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L’ange et la chaîne demeurent un long moment enlacés.

— J’ai eu si peur, murmure la fillette.

Elle se blottit contre son protecteur et niche son visage au creux de son épaule, en respirant son odeur de neige et de soleil. Le duvet de ses ailes taquine sa peau.

— Solia…, souffle-t-il à son oreille.

Enfin, il desserre son étreinte et se redresse d’un geste fluide, puis lui tend la main pour l’aider à se relever. La jeune humaine contemple ses traits si purs ; elle n’y constate aucune trace de souffrance. Un peu de fatigue, peut-être, au coin de ses paupières, mais rien d’alarmant.

Avec un frisson, elle s’aperçoit que son regard se trouve désormais à la hauteur de celui de Luciel. À l'angèlerie, elle mène une existence terrible, à laquelle certaines chaînes finissent par succomber. Pourtant, elle survit. Elle grandit. Bientôt, elle deviendra adulte.

À cette pensée, Solia se replie sur elle même, comme si ce mouvement pouvait arrêter le cours du temps.

— Il s’en est fallu de peu ! lance une voix rêche derrière eux.

La fillette résiste au réflexe de se retourner, pour ne pas avoir à affronter le visage rude et cruel de l’angelier. La main de Luciel serre la sienne en un geste rassurant.

— J’ai été retardé, explique-t-il de son timbre doux et musical. J’ai rencontré des turbulences en altitude. J’ai réussi à y échapper, mais c'était difficile de retrouver mes repères. Je suis désolée.

— J’étais tellement inquiète pour toi, murmure Solia. J’ai eu peur que tu ne reviennes pas...

Elle se rapproche de lui pour le prendre de nouveau dans ses bras, quand une poigne de fer saisit son épaule et la tire brutalement en arrière.

— Ce n’est pas à elle que tu dois faire ton rapport, l’emplumé. Le seigneur t’attend. File, avant qu’il ne s’énerve encore plus.

— J’y vais tout de suite.

Le jeune ange effleure du bout des doigts la joue de Solia.

— Je viens te voir dès que possible.

Le cœur battant, la fillette regarde son protecteur se diriger vers la forteresse où leur maître se terre comme une araignée des roches dans sa crevasse. Il se retourne une dernière fois pour lui sourire, puis s’engage sur le pont étroit jeté au-dessus du précipice. Le pâle soleil de l’altitude nimbe sa silhouette d’or et d’argent.

À présent que Luciel est parti, Solia sent ses forces la déserter. Son souffle se fait court. Ses jambes flageolent ; elle doit lutter pour rester debout. Si elle ferme les paupières, elle peut s’imaginer en train de choir dans le vide. Durant toute son épreuve, elle n’a songé qu’à lui. La terreur qu’elle a enfouie au fond d’elle-même la rattrape et la dévore tout entière. Ses doigts minces se perdent dans sa chevelure emmêlée par le vent.

— Rentre tout de suite.

La voix de l’angelier tire la fillette de sa torpeur. L’homme la fixe de ses petits yeux durs et froids :

— Tu vas retourner dans ta cellule, ou il faut que je te montre le chemin ?

Solia baisse le regard vers les fers qui entravent ses chevilles. Avec mauvaise grâce, l’angelier s’accroupit pour les déverrouiller, puis les ramasse en grommelant. La jeune humaine frissonne. Contrairement à son geôlier, revêtu d’une tunique de laine et d’un bonnet de feutre, elle ne porte qu’une fine robe de lin, à peine suffisante pour la garantir des courants d’air. À présent qu’elle est libérée, elle devrait fuir et se mettre à l’abri des épais murs de la tour, mais l’inquiétude la fige sur place. Elle lève les yeux vers l'angelier :

— Est-ce qu’il sera puni ?

— J’en sais rien… Mais j’espère bien qu’il le sera ! Cette saleté d’emplumé se croit tout permis. Allez, file, avant qu’il me prenne l’envie de te balancer du haut de la falaise !

Solia comprend qu’il ne sert à rien de s’entêter. Elle court vers la tour, aussi vite que ses jambes tremblantes le lui permettent. Elle ne s’arrête que pour ramasser une plume dorée, prisonnière d’une crevasse dans le rocher.