Au petit matin, un rayon de soleil se glisse par les baies en haut des murs ; il caresse le visage de Luciel, puis taquine ses paupières. L’ange blessé ouvre les yeux. Cette fois, aucune réminiscence malvenue n’a troublé son sommeil. Il se redresse et constate que la douleur se fait moins vive. Avec précaution, il s’assoit sur le bord du lit puis tente de se lever. Ses jambes tremblent un peu et le poids de son aile immobilisé le déséquilibre un peu, mais il parvient à faire quelques pas. Du bout des doigts, il effleure l’étrange pierre mousseuse, avant de promener son regard autour de lui.
La pièce n’est pas bien grande. Des tapis colorés couvrent le sol, parsemés de coussins qui n’attendent que les visiteurs. Sur une étagère, il remarque une figurine insolite : elle représente la créature qu’il a déjà aperçue sur les tapisseries, mais en bien plus détaillée. Il reconnaît le fin museau allongé, le long cou flexible, le corps élancé et les ailes membraneuses. Alors qu’il se penche pour mieux l’observer, une voix mélodieuse retentit derrière lui :
— C’est un khaïte. Tu n’en as jamais vu ?
Surpris, l'ange se retourne, pour découvrir une femme, aussi mince et osseuse qu’Afras et Aïzie. Au lieu d’une combinaison de cuir, elle porte une longue robe sans manches d'étoffe beige, attachée à la taille par une ceinture de fils colorés. Ses cheveux blonds sont retenus en fines tresses collées sur son crâne et liées en partie sur sa nuque. Elle paraît un peu plus jeune qu’Afras.
— Tu sembles aller beaucoup mieux, poursuit-elle avec soulagement. C’est bon signe de te voir debout !
Ses prunelles de jade le détaillent avec attention :
— Assieds-toi, je vais examiner ton aile. On dirait que l’attelle s’est un peu déplacée.
Luciel obtempère, un peu gêné par ses actes inconsidérés de la veille. Avec habileté, la femme - Luciel suppose qu’il s’agit d’Aïmara – déroule les bandes de tissus, dégage la plaque de bois et palpe avec une extrême douceur l’aile blessée.
— Nous ne connaissons pas grand-chose aux anges. Nous n’en rencontrons pas si souvent. J’espère avoir fait ce qu’il fallait.
Luciel lui adresse un sourire rassurant :
— Je me serais remis de toute façon, mais vos soins me permettront de me rétablir plus vite. Je vous remercie.
— Ce n’est rien. Je suis heureuse d’avoir pu t’aider !
Elle termine l’examen et se redresse avec satisfaction :
— Tout va pour le mieux. Tes côtes sont presque guéries ; il n’est plus nécessaire de les bander. Par contre, je préfère que tu gardes l’attelle encore aujourd’hui. Ensuite, un simple bandage suffira.
Tandis qu’elle immobilise de nouveau son aile, Aïzie apparaît à l’entrée de la pièce :
— Aïmara, est-ce que Luciel peut venir avec moi ? Je veux lui montrer notre village !
La guérisseuse observe son patient d’un œil critique, avant de déclarer :
— C’est d’accord. Cela ne peut que lui faire du bien de sortir, mais avant, il doit manger un peu. Il a besoin de reconstituer ses forces. Peut-être peux-tu lui chercher quelque chose ?
— Bien sûr ! répond le garçon avec bonne humeur. Qu’est-ce que qui te ferait plaisir, Luciel ?
L’ange s’apprête à leur dire qu’il peut attendre un peu, mais il devine que ses protestations ne serviront à rien.
— De l’eau, des fruits et un peu de pain… ce sera très bien.
— Pas de soucis !
Peu après, Aïzie rapporte un plateau qu’il pose sur les genoux de son nouvel ami. Luciel découvre des tranches de pain à la mie brune et compacte, piquée de graines colorées, des baies rondes bleues et rouge et un gros fruit jaune à la peau ridée.
— Est-ce que ça te convient ?
— C’est parfait !
— Prends le temps de manger, je reviendrai un peu plus tard.
Aïzie le salue d’un signe de la main avant de disparaître. Luciel a l’impression de vivre un rêve éveillé. Les gens de cet étrange village lui témoignent autant d’attentions que s’il était l’un des leurs… ou bien un hôte de choix. Il songe à ce qu’a dit Aïmara : les habitants de l’île connaissent peu les anges. Rien dans leurs traditions ne leur impose de garder leurs distances ni de les mépriser.
— Tu as l’air bien pensif… remarque la guérisseuse, amusée. Tu vas passer combien de temps à regarder ton repas avant de le goûter ?
Luciel sursaute, puis rattrape de justesse une poignée de baies qui menacent de s’échapper du plateau. Il en glisse une dans sa bouche ; un jus doux et parfumé coule dans sa gorge.
— C’est délicieux. Vous les cultivez ici ?
— Oui, pour l’essentiel. Nous obtenons ce qui nous manque auprès des villages d’altitude, surtout pour les matériaux dont nous ne disposons pas, comme le cuir ou le métal.
— Que leur offrez-vous en échange ?
Un sourire malicieux éclaire le visage d’Aïmara.
— Te souviens-tu du nom que nous nous donnons ?
Le jeune ange croque quelques baies supplémentaires avant de répondre :
— Les semeurs de tempêtes ?
En prononçant ces paroles, il comprend où la guérisseuse veut en venir.
— Vous… créez des tempêtes ? Comment est-ce possible ?
Aïmara éclate de rire ; elle repousse quelques tresses qui se balancent devant ses yeux.
— C’est tout un art ! Nous connaissons si bien les courants du ciel que nous savons lesquels altérer pour modifier le climat d’un endroit précis. Nous pouvons apporter la pluie au-dessus des terres qui en manquent, et la faire fuir si l’eau détrempe le sol. Garantir le soleil quand une célébration doit avoir lieu. Nous ne demandons pas grand-chose en échange, juste ce dont nous avons besoin. À quoi bon exiger plus ?
Luciel opine gravement ; ce peuple lui paraît bien plus sage que les maîtres des forteresses qui abusent de leur pouvoir, sous prétexte de « protéger » les villages sous leur coupe.
— Je n’avais jamais entendu parler de vous, remarque-t-il entre deux bouchées de pain.
Les graines croquent sous ses dents, révélant des saveurs doucement épicées qui rehaussent le goût sauvage de la mie brune.
— Les villages où nous intervenons gardent le secret sur notre existence. Si les seigneurs d’altitude venaient à apprendre ce dont nous sommes capables, j’ose à peine imaginer les conséquences.
Luciel frisonne à cette idée. Même s’il n’a approché qu’un seul de ces tyrans, il a pu constater à ses dépens leur cruauté et leur avidité.
— Et les anges ? Personne parmi les miens ne vous a jamais mentionnés…
La guérisseuse baisse la tête et mordille sa lèvre inférieure, comme si la question la gênait.
— Nous les évitons également, finit-elle par révéler. Quand les habitants d’un village possèdent un protecteur, les troupes des forteresses peuvent y faire irruption à tout moment.
Cette explication semble logique, mais la façon dont les yeux d’Aïmara fuient les siens lui font penser qu’elle ne dit pas tout… Le jeune ange hésite un instant, puis renonce à l’interroger davantage et croque dans le gros fruit jaune, qui fond dans sa bouche en libérant des saveurs parfumées et légèrement alcoolisées. Une fois le repas terminé, il se lève et se lave les mains dans le bol d’eau qu’Aïmara a déposé à son attention. C’est le moment que choisit Aïzie pour réapparaître :
— Est-ce que tu es prêt ?
Sans attendre sa réponse, il attrape Luciel par son épaule indemne et l’entraîne vers l’extérieur. La voix d’Aïmara retentit dans leur dos :
— Pas d’imprudence, d’ailleurs ? Il est encore fragile ! S’il semble fatigué, ramène-le dès que possible !
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2782 histoires publiées 1267 membres inscrits Notre membre le plus récent est JeanAlbert |