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CHAPITRE 7

Dimanche 11 octobre 2020, 15h15

Miranda paniquait, les jambes dans le vide. L'immense racine avait retourné le véhicule et ses jambes pendaient dans le vide alors qu'elle s'accrochait avec l'énergie du désespoir au siège de Louise. Elle ne savait pas ce qui les attaquait, mais la chose voulait assurément leur mort. Son sac fermement accroché dans son dos, elle cherchait une solution de s'en sortir sans mourir et sans sacrifier Louise. La vieille dame donnait de grands coups dans la portière pour essayer de l'ouvrir malgré la pression que le légume exerçait dessus. Comme un serpent de mer, les racines s'enroulaient autour de la voiture et la compressaient petit à petit à la manière d'une orange. Bientôt, ils se retrouveraient tous les trois piégés, même si le sort de l'un d'entre eux l'indifférait totalement.

— Louise ! Je vais me laisser glisser le long de la racine, et après tu vas passer dans le coffre et en faire de même, d'accord ? On va s'en sortir ! l'encouragea la jeune femme.

Elle fit tomber les sacs sur une portion intacte du sol, puis ses mains agrippèrent fermement la plus grosse des lianes. Ses mains se rejoignirent derrière la racine et elle se laissa glisser jusqu'en bas en ignorant les mouvements brutaux du légume. Elle sauta à terre, ramassa les sacs et appela une nouvelle fois son amie. Louise escalada le fauteuil avec prudence avant de l'imiter. Miranda lança un regard nerveux autour d'elle. Elle sentait le sol vibrer sous ses pieds et ça ne lui plaisait pas du tout. Elle continua de l'encourager à voix haute jusqu'à ce qu'elle saisisse la racine et se laisse glisser en douceur. La plante eut beau ruer, elle réussit à arriver en bas sans trop d'encombres. Sans un regard en arrière, Miranda lui donna son sac et la tira par le bras vers un immeuble en mauvais état, loin de la scène. Louise freina immédiatement.

— Nous devons attendre Connor ! On ne peut pas l'abandonner !

— C'est lui qui nous a menées dans ce bordel en premier lieu, répliqua-t-elle avec froideur. Je ne vais certainement pas être désolé pour lui. S'il s'en sort, tant mieux, sinon, tant pis. Ce n'est pas notre problème.

— Miranda ! Tu ne peux pas dire ça ! s'exclama Louise, outrée.

La jeune femme grogna de mécontentement et, comprenant que son amie ne lâcherait pas l'affaire, lui demanda de se mettre à l'abri pendant qu'elle allait le récupérer. Si elle ne la surveillait pas depuis l'entrée, elle serait sans aucun doute allée l'achever pour de bon. Cet homme ne leur apportait que des malheurs depuis qu'il était entré dans leur vie et elle n'en pouvait plus.

Rejoindre la voiture fut plus compliqué qu'au premier voyage. Le sol était zébré de fissures qui s'élargissaient un peu plus à chaque mouvement un peu trop brusque des immenses racines qui en dépassaient. Par ailleurs, d'autres étaient apparues et fouettaient l'air avec rage pour saisir ce qui passait à proximité. Agile, Miranda les évita facilement et ne tarda pas à avoir le coffre de la voiture en visuel. Connor pendait dans le vide, accroché tant bien que mal à deux mains à la boule d'attelage du véhicule. Il perdait sa grippe et menaçait de tomber à tout moment. En soit, le sol n'était pas si loin, deux ou trois mètres à peine, mais s'il se blessait en se réceptionnant, ils étaient finis. Ils ne pouvaient pas fuir dans la ville avec un blessé et des légumes à leurs trousses. C'était donc dans l'intérêt de Miranda de trouver une solution pour lui sauver la vie, aussi pénible soit-il.

— Vous pouvez saisir la racine ? cria Miranda pour attirer son attention.

— Je ne peux pas lâcher, je vais tomber !

— Écoutez, vous attrapez cette racine ou je vous abandonne ici, faites un choix ! s'énerva déjà la jeune femme. Vous nous faites perdre du temps ! Si vous ne descendez pas d'ici cinq minutes, je laisse les racines vous zigouiller !

Connor lui adressa un regard noir avant de commencer à se balancer pour essayer d'attraper la racine avec ses jambes. Au-dessus de lui, la voiture produisait des grincements plaintifs à mesure que la tôle métallique se tordait sous la force du légume.

Miranda fit le tour pour trouver un autre moyen de l'aider. Avec les racines qui se tordaient dans tous les sens, elle ne voyait pas comment l'atteindre sans risquer sa propre vie, ce qu'elle ne comptait pas faire sous aucun prétexte et surtout pas pour lui. Sous ses pieds, elle sentait le sol gronder de plus belle à mesure qu'elle s'aventurait sur des portions de la route plus abîmées. Alors qu'elle commençait à s'impatienter, quelque chose de fort inhabituel se produisit. Brusquement, plusieurs racines se rétractèrent, comme des mains brûlées par une casserole trop chaude. Un nouveau froissement alarmant résonna au-dessus d'elle. Elle écarquilla les yeux : la voiture penchait dangereusement dans sa direction. Tant pis pour Connor. Elle fit vivement marche arrière et courut loin de la zone de portée de l'énorme racine qui s'agitait de plus en plus. Le véhicule s'écrasa au sol dans un vacarme assourdissant, brisé net en deux là où la plante avait serré. Plus étonnant, la plante gisait elle aussi au sol, brisée en deux.

Perplexe, elle resta un long moment à écouter le silence. Elle voulait s'assurer qu'aucun autre danger n'allait la prendre par surprise lorsqu'elle s'approcherait du véhicule. Rien ne lui parut menaçant dans l'immédiat. Quelques légumes à l'horizon s'étaient approchés de la source de bruit, mais ils ne représentaient pas un problème imminent. En revanche, ils ne devaient pas traîner longtemps dans les parages pour éviter qu'ils ne s'intéressent à eux. À pas de loup, elle avança vers la voiture et la plante « morte » pour chercher Connor. Le carilloniste avait-il seulement réussi à en réchapper ? Leur vieux tacot se trouvait dans un triste état : le réservoir d'essence se vidait au sol, plusieurs pièces du moteur avaient été propulsées tout autour d'elle et les sièges arrachés de leur socle.

— Connor ? appela-t-elle d'une voix incertaine.

Même si elle savait que c'était un choix moral discutable, une part d'elle espérait de le retrouver écrasé sous un des morceaux de la voiture. Plus de Connor, plus de problème. Malheureusement, elle avait la forte intuition qu'il avait tout fait pour rester en vie et lui pourrir un peu plus l'existence. Après tout, il appartenait à la classe des parasites et ceux-là ne disparaissaient pas aisément, même après un coup de bombe insecticide. Elle en eut bientôt la confirmation : ce cher Connor était debout à côté du tronc de la plante comme si rien ne s'était passé et sans la moindre égratignure. Comment faisait-il pour toujours s'en sortir comme ça ? Soit il avait une chance insolente, soit, comme elle le suspectait, quelque chose de louche entourait cet énergumène. Elle ne pouvait s'empêcher de trouver bizarre la manière dont la racine s'était subitement brisée après presque vingt minutes à porter le véhicule sans la moindre difficulté.

— Oh, vous êtes là aussi ? demanda-t-il d'un ton bercé d'amertume.

De toute évidence, l'espérance d'une mort annoncée était réciproque. Les bras croisés, elle détailla le carilloniste de haut en bas pour lui exprimer son mépris. Il ne s'en formalisa pas. Il s'accroupit et ramassa une petite bouteille d'eau en plastique. Il la porta devant ses yeux, la secoua pour s'assurer qu'elle était bien vide, puis tira la grimace. Sans plus de cérémonie, il jeta le morceau de plastique derrière lui. Miranda suivit le vol du déchet du regard avant de centrer son attention sur lui.

— Une bouteille plastique met cent à mille ans à se décomposer dans la nature. Vous ne pouvez pas faire un effort et la recycler pour en faire une gourde ? s'énerva-t-elle, plus par envie de provoquer que réel intérêt pour l'environnement.

— Croyez-moi, vous ne voulez pas boire dans cette bouteille. Sauf si vous tenez à finir comme cette plante.

Cette fois-ci, la curiosité de la jeune femme fut piquée au vif. Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? Avait-elle raison de penser qu'il avait provoqué la destruction de la plante ? Connor ne sembla pas disposer à répondre à ses questions. Sans un regard en arrière, il prit la direction qu'avait empruntée Louise et Miranda un peu plus tôt, avant que la vieille dame ne la force à voler à la rescousse de la princesse-cloche. Elle haussa un sourcil et avant de le suivre alla ramasser la bouteille ouverte. Elle renifla son contenu à bonne distance. Rien, aucune odeur. Des traces d'un liquide vert étaient restées sur le fond. Elle dut se contenter de ce seul et unique indice qui lui apporta plus de questions que de réponses. Elle poussa un soupir et alla jeter la bouteille dans une des poubelles publiques disposées sur le trottoir. Plus personne ne les vidait, certes, mais ce n'était pas une raison pour laisser des détritus derrière eux !

Elle rejoignit Connor et Louise dans le vieil immeuble abandonné. Son amie avait profité de cette pause bienvenue pour s'asseoir à terre et boire un peu. Miranda ne s'aperçut qu'à ce moment que ses genoux étaient méchamment égratignés. Elle avait épongé avec un mouchoir et un peu d'eau, mais la plaie saignait encore beaucoup. Miranda fouilla dans son sac-à-dos et en sortit un désinfectant. Elle l'appliqua sur son genou puis nettoya la blessure d'un geste expert. Maintenant qu'il n'y avait plus d'hôpitaux, les survivants ne pouvaient plus se permettre de laisser une blessure en apparence sans importance s'aggraver. Une infection tuait aussi efficacement que les légumes.

— Qu'est-ce que c'était ? demanda la vieille dame. Je ne suis pas sûre que nous ayons déjà rencontré ce type de légume auparavant.

— Je ne pense pas qu'on en ait vu avant, oui. Avec seulement les racines, je ne peux pas deviner ce que c'était. J'espère qu'on ne retombera jamais dessus. Quelle saloperie ! Tu te sens d'attaque pour marcher ? On doit vite dégager d'ici si on ne veut pas que quelque chose d'autre nous tombe dessus. Il va bientôt faire noir également, on devrait chercher un abri pour la nuit.

— J'ai peut-être une idée pour ça, intervint Connor. Depuis la voiture, j'ai remarqué un point lumineux à l'horizon. Je pense que c'est un phare et qu'il y a quelqu'un à l'intérieur.

— Vous avez eu le temps de regarder le paysage pendant l'attaque ? se moqua Miranda, sceptique. Même si c'était le cas, si c'est habité, c'est hors de question. On ne sait pas qui sont ces gens et ils pourraient très bien être dangereux.

Connor claqua de la langue, agacé. Miranda fronça les sourcils. Il n'allait quand même pas encore faire une scène ? Elle n'avait pas la patience de se battre avec lui. S'il commençait à négocier, elle n'était plus certaine de réussir à contrôler la pulsion meurtrière qu'elle retenait désespérément depuis leur rencontre. Comme d'habitude, le sonneur de cloches se tourna vers Louise pour avoir son approbation et se liguer ensemble contre elle. La vieille dame lança un regard désolé à son amie.

— Il a raison, Louise. Tu l'as dit toi-même, la ville est dangereuse. Ces personnes pourront peut-être nous héberger quelques jours, le temps que tout le monde se remette de ses émotions.

— Et s'ils sont armés ? Et s'ils ont de mauvaises intentions ? Moi aussi, je suis fatiguée ! s'emporta Miranda. Ce n'est pas pour autant que je vais aller me jeter dans une embuscade à la première occasion. On a suivi son plan stupide et regarde où est-ce que ça nous a menées ? On a presque failli y passer ! Cet homme est dangereux, il ne sait pas ce qu'il fait et il va juste nous faire tuer !

— Au moins, je ne suis pas parti sans me retourner au premier danger, lui reprocha-t-il. Vous croyez que je ne vous ai pas vu essayer de m'abandonner à mon sort ?

— Oh la ferme, Caliméro, tu vas tous nous faire pleurer !

— Miranda ! s'exclama Louise. Tu vas trop loin maintenant.

La jeune femme souffla du nez, excédée. La situation ne pouvait plus durer comme ça. Quitte à aller dans ce foutu phare, elle espérait que son idiotie le fasse tuer. Au point où ils en étaient, ce serait la seule façon de retrouver l'ambiance plus calme et sereine des premiers jours. Louise et Connor l'observaient toujours, dans l'attente de sa décision. Miranda ramassa rageusement son sac-à-dos et l'enfila sur ses épaules.

— Très bien ! On va à votre stupide phare. Mais je vous préviens, si ça se passe mal, dit-elle en pointant son doigt sous le menton de Connor, vous ne compterez pas sur moi pour vous sauver les fesses encore une fois. Je ne sais pas à quoi vous jouer, mais le plus tôt on sera débarrassé de vous, le mieux ce sera. Viens, Louise.

Sans un mot de plus, elle prit le nord. Le carilloniste et la vieille dame en firent de même avant de lui emboîter le pas.


Texte publié par Myfanwi, 2 octobre 2021 à 17h12
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