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C’est la dernière livraison de ma journée : la commande n°4287. Je lève la tête de mon téléphone. L’immeuble est un peu moins haut que les autres, j’arrive à en distinguer le sommet à travers la brume de carbone. Il doit dater de la fin des années 60. C’est ça, 2260. Je vérifie une nouvelle fois l’adresse. 27 rue du Dr. Brahim, c’est bien le numéro inscrit au-dessus de la porte. Mais pour l’étage, c’est une autre affaire. Sur la commande, le client a inscrit : “M. Byrhou. Dernier étage, porte de gauche”. Il n’a même pas laissé son numéro. Je laisse mon vélo électrique devant l'immeuble, je passe la porte et retire mon masque à gaz, surpris par l’absence de digicode. J’appelle l’un des 12 ascenseurs disponibles et appuie sur le dernier n° d’étage : le 103. J’en ai pour au moins cinq minutes. Je dépose la commande entre mes jambes et les portes se referment.

Face à moi, le miroir est couvert de tags illisibles. J’arrive à peine à distinguer mon reflet. Soudain, l’ascenseur s’arrête. Je ne peux pas déjà être au dernier étage… l’affichage n’indique rien et les portes restent fermées. Je rappuie sur le n°103. J’attends une seconde, puis cinq, puis dix… ce serait bien ma veine de me retrouver coincé ici. Un craquement, puis l’engin repart. Je jette un œil à mon téléphone : pas de réseau. Évidemment, ce vieil immeuble doit couper les communications. C’est bien ma veine d’être tombé sur un bâtiment aussi ancien. Assez fatigué par ma journée, je m’assois et ferme les yeux quelques instants. Un “ding” me tire de la somnolence. Les portes s’ouvrent.

Je sonne à l’appartement de gauche. Quelques instants plus tard, une dame âgée vêtue d’un peignoir et de pantoufles mauves ouvre la porte.

- Bonjour madame. Commande Foreats pour M. Byrhou !

Elle m’observe des pieds à la tête, passablement interloquée.

- Vous avez dû vous tromper, jeune homme. Il n’y a pas de M. Byrhou, ici...

- Oh, désolé, la commande indique pourtant le dernier étage…

- Mais ce n’est pas le dernier étage, ici ! me coupe-t-elle.

- Ah ?

Elle désigne une cage d’escaliers derrière les ascenseurs.

- Il y a trente ans, ils ont rajouté quelques étages, mais ils n’ont jamais fait monter l’ascenseur plus haut...

- Mince, vous savez combien d’étages, au juste ?

- Oh, un jeune homme comme vous, vous devriez arriver assez vite en haut ! Bon courage !

Et sur ces mots, elle me claque la porte au nez.

Les escaliers sont assez étroits mais plutôt bien éclairés, sans doute pour pallier l’absence de fenêtres. Je monte un étage, trois, six, dix… j’arrête rapidement de compter. C’est pas possible d’habiter là, sans ascenseur. Je devrais plus être loin.

Au bout d’une vingtaine de minutes, je m’arrête à un étage et sonne à l’une des deux portes qui se font face. J’abandonne, je vais laisser la commande à un voisin. Aucune réponse. Je sonne à l’autre. J’attends. Aucune réponse non plus. Je remarque qu’il n’y a même pas de paillasson. C’était bien la peine de rajouter des étages pour qu’ils soient inhabités. Je sonne alors aux autres appartements. Même chose. C’est pas possible… Je sonne de nouveau aux portes, toque, attend plusieurs minutes mais ne reçoit aucune réponse. Je passe ma tête au-dessus de la rambarde des escaliers et regarde en haut. Bordel, j’en vois pas la fin ! De l’extérieur, je ne pensais pas que cet immeuble comportait plus de cent cinquante étages. Je sors mon téléphone de ma poche. Toujours pas de réseau, mais je vois que j’ai passé au moins trente minutes dans ce bâtiment. C’est bon, j’abandonne. Je descends les escaliers. Une dizaine de minutes plus tard, je m’arrête, à bout de souffle. J’en profite pour tendre l’oreille. Aucun bruit ne s’échappe des appartements… avec tous les gens qui doivent vivre ici, je devrai entendre des cris d'enfants, des rires, des engueulades… mais rien. Rien qu’un silence. La sueur qui coulait le long de mon dos devient froide. Je continue de descendre. Toque encore à quelques portes, toujours sans réponse.

47 minutes. Je commence à paniquer. J’aurai déjà dû rejoindre l’étage 103, reconnaissable par les ascenseurs, depuis longtemps. Cet immeuble n’est pas normal. Aucun des apparts n’est habité. Comme tous les étages se ressemblent, impossible de savoir où j’en suis. Je commence à avoir faim, ça doit être pour ça que j’arrive pas à réfléchir. J’ouvre le sac pour voir la commande du client. Un burger avec des frites et un soda. Une commande parfaitement normale pour un type qui n’existe probablement pas. Arrête, tu commences à délirer mon vieux. J’hésite quelques secondes avant de commencer à manger. Des commandes qui se perdent, ça arrive tous les jours. Ils ne devraient pas me virer pour ça. Je laisse le sac sur le palier avant de me remettre en route vers… le bas, je l’espère. Cette fois, je compte les étages. Un, deux. Deux étages, c’est sûr. Je décide de les remonter. En arrivant sur le palier où j’ai mangé, une angoisse tord mon estomac. Le sac n’est plus là. Même la tâche de Ketchup que j’ai faite sur la première marche. C’est pas possible, j’ai dû me tromper. Je monte encore un étage. Même chose, aucune trace de mon repas C’est pas possible.

Je descends les escaliers en courant depuis dix minutes. Je m’arrête de temps en temps pour frapper aux portes en criant à l’aide, sans jamais recevoir de réponse. Soudain, dans ma course, je rate une marche. Je tente de m’attraper à la rambarde mais ma tête vient cogner le sol du palier.

Le “ding” de l’ascenseur me réveille. Je suis enfin arrivé à l’étage 103. Je m’étire en baillant, quitte l’ascenseur puis sonne à l’appartement de gauche. Après quelques secondes, une vieille femme m’ouvre la porte. Elle porte un peignoir et des pantoufles mauves.

- Bonjour madame. Commande Foreats pour M. Byrhou !

Elle me dévisage et sourit aimablement :

- Vous vous êtes encore trompé, jeune homme. M. Byrhou n’habite pas ici...


Texte publié par Alice, 17 septembre 2021 à 16h52
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