Durant tout l’après-midi, seul dans la maison d'Afras, l’ange demeure fébrile. Des scénarios aussi désastreux les uns que les autres s’animent dans son esprit. Parfois, il se dit que s’il imagine le pire, plus rien ne pourra le décevoir.
Le conseil rassemble tous les habitants de l’île, quel que soit leur âge. Maintenant qu’il y pense… il n’a vu aucun vieillard, ni aucun enfants. Juste des adultes vigoureux comme Afras et Aïmara ou des adolescents comme Aïzie. Peut-être que les plus faibles sont confiés à des villages d’altitude… Mais dans ce cas, qu’en est-il des jeunes adultes ? Partent-ils pour apprendre à semer les tempêtes ? Cela paraît peu vraisemblable quand Aïzie maîtrise déjà cet art à la perfection…
Appartiennent-ils à un type particulier d’humains qui, comment les siens, ne connaissent que deux âges ? Luciel écarte vite cette idée. La nature des hommes et celle des anges sont bien trop différentes pour qu’une telle chose soit possible. Il semblerait peu courtois d’interroger ses hôtes sur ce point… et surtout futiles, dans des circonstances aussi sérieuses.
Au bout de plusieurs heures de calvaire, Afras, Aïzie et Aïmara réapparaissent enfin, en compagnie de trois autres semeurs de tempêtes : deux adultes, qui se présentent comme Windeïm et Romis, et une jeune fille de l’âge du garçon roux, Ivara. Luciel fait mine de se lever pour les accueillir, mais Afras l’arrête d’un geste.
— Tout va bien, Luciel. Les nôtres compatissent à tes problèmes et sont prêts à t’aider ! Cependant, ils ont besoin de plus de détails sur l'endroit d'où tu viens : plus tu seras précis, plus il nous sera aisé de déterminer la meilleure façon de vous tirer de cette situation, toi et ta petite Solia.
Luciel hoche la tête en un remerciement muet ; malgré tout, il reste sur ses gardes. Les trois visiteurs s'assoient sur les coussins répandus sur le sol de la demeure. Aïzie s’installe à côté de son ami.
— Nous t’écoutons, Luciel, déclare Romis, en fixant le jeune ange de ses yeux sombres et pénétrants. Raconte-nous tout.
Il porte une tunique de toile au lieu du costume de cuir des semeurs. Luciel se demande quelle peut être sa fonction… mais cela importe peu. Il prend la parole et, cette fois, ne laisse rien de côté… Ni le nom de la forteresse et de son maître, ni son emplacement, ni la façon dont Cimes s’étend au sommet de la crête rocheuse, qu’elle couronne de ses fortifications grises. Il parle des troupes et de leur effectif, des autres humains qui vivent entre ses murs, des anges avec qui il partage la tour sordide de l’angèlerie. Enfin, il décrit les détails de sa mission, non sans éprouver la crainte qui l’a retenu jusqu’à présent.
Quand ses mots se tarissent, il se sent si épuisé qu’il peine à relever la tête. Un moment de silence s’écoule, puis Windeïm prend la parole :
— Tu comprends bien que nous sommes trop faibles et trop pacifiques pour affronter directement ton seigneur. Malgré tout, nous ferons le nécessaire pour que tu retournes dans les délais à Cimes.
Lucie les interroge du regard ; c’est Afras qui répond :
— Cette nuit, l'un d'entre nous survolera les défenses de Piques et te rapportera toutes ses observations. Pendant ce temps, tu apprendras à chevaucher les khaïte afin de pouvoir rentrer dès demain soir sur l’une de nos montures, avec les informations demandées. Le seigneur ne pourra rien te reprocher. Quand que tu le pourras, prends ta protégée avec toi, ta monture connaîtra le chemin pour revenir !
L’ange opine, impressionné :
— Vous feriez ça pour moi ? Je veux dire… pour nous ?
— Personne ne devrait s’arroger le droit d’emprisonner un enfant du ciel, déclare Romis avec gravité. Notre collaboration avec les khaïtes découle d’un accord mutuel. Nous subvenons à leur besoin et ils nous portent sur leur dos. Les seigneurs d’altitude ont commis un crime en créant les angèleries. Hélas, nous ne sommes pas de taille à lutter contre leur tyrannie.
Aïzie pose une main sur l’épaule de son ami :
— Je vais demander à Nuée si elle est d'accord pour partir avec toi. Elle t’apprécie et elle te ramènera volontiers vers Solia.
Les yeux de Luciel s’écarquillent d’étonnement :
— Tu me laisserais chevaucher ta khaïte ?
Aïzie éclate de rire :
— C’est autant ma décision que celle de Nuée. Elle sait ce qu’elle fait. Elle te mènera à bon port.
— Les hommes de la forteresse risquent de la repérer !
— Les khaïtes sont habiles à fuir le regard des humains. Pourquoi crois-tu que nous sommes restés si longtemps méconnus des forteresses et des anges ?
L’assurance du garçon fait sourire Luciel malgré lui.
— Cela signifie qu’aucun d’entre vous ne possède d’ange protecteur, constate-t-il. Je sais que cela devient rare, mais le fait me paraît surprenant.
— Nous n'avons pas cette chance, hélas... Par contre, tu sembles dire que les tiens se font de moins en moins présents ? s’étonne Romis.
— C’est le cas, en effet, au point que certains villages n’ont pas vu un seul ange depuis des décennies.
— Voilà qui est inquiétant.
Le semeur en tunique de toile pousse un soupir :
— Si vous êtes de plus en plus nombreux à être capturés par les forteresses, ce n’est pas si étrange. Les anges doivent renoncer à protéger les humains…
— Oh si, ça l’est ! s’exclame Luciel. Les anges ne peuvent résister à l’appel de leur protégé. S’ils choisissent de l’ignorer envers et contre tout, ils peuvent perdre leur nature.
— Cela veut donc dire qu’ils ne reçoivent pas l’appel ? demande Aïzie.
— Ou qu’ils disparaissent de ce monde… souffle Ivara, le visage voilé par les longues mèches pâles.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2782 histoires publiées 1267 membres inscrits Notre membre le plus récent est JeanAlbert |