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tome 1, Chapitre 12 « Sur d'autres ailes - Mouvement 2 » tome 1, Chapitre 12

Au grand soulagement de Luciel, l’intérieur du bâtiment offre peu de ressemblances avec l’angèlerie. La structure est complètement évidée et ne comporte aucun couloir étroit où il pourrait se cogner les ailes. Au rez-de-chaussée, des étagères et des chevrons disposés le long du mur supportent les harnais et les selles. Un escalier en spirale s’élève au milieu de la pièce pour desservir des galeries où se trouvent les stalles garnies d’herbe sèche.

Aïzie choisit une selle conçue pour accueillir deux cavaliers, qu’il balance sur son épaule sans effort apparent. Le fardeau ne semble même pas le déstabiliser quand il s’engage dans l'escalier. Luciel le suit avec plus de maladresse, un peu déséquilibré par ses ailes attachées. Il se sent un peu honteux de se cramponner à la rampe de corde qui longe les marches escarpées.

La stalle de Nuée se situe au second niveau. En le sentant approcher, elle penche la tête au-dessus du vide et les regarde de ses grands yeux sombres. Aïzie doit la pousser légèrement pour pouvoir entrer. Il flatte son encolure luisante avant de commencer à la harnacher. Luciel en profite pour examiner de près l’étrange animal. Elle semble un peu plus élancée que ses congénères, et sa robe grise se moire de reflets bleutés. Excitée de voir son jeune maître, elle émet de doux mugissements qui ressemblent au son d’une corne de bois.

— Oui, ma belle, susurre Aïzie d’un ton affectueux. Nous allons bientôt nous dégourdir les ailes… mais juste au-dessus de la ville, cette fois !

Il serre les dernières boucles, puis fait signe à l’ange de le rejoindre :

— Je te présente Luciel. C’est un enfant du ciel, comme nous. Un ange. Mais il a une aile abîmée, alors il va emprunter les tiennes.

Les yeux d’obsidienne se tournent vers le nouveau venu et l’observent avec curiosité. Luciel, encore impressionné, ne fait pas mine d’approcher ; elle s’avance vers lui, à la manière des chauves-souris. Luciel combat l’instinct de reculer et tend les doigts vers ses naseaux frémissants. Elle le renifle et fourre son nez dans sa main.

— Elle veut que tu la caresses ! explique Aïzie en riant.

Un peu hésitant, Luciel effleure son front lisse, puis s’enhardit à flatter le long cou sinueux, en s'attardant sur le pelage doux et chaud. La khaïte ferme les yeux de plaisir.

— Nuée, tu es d’accord pour le porter lui aussi ?

La créature rouvre les paupières et incline la tête dans ce qui ressemble à une affirmation. Alors, Aïzie saisit les rênes et emmène sa monture vers le ponton. Une fois rendu à l’extrémité, il grimpe en selle puis tend la main à Luciel pour l’aider à s’installer derrière lui.

— N’hésite pas à te tenir à ma taille ! Quand on n’a pas l’habitude de chevaucher un khaïte, certains mouvements peuvent surprendre !

Qaund les deux jeunes gens sont bien en place, Nuée étend ses ailes membraneuses et s’élance dans les airs. Elle frôle de près le sol de l’esplanade avant d’opérer une large boucle qui la ramène au-dessus du village. Luciel peut sentir le jeu des muscles puissants à chaque battement. Son cœur se soulève sous l’effet de ces soubresauts, mais, bientôt, le vol de la khaïte se stabilise et il peut profiter tout à loisir du paysage.

Ils planent au-dessus des maisons carrées et de leurs jardinets, comme jetés au hasard par une main géante, et des affleurements de roche blanche qui forment comme des murailles naturelles entre différents quartiers. Les habitants ont creusé des passages pour les traverser sans encombre. Certains s’apparentent à des ruelles, d’autres à d’étroits tunnels. Quelques parties de l’île sont laissées en friche, comme l’esplanade. Luciel remarque qu’aucun arbre ne pousse sur sa surface, à part quelques espèces fruitières râblées, juste des arbustes et de la végétation rase. Sans doute les semeurs de tempêtes négocient-ils le bois après des villages d’altitude. Aïzie tourne la tête vers lui :

— Tout va bien ?

— Oui, ne t’inquiète pas !

— Cela te dirait de franchir les bords de l'île ? Ne t’en fais pas, nous n’entrerons pas dans la zone des tourbillons !

— Volontiers !

Le garçon courbe le vol de Nuée vers le muret qui longe l’abîme. Le long des parois latérales, qui s’incurvent doucement vers le dessous de l’île, le jeune ange peut voir d’autres pontons qui donnent sur de vastes baies, ainsi que des balcons et des rangées de fenêtres : s’ils vivent à la surface, les habitants ont aussi creusé en profondeurs. Quelques corniches naturelles apparaissent par endroit ; si c’est sur l’une d’elles qu’il s’est écrasé, Luciel a eu de la chance qu’on le retrouve !

La khaïte rencontre une dépression, mais remonte aussitôt. L’ange se crispe ; le soubresaut a réveillé la douleur de son aile, mais il reste muet, de peur qu’Aïzie ne s'inquiète. Il commence à se sentir fatigué – peut-être en a-t-il déjà trop fait pour son état de convalescent. Craignant de glisser de la selle, il resserre les bras autour de la taille du garçon.

Aïzie se retourne vers lui et demande, d’une voix effilochée par le vent :

— Ça ne va pas ?

— Je crois que… je préférerais revenir à la tour, avoue-t-il piteusement.

— C’est sans doute un peu trop pour une première fois. Ne t'en fais pas, nous rentrons tout de suite !

Il tire avec douceur les rênes pour faire monter Nuée vers la surface de l’île, puis la dirige droit vers le ponton où elle se pose avec la légèreté d’une plume. Dès que les deux jeunes gens sont descendus, elle s’ébroue de la tête jusqu’au bout de la queue et ouvre la gueule en un large bâillement.

Aïzie la flatte affectueusement avant de lui ôter son harnachement. Luciel s’assoit sur les planches, les jambes pendant dans le vide, et contemple ce havre de paix préservé de la violence du monde. Il se sent éreinté : combien de temps lui faudra-t-il pour récupérer ses forces ?

— Veux-tu rentrer maintenant ?

Le jeune ange , qui commence à plonger dans une certaine torpeur, sursaute à la voix de son ami :

— Je préfère me reposer un peu, avoue-t-il.

— Pas de souci. Je dois brosser et nourrir Nuée. J’en ai pour un moment ! Tu n’as qu’à t’installer dans la paille, c’est très confortable !

Luciel suit son conseil et s’allonge sur le flanc, dans les brins odorants. Bientôt, le sommeil le rattrape. Il ne cherche pas à résister… Cette fois, ses rêves le ramènent sur le dos de la khaïte, au milieu des nuages.


Texte publié par Beatrix, 26 janvier 2022 à 20h14
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