«

»

Luciel sent son cœur se briser. Que les Cieux se montrent indifférents est une chose… mais qu’ils se dépeuplent en est une autre ! Même si cette pensée l’effraie, il s'efforce de chasser ces considérations de son esprit.

— Peut-être que le pacte ancien se rompt… soupire-t-il enfin. Même quand ils entendent l’appel, les anges tentent de ne pas s’attacher à leurs protégés. Ils craignent que les seigneurs les utilisent pour les retenir à leur service… Cela doit forcément avoir des conséquences !

Afras se penche pour ébouriffer les cheveux de l’ange ; surpris par ce geste, Luciel recule instinctivement, avant de se souvenir que c’est une pratique affectueuse chez les humains :

— En tout cas, toi, tu aimes ta petite Solia. Même quand tu étais inconscient, tu murmurais son nom dans tes rêves. Ne me dis pas qu’il n’y a plus d’anges comme toi !

Luciel se mordille la lèvre, hésitant, avant de déclarer enfin :

— Je ne peux nier que c’est devenu rare. Trop rare… Je ne suis pas le seul à tenir à sa chaîne et éprouver de la compassion pour elle. Il existe d’autres anges, hélas trop peu nombreux, qui se soucient encore d’elles. Je dois avouer malgré tout que je n'en ai croisé aucun qui soit aussi proche de son protégé que je le suis de Solia.

Il sourit en songeant aux grands yeux d’ombre et de lumière de l’enfant emprisonnée.

— Quand je me trouve loin d’elle, je me sens seul… Nous nous comprenons. D’une certaine manière… elle veille sur moi comme je veille sur elle. Je suis tout ce qui lui reste et elle me témoigne chaque jour sa confiance, ce que je ne mérite sans doute pas…

L’ange serre les poings ; sa voix se fait plus passionnée.

— Je ne veux pas seulement la protéger… je veux qu’elle soit heureuse ! Ses douze ans approchent. Dans peu de temps, je ne serai plus son protecteur ! Même si je reçois une nouvelle mission, ce qui est l’ordre naturel des choses, je ne peux me résoudre à la laisser derrière moi. Elle sera toujours mon amie, même quand elle deviendra adulte, même quand elle sera une vieille femme avec des rides et des cheveux blancs !

Il dresse la tête et affronte les regards des semeurs de tempête autour de lui :

— Même si c’est absurde de ma part, je voudrais déjà connaître son nouveau protecteur, ou sa nouvelle protectrice...

Aïzie se penche en avant, avec une expression fascinée :

— C’est possible, tu crois ?

— À vrai dire, je l'ignore, soupire Luciel. Seuls les Cieux doivent le savoir.

— Les Cieux ? demande Ivara, ses grands yeux violets écarquillés. C’est le monde d’origine des anges, n’est-ce pas ?

Le semeur roux vibre d’excitation :

— Tu y es déjà allé ?

Windeïm, qui est retombé dans un silence pensif, pose sur le jeune ange un regard intense. Sa main s’attarde dans sa longue chevelure blanche, mal assortie à ses traits lisses.

— Dis-moi, Luciel… N’as-tu jamais songé à chercher de l’aide dans les Cieux ?

L’intéressé secoue négativement la tête, partagé entre la confusion et une certaine peu de gêne. Au bout d'un moment, il répond, d’une voix hésitante :

— Cela va sans doute vous sembler surprenant, mais je ne connais pas le chemin des Cieux. Mon plus ancien souvenir est d’être apparu ici, dans le monde des hommes, habité par la seule soif d’accomplir mon devoir. Avant Cimes, je croisais rarement d’autres anges, et nous n’avons jamais beaucoup échangé. Cette question ne m’a jamais effleuré.

Il baisse les yeux, un peu honteux, les mains jointes sur ses genoux :

— Je sais que les Cieux existent… Comme je connais la langue des hommes et comment me servir de mes ailes. Je ne me rappelle pas avoir appris tout cela. Je dois vous sembler bien étrange.

— Bien sûr que non ! s’empresse de répondre le garçon roux. C’est normal que les anges soient un peu mystérieux ! C’est le contraire qui me paraîtrait bizarre !

— Peut-être que les anges des Cieux ont effacé ce savoir de votre esprit, d’une façon ou d’une autre, murmure Windeïm. Après tout, une grande partie d’entre vous se trouve sous la coupe des seigneurs d’altitude… Ils doivent craindre que tes frères prisonniers ne viennent à les trahir… Et pourtant, ils seraient sans doute les seuls à pouvoir vous aider !