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saison 1, Chapitre 17 « Maison en ruine » saison 1, Chapitre 17

Après une semaine sans chapitre, nous voici de retour à Tamura !

J'ai rajouté un morceau de chapitre à la fin du précédent et je vous invite à y faire un tour avant de poursuivre votre lecture ;) Il me reste 6 chapitres à reprendre (dont un seul en partant de 0, un exploit !), ainsi qu'un interlude avant que cette partie ne soit bouclée. J'ai toujours l'objectif de finir à la fin du mois, mais ça ne s'annonce vraiment pas facile !

Bonne lecture !


La maison de Bunji était une ruine qui tenait à peine debout. Eikichi observait les planches dont certaines étaient trouées et le toit gondolé qui laissait deviner des infiltrations d’eau.

Eikichi réajusta un peu la position du couteau long, perturbé de sentir l’arme du mauvais côté de ses hanches. C’était malgré tout mieux que rien. Dans son état, la manipulation de la hallebarde ou de l’arc était proscrite et c’était la seule option qu’il avait à disposition. Se rendre sur le terrain alors qu’il avait si peu de conditions physiques lui auraient paru comme inconcevables quelques jours plus tôt. Néanmoins, à cet instant, il marchait vers sa destination avec autant d’assurance que possible, trop content de ne pas avoir été écarté.

Sekka et Tokias avaient un foulard coloré noué sur le bas du visage pour les protéger du gaz. Personne ne savait si cela suffirait, mais il valait mieux mettre toutes les chances de leurs côtés.

— Tu vois des émanations autour de la maison ? demanda Tokias.

Eikichi eut beau fouiller l’air, il ne perçut aucun des éclats qu’il avait observés dans la forêt.

— Je ne relève rien d’anormal.

— Parfait ! conclut Tokias. J’ouvre la marche avec mon yôkai, Sekka et toi, vous restez trois pas en retrait. Si l’un d’entre nous voit des trucs bizarres, on le dit à voix haute afin de vérifier que c’est bien réel…

— Chiaki et moi assurerons vos arrières, indiqua Rokas. Appelez si besoin.

Tous deux étaient équipés d’arc et ils pourraient intervenir même s’ils se trouvaient à bonnes distances.

L’onibi de Tokias s’éleva dans les airs, puis la flamme en suspension voleta plusieurs mètres devant eux afin d’ouvrir le chemin. Le soleil donnait de la force au yôkai qui avait des dimensions plus imposantes que la normale. Le vent qui agitait la végétation ne faisait pas dévier le feu follet qui le bravait presque avec insolence.

Tokias avait penché la tête, concentré sur ce qu’il percevait grâce à l’onibi.

— Je n’identifie la présence que d’un humain à l’intérieur, indiqua-t-il.

La hallebarde baissée, Tokias avança à pas lent, scrutant la maison des yeux. Eikichi en fit autant, le coutelas brandi sans grande conviction devant lui. Sekka était à ses côtés et si elle avait son arc à la main, il n’était pas bandé. Comme on le leur avait enseigné, plutôt que foncer au cœur du danger, Tokias évoluait en spirale qui se rapprochait de plus en plus de leur cible. Eikichi plissait les paupières afin d’essayer de voir ce qui se passait à l’intérieur sans rien distinguer. Le rythme prudent instillé par Tokias permettait à Eikichi de ménager son genou.

Les yeux rivés vers le sol, Eikichi fouillait la végétation à la recherche d’une empreinte ou quoi que ce soit qui puisse prouver que le baku s’était aventuré jusque-là. Les herbes folles et les détritus rendaient cette quête fastidieuse. Si Tokias demeurait concentré sur ce qu’il y avait devant eux, Sekka prenait le temps de soulever certains objets du bout de son arc afin de voir si quelque chose se trouvait dessous.

De temps à autre, Eikichi apercevait les villageois qui montaient la garde, l’arme au poing. Il admira la détermination qu’il lisait sur leur visage. De nouveau, il réalisa que les gens de Tamura avaient pour la plupart de bonnes notions en matière de combat.

Enfin, ils furent à proximité de la bâtisse : deux ou trois mètres les en séparaient. La tension qui intensifiait, électrisait le corps d’Eikichi. Retourner sur le terrain réorientait ses pensées de son état et lui permettait de recouvrer un certain contrôle de la situation.

— Il y a des éléments sur la droite, vous vérifiez ? s’assura Tokias.

Il ne laissait pas les anomalies détourner sa vigilance. À cet instant, Eikichi retrouva le camarade talentueux qu’il avait appris à connaître à Heikô.

Les indices relevés par Tokias ne furent pas difficiles à identifier. Des gouttes de sang séché, une bouteille brisée et, surtout, une demi-empreinte qui avaient réussi à s’imprimer dans le sentier de terre battue tracé par les allers et retours désespérés de Bunji. Elle représentait un sabot relié à un deuxième par de la peau avec à l’arrière un profond trou qui avait été creusé par un ergot.

— Alors ? demanda Tokias.

Il s’était immobilisé pour leur laisser le temps de les analyser et même s’il leur tournait le dos, Eikichi percevait l’excitation dans sa voix.

— Je pense que c’est une empreinte de baku…, répondit-il, tout du moins, je n’imagine aucun autre animal capable de laisser de telles marques.

— On est pratiquement sur le palier de la maison : si le baku était à l’intérieur, je le sentirais grâce à l’onibi. Bunji est seul, affirma Tokias.

— Mais peut-être sous l’effet du gaz du baku, ajouta Eikichi. On a constaté qu’en cas d’absorption par les tissus, l’effet durait.

— Et son alcoolisme ne doit rien arranger, soupira Tokias. Son état s’est nettement dégradé depuis la disparition de sa femme. Même sans le baku, il avait déjà des hallucinations. J’entre en premier, restez dehors jusqu’à ce que je vous donne le signal.

— Non ! intervint Eikichi. Il vaut mieux que ce soit moi qui aille à sa rencontre. Je suis le seul à ne pas y avoir été sensible en forêt. Et si comme tu l’affirmes, le baku n’est pas à l’intérieur, il n’y a aucun risque que je subisse l’Attirance.

Face au silence de Tokias, Eikichi insista :

— Le baku n’est pas là et j’ai toute ma tête. Dès que j’ai vérifié s’il y a ou non des émanations, je t’appelle.

Tokias jura, resta mutique de longues secondes, probablement à la recherche d’un contre-argument, mais il finit par acquiescer.

— Tu ressortiras dès que possible. Un homme ivre peut être aussi dangereux qu’un yôkai. Sans compter que le gaz hypnotique nous pousse à commettre des choses qu’on n’aurait aucune envie de faire dans d’autres circonstances.

Eikichi comprit que Tokias faisait référence à ses tentatives d’assassinats et accepta ses excuses maladroites d’un mouvement de tête.

— Je serais prudent, le rassura-t-il.

Eikichi inspira, puis avança jusqu’à dépasser Tokias. Il longea la hallebarde afin d’entrer avec un sentiment mitigé : c’était toujours lui qui la brandissait quand ils se trouvaient sur le terrain. Sa prise sur le coutelas confié par Sekka n’était pas aussi ferme qu’il l’aurait souhaité et, de nouveau, Eikichi pesta en dedans de ne pas se sentir plus à l’aise avec sa main gauche.

Les quelques marches qui menaient au parvis grincèrent sous son poids et Eikichi dut enjamber une planche brisée afin d’atteindre le pas de la porte. Il frappa avec insistance le mur pour attirer l’attention de l’homme qui devait se trouver à l’intérieur.

— Monsieur Bunji, vous êtes là ? Chiaki-dono s’inquiète à votre sujet.

Aucune réponse lui parvint, si bien qu’Eikichi coulissa le pan en papier de riz qui dégageait une forte odeur de moisissure. La pièce à vivre était à l’image de l’extérieur. La rare luminosité venait des endroits où les trous dans le toit permettaient au soleil de pénétrer les lieux. Eikichi se figea quand il vit des points brillants voleter, puis se détendit en réalisant qu’il s’agissait juste de poussière en suspension. Eikichi entra avec prudence.

— Monsieur Bunji ? appela-t-il à nouveau.

Des bouteilles en verre qui s’entrechoquèrent alertèrent Eikichi. Dans un coin sombre de ce qui restait de la pièce à vivre, une masse bougea. À quelques pas de lui, Bunji s’était redressé. Un rai de lumière éclairait des cheveux hirsutes qui dissimulaient son visage.

— Monsieur Bunji ? répéta Eikichi, le couteau tendu en avant au cas où l’homme intenterait quelque chose.

Enfin, ce dernier leva la tête. Des traînées de larmes sur ses joues noircies de saleté offraient un spectacle pitoyable.

— Emiko… murmura Bunji, la peine provoquant des trémolos dans sa voix. Tu es là ! Ton beau, ton doux visage… que t’est-il arrivé ?

Bunji avança d’un pas. Eikichi recula. Une planche craqua sous son poids et la tension réveilla un point de douleur dans son genou.

Une main sur une poutre permit à Eikichi de retrouver son équilibre. Il l’écarta vite cependant lorsque ses doigts entrèrent en contact avec la matière flasque et écœurante d’un champignon trop vieux.

— … Emiko.

Bunji glissa sur une bouteille, puis tomba à la renverse. Tandis que des sanglots secouaient son corps trop maigre, il roula sur le côté en position fœtale. Avec mille précautions, Eikichi s’approcha de l’homme et son nez se retroussa avec dégoût : l’odeur qu’il dégageait était à l’image de la demeure.

— Monsieur Bunji ? Que s’est-il passé ?

Seuls des hoquets de tristesse lui répondirent. Eikichi pressa une main sur son épaule, mais elle n’apporta aucun réconfort à l’homme perdu dans un chagrin trop grand pour lui. Les vêtements imprégnés du gaz ne permettaient pas à Bunji de sortir de sa transe : avant de pouvoir l’interroger, ils devraient s’occuper de sa tenue.

— Eikichi ? cria Tokias depuis l’extérieur. Tout va bien ?

— Je pense que des émanations hypnotiques restent stagnantes par endroit. Il faudrait que Monsieur Bunji se rende à la rivière et que la maison soit aérée.

Il y eut des grincements de parquets, puis deux coups violents brisèrent les planches vermoulues qui fermaient la fenêtre. Eikichi vit Tokias passer rapidement, la main sur le nez pour le protéger un peu plus du gaz. Quelques secondes plus tard, le fracas recommença depuis une autre ouverture barricadée.

— Si tu arrives à le conduire dehors, lui dit Sekka depuis l’extérieur, je vais m’occuper de Bunji.

Eikichi prit la main de l’homme ivre et l’encouragea à se relever.

— Sortons.

Si Bunji résista quelques secondes, il finit pourtant par accepter de se mettre debout, malgré ses jambes flageolantes.

— Ton beau visage, Emiko, que s’est-il passé ? se lamenta Bunji.

Ses mots portaient tout autant l’odeur de l’alcool que le désespoir de l’homme. Il rendit la pression des doigts d’Eikichi avec une main tremblante.

— Tu m’as tant manqué... je t’aime.

Eikichi l’entraîna dehors, troublé que Bunji suive la vision de sa femme défigurée sans rechigner.

Dès qu’elle les vit, Sekka vint à leur rencontre, s’aventurant de quelques pas dans la maison, avant d’être rappelé à l’ordre par son frère.

— Les lieux ne sont pas encore sécurisés, grommela Tokias.

— Hako aussi est là ! s’exclama Bunji lorsqu’il découvrit Sekka. Tu as beaucoup de sang partout… tu n’as pas trop mal ?

— On va se laver à la rivière pour y voir plus clair, Bunji…

Sekka ponctua ses paroles d’un bras tendu vers l’homme qui s’empressa de l’attraper.

— À la rivière… Mmmh…

Bunji se mit à chantonner une berceuse en balançant sa main dont les doigts s’étaient mêlés à ceux de Sekka.

Tokias était au côté de Eikichi et observait la scène, les sourcils froncés.

— Quelle est sa vision ? demanda-t-il.

— D’après ce qu’il dit, sa femme et sa fille gravement blessées.

— Blessées ? Tu es sûr de toi ? Ça n’a pas l’air de l’angoisser pourtant…

— Je crois qu’il est juste content de les voir… expliqua Eikichi. Tu as pu ouvrir toutes les fenêtres ?

— Oui et on va laisser le reste à mon père et Chiaki. Nous devons nous reconcentrer sur le baku : il pourrait encore être à proximité.

— Si c’était le cas, tu le percevais avec l’onibi ! Tu l’as toi même dit tout à l’heure.

— Peut-être que la rivière distord mes sensations. L’onibi a du mal à ressentir les choses clairement quand l’air est chargé d’humidité.

Eikichi sentait que Tokias n’y croyait pas lui-même. Son camarade s’éloigna de la maison pour revenir à l’endroit où se trouvaient l’empreinte du Baku et les quelques taches de sang. Après un tour lent sur lui-même, il s’agaça :

— On n’a rien observé d’intéressant autour ! Par où commencer ?

La voix de Sekka à quelques centimètres derrière lui fit sursauter Eikichi :

— On n’est pas sûr que ce soit du sang de Baku. Ça pourrait tout aussi bien être le sang de Bunji : il a une plaie sous le pied.

Un coup d’œil à la rivière apprit à Eikichi que Chiaki s’occupait désormais de Bunji. Avachi sur lui-même, l’homme était assis dans l’eau, les cheveux détrempés et le visage un peu plus propre. Après quelques secondes, Eikichi réagit aux propos de Sekka que son frère avait décidé d’ignorer :

— Tu as raison, approuva Eikichi. Trouver de nouvelles empreintes nous permettrait de ne pas avancer à l’aveugle.

— Même si Tamura n’est pas grand, s’emporta Tokias, passer la ville au peigne fin nous prendra des jours.

— Je ne crois pas qu’on est une meilleure option pour le moment, marmonna Eikichi.

Après un long soupir, Tokias fixait la forêt et Eikichi suivit sans mal le fil de ses pensées. C’était par les abords du territoire de la kitsune qu’il leur faudrait commencer à fouiller. Sauf si la chance était de leur côté, cela s’annonçait fastidieux et peu gratifiant.

Contrariée, Sekka émit un claquement de langue. Accroupie devant les gouttes de sang, elle les observait, les lèvres pincées.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Eikichi.

Ce ne fut pas vers lui que ses yeux se tournèrent, mais vers Tokias.

— Eikichi reste probablement sensible au sang du baku…

— Si tu as d’autres idées de ce genre, surtout ne te gêne pas pour les garder pour toi, la coupa Tokias avec humeur.

Sekka n’insista pas, mais Eikichi ne put se résoudre à en faire autant. Sa théorie était loin d’être idiote. En tout cas, cela valait la peine d’essayer…

— On pourrait lui tendre un piège, poursuivit Tokias, un ton plus bas. Il est blessé, il doit avoir besoin de se nourrir. S’il a pris le risque de s’aventurer jusque-là, c’est que les cauchemars des humains doivent mieux lui réussir que ceux des animaux. Il sera peut-être obligé de revenir.

Eikichi s’était à son tour approché de la tache de sang et la fixait d’un œil neuf.

— Non, affirma-t-il en secouant la tête. Le baku a l’odorat fin, il flairera le danger.

Tokias le dévisagea, l’air effaré.

— Tu ne songes quand même pas à… je ne sais même pas ce que tu comptes faire !

— Le sang est ancien, dilué avec la rosée. Je ne pense pas qu’en mettre une goutte au contact de ma plaie soit si risqué que ça.

Tokias écarquilla les yeux.

— C’est de la folie, s’exclama-t-il.

— Tu seras là si ça tourne mal, insista Eikichi.

Sans attendre de réponse de la part de Tokias, il dénoua les bandes qui protégeaient sa main blessée, bien décidé à explorer cette piste avec ou sans l’aval de son camarade.


J'espère que la lecture vous aura plu ! Je pense que ce chapitre aura besoin d'un peu de travail à la finalisation, donc si vous avez des commentaires, n'hésitez pas !

Bon après-midi !

Glossaire :

(n'hésitez pas à me signaler les termes qui vous ont posé problème !)

Atsuko : concubine de Chiaki

Chiaki : Daimyo de Tamura

Daimyo : Chef territorial, il a un pouvoir de justice, de politique et de représentation.

Haneki-dono : Grand Maître du Sanctuaire Nord d'Heikô

Hanko : (terme non inventé) ce sont des tampeau, des sceaux qui permettent d'identifier la personne qui a écrit un document. Cela remplace notre signature. Ils sont encore utilisés de façon courante aujourd'hui et nombreuses sont les familles qui en possèdent deux : un pour les documents très officiels (achats de maison, mariage) et un deuxième pour le quotidien ( signer un reçu pour le facteur...)

Hiragana : (terme non inventé) c'est un syllabaire japonais

Jubokko : (terme non inventé, mais légende réinterprétée) yôkai, arbre vampire, il a l'apparence végétale, mais se nourrit du sang de ses proies.

Kage : c'est le don que possède Eikichi et Tokias. Il leur permet d'insuffler un esprit yôkai dans leur ombre pour en faire usage comme d'une marionnette. Le terme est tiré du mot ombre en japonais.

Kageka : c'est un utilisateur du kage

Kasha : Yôkai qui a l'apparence d'un chat géant et dont plusieurs parties de son corps sont enflammées

kitsune : (terme non inventé, mais légende réinterprétée) yôkai, renard à la forme et la taille mouvante

Konazawa : ville où se trouve le Sanctuaire où ont été formé Eikichi et Tokias

Kotone : concubine de Chiaki

Nikô : ville portuaire à l'ouest de l'île où sont envoyés Riani et Ôdan

Ôdan : camarade de promotion de Tokias et Eikichi

Onibi : (terme non inventé, mais légende réinterprétée) yôkai ressemblant à un feu follet géant et kage de Tokias

Onigiri : boule de riz fourrée !

Saneyama : île sur laquelle se déroule l'histoire.

Sekka : petite soeur de Tokias

Tamura : ville où se déroule la mission d'Eikichi et Tokias

Tomoe : (prénom japonais) nouvel aspirant kageka

Yukata : (terme non inventé) kimono en coton très léger qui, à l'origine, ne se portait que dans les bains publiques


Texte publié par Sizel, 18 mars 2022 à 15h57
© tous droits réservés.
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