Plus tard dans la journée, Aïzie vient trouver Luciel, qui somnole à demi dans la maison d’Afras. Il se penche vers lui avec un enthousiasme visible :
— Suis-moi ! Nous devons nous rendre à la tour des khaïtes !
L' ange se redresse, les sourcils froncés. Le semeur anticipe sa question :
— Si tu dois m’emprunter Nuée, autant que tu saches comment la diriger !
Aïmara, qui accompagne le garçon, fait claquer sa langue contre son palais pour le rappeler à l’ordre :
— Pas si vite, jeune homme ! Je vais d’abord m’assurer que Luciel se porte assez bien pour venir avec toi. Tu as de la chance que ses blessures n’aient pas été aggravées par votre première sortie !
Aïzie pique du nez, un peu honteux, pendant que la guérisseuse fait asseoir Luciel sur un tabouret et ôte ses bandages pour examiner son aile. Le jeune ange se raidit à l’avance, mais il n’éprouve qu’une légère douleur quand ses doigts délicats palpent le membre blessé :
— L’os se ressoude bien, décrète-t-elle avec satisfaction. L’attelle n’est plus utile, mais ton aile demeure fragile. Il vaut mieux qu’elle reste attachée contre ton dos pour le moment. Surtout si tu pars faire des acrobaties !
Luciel soupire de soulagement : il se sent un peu plus libre, même s’il lui faudra encore un peu de temps pour pouvoir voler. Dès qu’Aïmara a fini de s’occuper de lui, son ami l’entraîne vers la tour blanche où résident les khaïtes. Aïzie selle Nuée et la conduit sur le pont, d’où elle s'apprête à décoller. Le jeune semeur pousse Luciel vers la grande créature :
— Allez, monte ! Tout se passera bien !
— Tu ne viens pas avec moi ?
— Ce n’est pas la peine. Je vais t’expliquer comment faire. Je suis sûr que tu te débrouilleras très bien !
Luciel sent son cœur battre à coups redoublés. Même si Nuée tourne vers lui un regard empli de bienveillance, c’est tout juste s’il ose caresser son cou soyeux.
— Qu’est-ce que tu attends ? ronchonne son ami. Elle ne te mangera pas !
— Je sais, répond Luciel timidement. C’est juste que… je n’ai aucune idée de la façon dont je dois m’y prendre !
Aïzie lève les yeux au ciel, agacé.
— C’est simple, pourtant ! Tu veux aller à droite ? Tire sur la rêne droite. Et si tu veux aller à gauche, tire de l’autre côté. Pour t’élever dans les airs, incline le haut de ton corps vers l’arrière. Pour descendre, penche-toi en avant ! Tu vois, rien de très compliqué !
Dans la bouche du garçon roux, tout semble évident, mais Luciel ne se sens pas plus confiant.
— Tu es sûr qu’elle m’obéira ?
— Bien sûr que oui !
Le sourire encourageant d’Aïzie rassure un peu le jeune ange. Il s’enhardit assez pour caresser Nuée, puis s’installe sur la selle. L’assise est confortable, mais Luciel se demande s’il parviendra à rester dessus s’ils traversent le moindre soubresaut. Ce n’est pas comme s’il pouvait déployer ses ailes !
— N’aie pas peur ! Nuée ne t’éjectera pas si facilement !
Confus d’avoir été si transparent, Luciel serre les dents ; ses mains se crispent sur les rennes. Il patiente un moment, mais la khaïte ne bouge toujours pas. Elle plie son long cou flexible pour le regarder avec perplexité.
— Si tu veux décoller, il faut lui donner de légers coups de talon !
Luciel ignore l’amusement dans la voix du semeur et s’exécute, un peu trop brusquement, sans doute. Nuée ouvre enfin ses ailes et saute dans le vide ; elle tombe pendant quelques secondes avant de se redresser pour attraper un courant aérien. L’ange sent son estomac accompagner les mouvements de sa monture. Ses doigts se crispent sur les lanières de cuir avec une intensité qui tient du désespoir.
Il s’applique tellement à rester en selle qu’il en oublie de diriger la khaïte, qui tourne en rond autour de la tour. Heureusement pour eux, aucun de ses habitants ne choisit ce moment pour s’envoler.
— Les rênes, Luciel ! Tu dois lui indiquer où aller !
L’ange se ressaisit et tire sur celle de droite pour éloigner Nuée de la bâtisse. Aussitôt, la trajectoire de la khaïte s’incurve en une large courbe qui l’entraîne vers le cœur de l’île. Les instructions d’Aïzie lui reviennent en mémoire. Il se penche en arrière et sent les ailes puissantes battre avec vigueur, tandis qu'ils s'élèvent vers le firmament. C’est plus impressionnant que de voler par lui-même, mais aussi étrangement agréable. Peu à peu, sa peur de tomber se dissipe face au simple bonheur de se laisser porter à travers le ciel, sous le vent d'altitude qui fouette son visage et emmêle ses cheveux.
Au bout d’un moment, il décide de ramener la khaïte vers la tour et s'incline pour la faire descendre, mais il calcule mal son geste. Nuée part dans une longue spirale qui la conduit vers la paroi inférieure de l’île.
Le courage du jeune ange vacille :
— Je n’y arriverai jamais… souffle-t-il.
Sa voix est emportée par les bourrasques qui constituent la protection ultime du lieu. L’air y est plus violent, chargé de turbulences ; une crainte profonde le saisit. La douleur palpite à nouveau dans son aile blessée. Son coeur bat à toute allure, comme celui d’un tournevol captif.
L’image de Solia s’impose alors devant les yeux de Luciel. Luciel serre les dents et reprend le contrôle de sa monture. Il la rapproche des parois blanches percées de larges baies, puis la conduit vers la partie inférieure de l’île. Peut-être que la khaïte commence-t-elle à s’habituer à sa main, car elle répond mieux à ses gestes. Avec un nouveau sentiment de plénitude, il la ramène vers la tour, en évitant avec soin le mur de tempête. La grande créature s’y dirige avec le même enthousiasme qu’un cornu qui rentre à l’étable. Elle se pose sans encombre sur le ponton, sous le regard jubilatoire d’Aïzie.
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