Bienvenu plus officiellement dans l’univers d’Heikô !
Ce projet est prévu pour être une trilogie et ce premier tome devrait se découper en une trentaine de chapitres (comme ça vous savez dans quoi vous vous lancez !) que je voudrais poster de façon hebdomadaire.
Si j’utilise Antidote (logiciel de correction), le projet ne sera pas exempt de coquilles ;)
Je ne vous cache pas que les premiers chapitres et l’immersion dans cet univers font partie des choses qui me donnent pas mal de fil à retordre, mais je n’ai pas ménagé mes efforts pour qu’ils soient aussi agréables que possible pour vous !
Bonne lecture et à la semaine prochaine !
Au cœur du Sanctuaire, il y avait une joyeuse agitation : le temple était à la fête. Bien qu’Eikichi et ses amis soient à l’écart, le bruit des préparatifs et l’excitation qui y était liée résonnaient jusqu’à eux. C’était pour le moins inhabituel en ce lieu où le contrôle était au centre de tous les enseignements.
Depuis le lever du soleil, chacun œuvrait avec enthousiasme pour célébrer l’arrivée du nouvel aspirant. Les guildiens d’Heikô finalisaient leur tenue et leurs rituels, tandis que les domestiques s’assuraient que tout soit parfait. Au contraire, le quatuor d’apprentis flânait. Plus tout à fait étudiant, pas encore des membres reconnus, ils étaient dans un entre-deux qui les mettait sur la touche à cet instant.
Ôdan jeta un caillou dans la rivière, très vite imité par Tokias. Cela se transforma en concours de celui qui l’enverrait le plus loin. Voir ces deux colosses s’adonner à un tel jeu amusa Eikichi. Riani, avachie dans l’herbe à ses côtés, leva les yeux au ciel.
— Ça va encore se terminer en dispute ! marmonna-t-elle.
Eikichi observait ses amis qui prenaient de plus en plus de risques.
— L’un des deux va bien finir dans la rivière avant, la corrigea-t-il.
— Alors qu’ils portent leur tenue officielle ? Je le leur déconseille : Haneki-dono leur passerait un sacré savon !
Leur kimono en soie sombre avait des reflets irisés sous le soleil de ce milieu de matinée. Les trois jeunes hommes avaient leurs cheveux ramenés en catogan sur leur nuque tandis que Riani avait noué les siens entre les omoplates. Dans le dos, le symbole d’Heikô était brodé : un cercle incomplet comme tracé avec un pinceau qui manquerait d’encre. Sur le bas du vêtement, un yôkai avait été dessiné avec grand soin. Ces êtres, entre divinité et animal, étaient au cœur de leur pouvoir de kageka.
Le kimono d’Eikichi en était pourtant dépourvu.
Les abords de la rivière, à l’écart de l’agitation, étaient une aubaine pour lui. Les gens qui fixaient sa tenue incomplète lui rappelaient qu’il constituait une anomalie dans la guilde. Si la fièvre noire marquait leur appartenance au kageka, c’était à l’issue de l’Attirance qu’ils utilisaient réellement leur don.
En moyenne, on observait deux ans entre ces évènements, mais il s’en était écoulé quatre depuis qu’Eikichi avait été cloué au lit à cause de la fièvre.
Certains jours, il se désespérait et craignait qu’on ne se soit trompé à son sujet. Il lui suffisait néanmoins de fermer les yeux pour se convaincre qu’il n’en était rien : à la périphérie de sa conscience, il y avait comme un gouffre qui ne demandait qu’à se remplir.
Et si ses camarades avaient volontairement choisi ce lieu ? Ils se montraient parfois trop protecteurs pour son orgueil. Il observa tour à tour ses amis qui lui prêtaient peu d’attention. Tokias et Ôdan continuaient de lancer des cailloux et Riani tirait sur leur kimono pour les éloigner de l’eau.
Un son grave résonna dans tout le Sanctuaire et en réponse un silence de plusieurs secondes s’installa.
Quand les exclamations repartirent de plus belle, le quatuor se mit en route. Ils longèrent les dortoirs dont la plupart des pans étaient ouverts sur la rivière afin d’aérer l’intérieur, puis ils se hissèrent sur le ponton qui en faisait le tour, là où ils avaient abandonné leurs sandales un peu plus tôt. Chacun réajusta sa tenue, lissa ce qui le nécessitait, puis les semelles de bois de leurs geta claquèrent sur les lames de parquet.
Ils n’eurent besoin que de quelques instants pour rejoindre la place centrale où se dressait une pagode sur cinq étages. Un peu partout autour d’eux, les sculptures et bas-reliefs à l’image des yôkai étaient nichés dans les recoins où seules les personnes averties les trouveraient. Sur une estrade, un guildien faisait face à un tambour aussi haut qu'un homme, les bâtons prêts à le frapper. Au pied de l’escalier qui y menait, il y avait un champ de gravier blanc traversé par un chemin de pavés. Au milieu, des cailloux noirs dessinaient le symbole d’Heikô.
Chose rare, l’immense porte qui séparait la partie publique du reste était grande ouverte. Devant elle, une foule hétéroclite s’étoffait de derniers retardataires. Domestiques et guildiens, pour certains ayant dépassé les soixante-dix ans, s’y mêlaient sans ordre établi. À l’extérieur des bâtiments sacrés, Eikichi distinguait les clameurs des habitants de Konashi, ravis que des évènements animent leur quotidien.
Ce soir, la ville serait à la fête !
Cela faisait plus de trois ans que lui et ses amis avaient rejoint le Sanctuaire et c’était de nouveau au temple du nord d’accueillir la nouvelle génération de kageka. Le premier adolescent ayant souffert de fièvre noire avait été repéré quelques jours plus tôt et il avait été conduit jusqu’ici afin de suivre l’enseignement d’Heikô.
Eikichi ne gardait que de vagues souvenirs de ce jour : la joie, la peur et la tristesse d’abandonner tout ce qu’il avait connu avaient tant brouillé son esprit qu’il n’avait pu conserver des images claires.
Un barrissement raisonna dans la ville et le guildien chargé du tambour y répondit. Ses confrères donnèrent plus d’intensité à ses coups en frappant à terre des bâtons couverts d’une dizaine de grelots. Les percussions s’accéléraient peu à peu, la tension montait.
Enfin Haneki, le Maître du Sanctuaire, et son cortège passèrent la porte. Il portait la haute toque de son ordre. Son kimono était caché par une veste d’apparat dont le tissu avait des tons verts et or. Sa barbiche et ses cheveux longs voletaient avec la brise qui s’était invitée dans la cérémonie. Il posait un regard tranquille sur son domaine et ceux qui accueillaient la nouvelle recrue.
Eikichi et Riani tendirent le cou pour apercevoir l’adolescent. Ôdan se pencha à l’oreille de la jeune femme, un sourire moqueur aux lèvres.
— Tu veux que je te porte ? murmura-t-il.
Leur amie était perchée sur la pointe des pieds, la main sur le bras de Tokias pour conserver l’équilibre. Elle donna un coup de coude en arrière dans l’espoir de toucher Ôdan et ce dernier étouffa un rire.
Le visage du nouveau kageka occulta les frasques de ses compagnons. L’adolescent devait avoir treize ou quatorze ans. Les yeux écarquillés et le pas hésitant, il jetait des regards nerveux autour de lui. Ses vêtements étaient rapiécés et usés à de nombreux endroits : il ne venait pas d’une famille aisée. Eikichi était convaincu que comme lui, l’adolescent serait bien ici. Intégrer Heikô offrait un nouveau foyer et surtout un confort dont ils n’auraient jamais pu rêver dans d’autres circonstances.
Seuls le nouveau venu et Haneki traversèrent le champ de cailloux, puis montèrent les quelques marches qui menaient au tambour. Côte à côte, ils firent face à la foule. Le dos de l’adolescent s’arrondissait sous la pression des regards trop curieux.
— Cela fait trois ans que nous avons accueilli nos derniers membres. Après le Sanctuaire du Sud, puis celui de l’est, il est de nouveau de notre devoir de former la nouvelle génération.
L’auditoire était suspendu aux paroles d’Haneki qui leur parvenait sans mal.
— Et cela s’annonce sous les meilleurs auspices ! Les esprits sont du côté de ce garçon : il a déjà été béni par l’âme d’un kappa.
Le souffle manqua à Eikichi. Ses amis lui jetèrent des coups d’œil discrets sans dire un mot.
— Allez-y, Tomoe, montrez-nous votre talent !
Bien qu’inquiet, l’adolescent acquiesça. Il plissa les yeux, tendit la main en direction de son ombre, plutôt petite en cette heure de la journée. La masse sombre devint comme aqueuse, une silhouette humanoïde indistincte s’éleva du sol comme si elle était composée de l’eau d’une fontaine sans pression. On devinait la carapace du kappa et son crâne enfoncé. Soudain, le yôkai éclata et les particules noires disparurent dans l’air. L’ombre revint aux pieds de Tomoe. Il n’avait pu aller au bout de sa démonstration, mais cela n’avait rien de surprenant : il lui faudrait plusieurs semaines avant de commencer à prendre en main le kappa insufflé dans son ombre.
Une exclamation de joie célébra sa tentative. Eikichi s’y joint avec peine.
Pourquoi n’était-il toujours pas béni ?
Ils avaient fait de nombreuses missions afin de provoquer l’Attirance, bien plus que les autres générations, on le leur avait maintes fois répété, pourtant cela n’avait pas suffi.
Quand Eikichi était arrivé, il s’était imaginé acquérir un animal légendaire, tels un kitsune ancien ou un bakeneko, avec le temps cet espoir fou s’était tari.
Il souhaitait juste se lier à un yôkai, même insignifiant...
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