. S’il y a des données que vous voulez récupérer de votre ordinateur, faites-le-moi savoir, commença-t-il d’une voix aimable.

Ælyonn ne dit rien, elle regardait par la fenêtre, sans se préoccuper de son interlocuteur. Monsieur de Sabolin continua sans se fâcher.

— Ceci est une balise de détresse, si vous êtes en danger, appuyez dessus, nous pourrons ainsi vous localiser et intervenir rapidement. Merci de le conserver sur vous en permanence, même au palais, s’il vous plaît.

Il lui tendit l’objet, mais la jeune fille ne bougea pas. Le secrétaire reposa la balise dans sa mallette et lui tendit un téléphone.

— Le vôtre a été perdu lors de… l’incident de cet après-midi, hésita-t-il. Celui-ci est le dernier modèle à la mode, il est très recherché, vous savez ! Vous avez un forfait illimité et un accès ultra sécurisé au réseau mobile.

Malheureusement, il n’eut pas plus de succès que la balise et le pauvre homme semblait gêné.

— Ælyonn ! Fais un effort ! Demanda froidement Valentin.

— Allons, Velasquez, un peu d'empathie ! Mademoiselle Brémont a eu une journée très difficile, ne la brusquez pas, intervint le secrétaire avec bienveillance.

Il se tourna vers Ælyonn.

— Mademoiselle, je comprends que vous soyez froissée de vous savoir surveillée de la sorte. Vous vous doutez bien que tout ce matériel est tracé par nos services, ce n’est que dans le but de vous protéger. Vous avez vu la détermination du Réduve. De plus vous allez avoir accès à des dossiers gouvernementaux, nous devons nous assurer qu’il n’y aura aucune fuite.

Ælyonn se tourna finalement vers lui. Il avait une soixantaine d'années et des cheveux blancs. Derrière ses lunettes, ses yeux verts pétillaient de malice et toute sa personne respirait la douceur ainsi que la bienveillance. Ælyonn s’en voulut en lui répondant.

— Vous avez raison, ma famille et Amandine ont pu apprécier l’efficacité de la Couronne en matière de sécurité.

Velasquez foudroya la Corataara du regard et se retint de lui coller une paire de claques. Monsieur de Sabolin fut embarrassé par sa répartie.

— Je suis peiné par votre réaction, mademoiselle, répondit-il sans une once de reproche dans la voix. J’ai personnellement choisi ce matériel en tenant compte de vos goûts. Je puis vous assurer que Son Altesse Royale prend votre sécurité très au sérieux. J’espère sincèrement que vous apprendrez à vous apprécier, c’est dans votre intérêt à tous deux.

Tout en parlant, l’homme rangea dans la valise les gadgets high-tech.

Ælyonn ne répondit pas. Elle trouvait ce vieil homme adorable avec son sourire. Il ne s’était pas énervé quand elle l’avait attaqué. Elle avait pu également constater qu’il ne s’était pas moqué d’elle : l’ordinateur lui avait tapé dans l’œil. Le téléphone de monsieur de Sabolin sonna brièvement. Il avait reçu un message, dès cet instant, il passa son temps à en envoyer et à en recevoir. Le reste du trajet se déroula dans un lourd silence. Ils arrivèrent devant une barrière de contrôle gardée par des hommes en uniforme. La voiture s’arrêta et après un bref échange entre le chauffeur et un officier, elle redémarra. Elle remonta une longue allée, jusqu’à un grand bâtiment en U. Sur le perron se tenaient ses parents, elle était arrivée chez elle. Ælyonn descendit et sa mère se précipita vers elle.

— Ma chérie ! Comment vas-tu ? Montre-moi ta blessure ! Viens vite à l’intérieur, tu dois avoir froid ! S’empressa Viviane Brémont en la serrant dans ses bras.

Sa mère était une belle femme qui transpirait l'élégance et l’intelligence par tous les pores. Grande et mince avec des cheveux blond foncé rassemblés en chignon, elle avait des pommettes hautes et rondes et des yeux noisette.

— Viviane, laisse-la respirer, la gronda gentiment Henri, le père d'Ælyonn. L’homme de cinquante ans était assez svelte. Il avait les joues tombantes, une grande bouche, un nez en trompette ainsi que de grands yeux bleus. Avec ses cheveux poivre et sel coiffés sur le côté et son costume trois-pièces foncé, il avait davantage l’air d’un professeur que d’un jardinier.

Il s’approcha et l’embrassa aussi. Tous les deux avaient adopté la coutume du continent qui consistait à embrasser les deux joues, ce qui surprenait toujours la jeune fille. Sans se soucier de Velasquez et du secrétaire du prince, ils entrèrent au Carré, la demeure officielle du Grand Maître des Jardins du Roi. Situé dans les jardins royaux à cinq cents mètres du palais, le Carré était une grande maison de maître avec un étage. Il était tout en pierre de taille blanche à arcade plein cintre, parsemé de portes-fenêtres. Ils pénètrent dans le grand hall avec son sol à damier blanc et noir. Au bout, un grand escalier en pierre et en fer forgé desservait l’étage de la maison. Ils prirent à gauche pour entrer dans le salon. Ælyonn fut choquée par le changement de décor : parquet ciré, murs blancs, médaillons surchargés en stuc et lustre en cristal. C’était très déconcertant par rapport au palais du Portique. Aux murs se trouvaient des tableaux des ancêtres d’Ælyonn et des tableaux en pied de différents monarques de la dynastie des Clamerin d’Espla. De grands tapis couvraient le parquet et le mobilier était composé de meubles anciens rehaussés de dorure et de bronze. Rien dans ce décor ne laissait penser que les maîtres de lieux étaient originaires de La Lupa.

Ses parents l’installèrent dans un grand canapé en cuir et sa mère lui tendit un verre de porto. La jeune fille se sentait un peu déboussolée, elle n’avait pas mis les pieds ici depuis ses quatre ans et le contraste entre le Portique et le Carré, lui serra la poitrine. C’était si froid et fermé comparé au palais de son grand-père. Tout était trop différent pour qu'elle s'y sente à l'aise. L'agencement était trop strict et le luxe trop ostentatoire à son goût.

Monsieur de Sabolin et Velasquez entrèrent. Ils saluèrent les Brémont et le secrétaire demanda à Ælyonn de lui remettre son ordinateur et son lecteur multimédia.

— Ça ne peut pas attendre demain ? demanda Ælyonn en sirotant son porto.

— Je regrette, mademoiselle, il me le faut ce soir et votre baladeur vous sera restitué demain avec le courrier du matin.

— Pourquoi mon lecteur ? Il ne se connecte pas au net.

— C’est un ordre de Son Altesse Royale, tous les appareils électroniques doivent être vérifiés, expliqua monsieur de Sabolin.

— C’est ridicule, je n’imaginai pas le prince aussi paranoïaque, mais ça se soigne quand c’est bien traité, lança Ælyonn en se levant pour se diriger vers le hall.

— Ælyonn ! S’il te plaît, ne commence pas ! Supplia Henri.

La jeune fille et le secrétaire suivirent un domestique qui portait ses valises dans sa chambre. Ælyonn lui demanda de les poser sur le lit avant de le remercier lorsqu'il sortit. Elle ouvrit la plus petite valise et elle fut surprise.

— Quelque chose ne va pas mademoiselle Brémont ? s’enquit le secrétaire.

— Non, rien, je ne pensais pas avoir pris si peu de vêtements, mentit-elle.

Elle souleva quelques tee-shirts et sortit son ordinateur qu’elle tendit au secrétaire.

— C’est possible d’avoir une copie complète de mon disque dur ?

— Vous aurez ça demain matin avec votre baladeur, sourit le vieil homme avant de redescendre avec elle.

Il repassa au salon où Velasquez discutait avec le couple et après avoir salué la famille, les deux hommes prirent congé. Ælyonn s’assit dans le canapé pour finir son porto. Sa mère se tint à ses côtés et lui caressa les cheveux.

— Je vais chercher ma trousse, il faut changer ton pansement, ça te fait mal ? Demanda sa mère avant de quitter la pièce.

— Non ça va, ça tire un peu, c’est tout, répondit la jeune fille.

— Tu veux manger quelque chose ? Nous avons déjà dîné et nous t’avons fait préparer un bon plat et il y a des beignets de fleurs d’acacia pour le dessert, lui proposa son père en s’installant à côté de sa fille.

— Je veux bien, je suis affamée.

Monsieur Brémont sonna et quand le majordome apparut, il demanda qu’on apporte un plateau pour mademoiselle Ælyonn, sans oublier les beignets. L’homme s’inclina et partit vers la cuisine. Henri prit les mains de sa fille.

— Comment vas-tu ? demanda-t-il d’une voix douce.

— Ça va, ce n’est qu’une bosse qui saigne un peu, répondit Ælyonn avec un peu d’impatience.

— Non, je ne te parle pas de ta blessure, je te parle de tes dons. Tu n’es pas trop perdue ? Tu comprends ce que tu vois ?

Ælyonn sentit des larmes montées, elle était émue par la sollicitude de son père et elle ne savait pas par quoi commencer. Sa mère entra, mit des gants et commença à retirer doucement le pansement.

— De quoi vous parlez ?

— De mes pouvoirs, la renseigna Ælyonn.

Sa mère ne dit rien, elle continua ses soins. La jeune fille parla d’une voix lente.

— Je vois des choses riches, tout bouge, change de couleur, pour moi une feuille n’est pas verte, mais de plusieurs couleurs chatoyantes. Les plantes vibrent et communiquent bien plus qu’on ne l’imagine.

Petit à petit, elle se livra, d’abord avec lenteur, puis son débit s’accéléra, ses pensées s’organisaient et sortaient naturellement. Elle avait affaire à des passionnés du monde végétal, elle pouvait sans hésiter entrer dans les détails. Elle parla aussi de tout ce qui lui pesait depuis un mois. Ses parents avaient parfois du mal à suivre sa logique un peu compliquée, mais ils ne l’interrompirent pas, ils voyaient que leur fille avait le cœur lourd et qu’elle avait besoin de se confier. En larmes, elle parla de l’attaque de l’après-midi, de la mort de l’agent, du sang, de la peur et des balles qui sifflaient. Elle leur parla de tout, même de cette chose qui l’avait terrifiée et de sa danse dans les jardins, ce qui fit rougir son père. Quand elle termina son histoire, un poids énorme était parti, elle respirait mieux, elle se sentait légère et malgré ses larmes, elle était heureuse d’être ici avec ses parents rien que pour elle.

Sa mère avait fini de s’occuper de sa plaie depuis longtemps et Ælyonn n’avait même pas remarqué qu’un plateau avait été déposé sur une table. Sa mère la prit dans ses bras en tremblant.

— Oh ! Ma pauvre chérie, tu as gardé ça pour toi tout ce temps ? Je suis si désolée de ne pas avoir été là. Pourquoi ne m’ as-tu pas prévenue que tu n'allais pas bien ?

— Parce que... je sais pas, se désola-t-elle.

— Tu peux nous faire confiance. Nous sommes si heureux de te retrouver, nous veillerons sur toi, souffla son père d’une voix émue.

Ælyonn se leva, mais ses jambes se dérobèrent. Ses parents la rattrapèrent et ils enlacèrent la jeune fille dans leurs bras, assis sur le tapis. Ælyonn sourit à travers ses larmes en sentant la main fraîche de sa mère sur son front.

— Ça va mieux, dit Ælyonn après quelques minutes dans leurs bras.

Elle se détacha de ses parents et vit le plateau de nourriture. Elle se leva et s’installa pour manger. Son père se redressa à son tour et tendit la main à son épouse pour l’aider à se relever. Viviane alla se servir un whisky et tendit un verre à son mari. Elle vouait un culte au malt liquide et faisait même partie d’une confrérie d’amateurs de cet alcool. D’ailleurs la famille royale s’en remettait à elle pour débusquer les meilleures bouteilles. Elle marchait dans le salon, en dégustant avec délectation le liquide doré. Henri s’était installé dans un fauteuil et observait leur fille dévorer à belle dent un pavé de saumon accompagné d’une salade verte aux agrumes.

— Comment le Réduve a su où tu te rendais ? Réfléchissait sa mère à haute voix. D’après ce que nous savons, seuls le roi, ton grand-père et le service de sécurité connaissaient ta destination et le trajet emprunté.

Ælyonn s’arrêta de manger, comment était-elle passée à côté de cette évidence ?

— Ils devaient surveiller le Hadiqa, après tout, ils savaient par où passer pour se rendre dans la chambre de Lælo, répondit Henri.

— Certes, mais cet arbre sur la route, il est tombé tout seul ou il a été abattu ?

— Je ne sais pas, maman, je n’ai pas demandé à Valentin, se reprocha la jeune fille qui avait perdu l’appétit. Elle enchaîna :

— Il y a deux chemins pour se rendre à l’institut de La Lupa, nous avons pris le plus rapide, c’était facile à prévoir.

Elle mourrait d’envie d’appeler Velasquez pour avoir le fin mot de l’histoire si l’arbre avait été abattu, alors le Réduve était beaucoup plus proche d’elle qu’elle ne le pensait, caché dans parmi des gens qu’elle côtoyait ou avait côtoyé. Entre l’accord du roi et leur départ pour la forêt, il s’était écoulé environ deux heures. C’était suffisant pour tendre une embuscade, mais ce n’était pas très malin de l’attaquer dans une forêt. Le Réduve avait peut-être profité de l’arbre tombé pour passer à l’attaque et Ælyonn essayait de se souvenir si elle avait vu une voiture derrière eux.

Viviane caressa le visage contrarié de sa fille du revers de sa main.

— Ne te torture pas ainsi, demain nous demanderons à l’agent Velasquez. Et s’il ne veut pas répondre, il y a d’autres moyens de se renseigner, sourit-elle.

Henri regardait sa femme avec fierté, elle était brillante et sa fille avait hérité de son esprit vif et curieux.

— Ma chère tu es merveilleuse et ingénieuse, la complimenta Henri.

Son épouse minauda.

— Oh, Henri, tu vas me faire rougir, mais continue, j’aime quand tu me flattes !

Elle lui lança un regard polisson en vidant son verre. Henri se leva et baisa la main de sa femme en lui faisant mille et un compliments qui la firent roucouler. Ælyonn était amusée par la parade nuptiale de ses parents. Ils étaient toujours ainsi, très amoureux et démonstratifs. C’était une ambiance différente de celle qu’elle avait connue au Hadiqa. La jeune fille se souvenait que son grand-père désapprouvait leurs démonstrations intempestives d’affection quand ils venaient à Sikil.

Une fois leur sérénade terminée, Viviane s’installa à côté de sa fille et picora dans son assiette.

— Il va falloir que tu apprennes à être plus délicate avec le prince, il n’a pas l’habitude d’être pris en défaut ou qu’on lui résiste.

— C’est une petite chose fragile et susceptible ? Demanda Ælyonn.

— Certes ! C'est un homme ! Répondit sa mère avec malice. Mais Laurent est pire encore ! C’est un Clamerin d’Espla, ajouta-t-elle avec une solennité feinte qui fit rire la Corataara.

— Mesdames, un peu de respect pour notre futur roi ! S’il-vous-plaît ! Demanda Henri sans trop y croire.

Sa femme était la plus irrévérencieuse de la famille, rien ne lui faisait peur. Il s’était retrouvé plus d’une fois fort embarrassé devant le roi Léopold à cause de l’humour caustique de son épouse. Sa fille avait hérité de son caractère et Henri songea que sa relative tranquillité était finie. Si le palais royal grinçait des dents devant l’insolence de Viviane, il allait devenir fou avec celle d’Ælyonn.

Viviane retira ses chaussures à talon et remua les orteils avec délice.

— Henri, mon ami, tu es un rabat-joie, le taquina son épouse. Mais c’est vrai, Lælo, tu vas passer ta vie au service du roi Léopold puis de Laurent. Ne le braque pas ou tu t’en mordras les doigts.

— Je sais ! Tout le monde n'arrête pas de me le répéter, rétorqua la jeune fille avec agacement. Il n'est pas ma priorité. Pour le moment j'aimerais simplement savoir comment mon pouvoir fonctionne. On me dit que je peux faire fleurir ou pousser des fleurs mais c'est faux ! S'énerva-t-elle en tapant du poing sur la table.

Viviane et Henri se regardèrent, surpris, tant par la révélation que par la soudaine colère de leur fille.

— Tu peux faire bien plus, se risqua Viviane. Tu peux créer des végétaux rien qu'avec la pensée et également effacer de la surface du monde un végétal. C'est ce pouvoir de création et de destruction qui sera contrôlé par la bride.

— Et comment peux-tu le savoir ? Ce n'est absolument pas ce que j’expérimente ! C'est même scientifiquement impossible ! Comment pouvez-vous vous laisser berner par de vieilles superstitions à la con ? A cause de cela, il y a des fanatiques qui sont prêts à tuer et à me tuer ! Ma vie et mes projets d'avenir ont volé en éclat à cause d'une putain de légende familiale ! Je ne veux pas être votre foutue Corataara ! S'écria-t-elle les larmes aux yeux et la rage au ventre.

Viviane sentit son cœur de mère se briser face à la souffrance et l'incompréhension de sa petite dernière. En tremblant, elle se leva et serra sa fille en larme contre elle sans trouver de mots réconfortants. Ce fut Henri qui brisa le silence.

— Lælo, les plantes t'ont porté secours dans la forêt, non ? Tu as pu communiquer avec elles, n'est-ce pas ? Commença-t-il prudemment.

— Tout s'est passé si vite, répondit Ælyonn en larmes. Je ne suis plus sûre de ce qu'il s'est passé. Mais oui, j'ai réussi à communiquer avec elles. Cependant mon pouvoir me permet de décrypter des messages chimiques pas de faire ce que je veux d'un végétal ! Reconnue-t-elle en se mouchant.

— J'ai... J'ai été témoin des prodiges de ma tante, annonça-t-il. A La Lupa, le cestrum nocturnum, le jasmin nocturne s'appelle l'ælyonn. S'il est considéré comme une plante endémique de notre île, en réalité, il a été créé ici, au Carré, par Amandine. Et sache que si La Lupa a une végétation endémique aussi riche, c’est grâce aux Corataara. Elles ont toutes créé plusieurs espèces végétales. La réserve naturelle de l'île est le grand trésor de notre famille. Il est bien plus précieux à nos yeux que celui qui dort dans les chambres fortes du Mahal.

Ælyonn avait arrêté de pleurer et fronçait les sourcils, sceptique, devant les paroles de son père.

— Elle a créé l'ælyonn ? La pante dont je porte le nom ? Et tu l'as vu faire pousser ou fleurir des fleurs ? Tu as des preuves de ce que tu avances ? Demanda-t-elle.

Son père répondit à l'affirmative aux trois premières questions.

— Pour ce qui est des preuves, tu trouveras peut-être des informations dans ses dossiers. Je te montrerai le bureau des Corataara demain, promit son père

— Et en attendant la bride, il va se passer quoi pour moi ? questionna Ælyonn.

— Tu vas être initiée aux rouages du gouvernement, notamment tout ce qui concerne l’agriculture et les biotechnologies, car tu seras au Conseil du Roi au côté du prince d’Altiérie. A terme, tu auras plus de poids qu’un ministre, sourit son père.

— Ton statut de Corataara est bien entendu secret, tu seras présentée comme une conseillère, tu feras partie du cabinet du prince, après tout tu es une Brémont. Tu auras aussi de nombreux avantages, financiers et matériels, renchérit sa mère. Tu pourras continuer tes études ou travailler dans les jardins du palais royal, tu es libre de choisir ce qui te convient le mieux même après la pose de la bride. Nous avons la parole du roi.

La jeune fille resta de marbre devant les annonces de ses parents et ne partagea pas leur enthousiasme. Elle ne voyait rien de réjouissant à se retrouver au Conseil du Roi.

— Mais maintenant, il faut que tu te reposes, demain, nous avons une grosse journée qui nous attend, conclut Viviane.

— Qu’est-ce qu’on fait demain ?

— Les boutiques, très chère, répondit sa mère avec un grand sourire.

Une fois son repas fini, Ælyonn souhaita une bonne nuit à ses parents et monta dans sa chambre. Ils avaient fait aménager une grande pièce carrée dans des tons clairs. Son couvre-lit comme ses rideaux étaient en toile imprimé de paysages dans des tons de bleu lavande. Les murs étaient blancs avec des éléments floraux en stuc peints en gris clair. Un grand miroir dans un cadre doré était suspendu au-dessus d’une cheminée. Une rosace en stuc décorait le plafond et de son centre descendait un petit lustre doré.

Ælyonn trouva sa chambre fade et triste comparée à celle qu'elle avait au Portique. Le seul élément qui trouva grâce à ses yeux, fut l’énorme pouf gris de deux mètres de diamètre et de près d’un mètre de haut dans un angle de la pièce. Ælyonn sauta dessus, savoura son confort et se sentit comme un chat sur un coussin.

Et puis il se rappela qu’elle avait vu quelque chose d’insolite dans sa valise. Après quelques difficultés pour s'extirper du pouf, elle ouvrit sa petite valise. En dessus de la pile de vêtements se trouvait un livre, le même que celui qu’elle avait jeté dans un coin de sa chambre au Portique, "Folklore et légendes de l’île de La Lupa" de Theodius Van der Kemp.

Ælyonn prit l’ouvrage et le regarda plus attentivement. C’était un livre ancien, relié en cuir et la dorure s’était estompée au fil du temps. Elle sentit les pages, il avait une odeur de vieux papier et de quelque chose d’autre qu’elle connaissait sans parvenir à l’identifier. Il flottait comme une légère odeur de fruit, faisant penser à un agrume. Les angles avaient pris une teinte grisée, signe d’un usage répété. Elle regarda la table des matières, il y avait des contes qu’elle connaissait et d’autres pas.

Quelqu’un voulait de toute évidence qu’elle lise ce livre. Ælyonn regretta qu’il n’y ait pas un petit mot avec le cadeau. Son généreux donateur ne voulait pas se faire connaître et elle ne voyait pas en quoi ce livre lui serait utile. La jeune fille posa l’ouvrage sur sa table de nuit. Elle n'avait pas envie de lire, encore moins des légendes de La Lupa. Derrière une porte de sa chambre, elle découvrit une petite salle de bain. Elle prit une longue douche et alla se coucher.


Texte publié par Cilou, 15 octobre 2021 à 15h47
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