La panique et le désespoir suivent Luciel jusque dans son réveil. Il tente de se redresser, comme s’il pouvait, par-delà l’espace et le temps, empêcher ce désastre. Aussitôt, une vague de douleur parcourt tout son corps. Il se laisse retomber, les larmes aux yeux. La sensation se calme un peu, mais elle s’attarde dans sa tête, sa poitrine, ses ailes. Le jeune ange s’oblige à respirer profondément, pour juguler l'affolement qui le menace. Peu à peu, la douleur se condense dans le côté droit de son corps, dans son torse et son aile. Quand il essaye de la déplier, elle refuse de bouger. La souffrance qui s’ensuit lui fait comprendre qu’il est inutile d’insister. Luciel parvient à grand-peine à lever sa main gauche jusqu’à son épaule : ses doigts rencontrent d’épaisses couches d’étoffe enroulées autour de sa poitrine.
Il se rappelle vaguement le tourbillon qui l’a emporté et l’obscurité qui l’a englouti. Il a dû heurter le flanc d’une montagne et se blesser sérieusement. Le jeune ange a déjà subi ce genre d’accident, mais c’est bien la première fois que quelqu’un a pris la peine de le recueillir pour le soigner.
Une chose est sûre, il ne se trouve pas dans une forteresse. Une vive lumière pénètre dans la pièce par de longues ouvertures pratiquées tout en haut des murs et partiellement fermées par des claies de bois. Des odeurs d’herbes aromatiques flottent autour de lui.
Avec plus de précautions, Luciel tente de se redresser, en dépit de la douleur qui fuse dans ses côtes et dans son aile. Il comprend qu’il a dû se les briser en s’écrasant au sol. Ce n’était pas la première fois que ses os, plus légers et fragiles que ceux des hommes, se rompent à la suite d’un atterrissage brutal ou d’un choc contre les parois montagneuses, à cause de vents trop violents ou d’une mission épuisante. La nature des anges leur permet de se remettre en quelques jours et sans soin particuliers des blessures qui prendraient des mois à guérir chez un humain. Jusqu’à présent, ses ailes ont été épargnées, et il a toujours pu rentrer à Cimes, pour attendre, allongé sur sa paillasse, de retrouver toute sa mobilité.
— Reste tranquille !
La voix sévère le fait sursauter. Un homme apparaît soudain devant lui. Grand et maigre, il porte une combinaison de cuir qui lui couvre tout le corps. Un bandeau de même matière retient ses longs cheveux grisonnants.
Surpris et un peu effrayé, le jeune ange se laisse retomber sur la couche. En deux enjambées, l’étranger s’approche de lui et s’accroupit à son chevet. Son expression s’adoucit ; son regard pâle se pose sur lui avec sollicitude :
— Tu es encore mal en point. Il vaut mieux que tu ne bouges pas pour l’instant.
Luciel ne parvient pas à trouver les mots pour lui répondre, malgré les dizaines de questions qui s’entrechoquent dans son esprit. Où est-il ? Depuis quand ? Qui est cet humain qui semble se soucier de lui ?
L’inconnu déplie sa longue carcasse :
— Tu as eu de la chance qu’Aïzie t’ait repéré, inconscient sur cette corniche. Tu pourrais toujours y être. Je sais que les tiens sont coriaces, mais tu faisais peine à voir.
— … Aïzie ? répète machinalement le jeune ange.
— Mon neveu. Il ne va pas tarder à rentrer. Il sera heureux d’apprendre que tu es réveillé ! Dis-moi, est-ce que tu as soif ?
Luciel s’aperçoit alors que son palais est aussi sec que le chemin de ronde de Cimes durant les journées les plus chaudes de l’été. Il acquiesce d’un infime hochement de tête. L’homme disparaît de son champ de vision pour revenir avec un gobelet de bois à la main.
Avec précaution, il passe un bras mince et vigoureux derrière le dos de Luciel, en évitant avec soin d’effleurer son aile blessée, et le redresse pour qu’il puisse boire. Le liquide frais coule dans sa gorge comme un baume bienfaisant, jusqu'à sa dernière goutte.
— Tu en voudras encore ?
— Non, je vous remercie.
L’inconnu dépose le gobelet sur une petite table à côté du lit, puis l’aide à se rallonger sur la couche moelleuse, calé par des coussins, avant de tirer sur lui une couverture de laine aux motifs colorés que le mouvement a fait glisser.
— Comment te sens-tu ? Tu n’as pas trop mal ?
La surprise de Luciel se fait de plus en plus grande. Même si certains humains, comme ceux des villages qui n’ont jamais subi les raids des seigneurs, se montrent respectueux envers les anges, aucun d’entre eux ne lui a jamais témoigné autant de bienveillance… à part Solia, bien entendu. Après dix années au service d’Euresme, il s’attend à être traité comme une créature étrangère, crainte ou méprisée, ou les deux à la fois. Les attentions de l’homme suscitent en lui un mélange de reconnaissance et de méfiance.
— Ça va déjà mieux, répond-il prudemment. Qui êtes-vous ?
Un large sourire fend le visage mince de son hôte :
— Je m’appelle Afras. Je suis un semeur de Tempête.
Semeur de tempête ? Voilà un qualificatif singulier. Est-ce peuple ? Un métier ? Malgré sa curiosité naissante, Luciel se sent trop épuisé pour poser plus de questions.
— Et toi ? Tu as bien un nom ?
Le jeune ange hésite, mais finit par céder face à la gentillesse d’Afras ?
— Je suis… Luciel.
Ses paupières retombent et le sommeil l’emporte de nouveau dans ses méandres insondables.
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