Les pensées accaparées par une souffrance latente, Jessica arpente le couloir en direction de l’ascenseur.
Sur son chemin, elle longe, distraite, des dizaines de sas fermés sur autant de salles d'entretiens psychologiques.
Au-dessus de chaque entrée, un numéro couleur basalte se détache du fond uniforme des parois blanches.
À proximité du bloc 101, elle marque un arrêt soudain. Porte la main à sa tempe. Grimace.
« ‘Tain, il se passe quoi, là ?»
Ses yeux se verrouillent sur l’identifiant. En scrutent le relief. S'apprêtent à se détourner, bredouilles.
Dans un flash, il vire soudain au rouge. S’accompagne d’une vive douleur. Elle lui vrille le cerveau.
« Aie ! Qu’est-ce que c’est, encore ? J’espère que… Non, ça ne se peut pas ! Ça va passer ! »
Sonnée, la brune secoue la tête de gauche à droite. Essaye d’en chasser une mauvaise pensée. La refuse. La réfute.
Puis, elle se fige, concentrée. Place une main par-dessus ses sourcils. La cale sur son front. S’en sert de visière. Tente ainsi de se protéger de la lumière du plafonnier.
Elle reste là, prostrée, ses yeux pointés vers le bout de ses baskets. Tente d’effacer de son esprit ce qu’elle vient de voir, incrédule. Essaye de reprendre le dessus sur ses peurs les plus profondes.
Une lutte intérieure inégale, cinglante, débute. L’ennemi, ce vieux démon qui la hante et dont, avec le temps, elle a appris à connaître tous les points faibles, ne l’impressionne plus.
Bientôt ce combat acharné, sans trace, sans victime, sans séquelle apparente, sera terminé. Bientôt le mal va relâcher l’étreinte qu’il exerce sur son crâne. Peu à peu, diminuer.
Voilà ! Comme prévu, la sérénité revient ! La jeune femme l’avait presque oublié depuis tout ce temps que l’importun n’avait plus pointé le bout de son vilain nez dans sa vie : la sérénité revient toujours.
Cette fois, seule une poignée de secondes lui aura suffit à terrasser cette migraine.
Jessica, victorieuse, rabat son bras le long de son corps. Se détend. Fixe le numéro 101 d’un regard inquisiteur.
Plus rien !
« J’espère que c’est pas un effet secondaire de leur putain d’examen ! Ou plutôt si, j’espère que s’en est un et qu’il va disparaître ! J’avais pas besoin de ça ! »
Grrr ! Grrrou ! Grrou ! Grrrrmmmmblllll !
Son ventre vide la ramène soudain à la réalité d’un petit-déjeuner manqué. Par chance, personne ne se trouve alentour pour assister, moqueur, à cette manifestation traîtresse inopportune.
« Je vais me trouver un truc à manger, ça ira mieux après…»
Elle consulte le petit écran digital de sa montre de poignet. 11h48.
« C’est bientôt l’heure, en plus ! »
La jeune affamée rejoint l'ascenseur. Il s’ouvre à son arrivée. Libère un homme et une femme. Leurs silhouettes imprécises ne retiennent même pas son attention.
À l'intérieur de la cabine, ses doigts se tendent vers la console holographique. Viennent effleurer une dalle verte marquée d’un zéro.
Aussitôt, le sas se referme. Émet un petit son de décompression. Psssshit !
Ses yeux s’écarquillent. L’étrange sensation d’avoir fait la découverte scientifique du siècle, l’envahit.
« Hey ! Attends une minute ! Ce bruit ! » s’écrie-t-elle, seule dans l’élévateur.
Elle ressent une impression bizarre. Celle vertigineuse d’avoir, comme absente, perdue pied. Un instant fugitif, certes ; suffisant pour s’en inquiéter. Elle voudrait se forger une certitude. Ou mieux : dissiper des soupçons.
Alors, elle plisse les paupières. Se concentre. Revient au moment précis où, lors de son entretien, elle prononce la phrase. Une phrase sortie de nul part. Une phrase qui ne l’aurait même pas fait sourciller, ne serait-ce qu’une petite seconde.
Juste ces quelques mots si étrangers à son vocabulaire.
Il ne lui faut pas longtemps pour fouiller sa mémoire. Localiser l’information.
Aussitôt trouvée, elle ne peut s’empêcher de l'externaliser à haute voix. Comme si elle s’était adressée à quelqu’un qui se serait trouvé à côté d’elle et avec qui elle tiendrait à partager sa trouvaille. Cette preuve irréfutable qu’elle ne rêve pas.
« Oui c’est ça ! J’ai bien parlé d’un holster fabriqué par “Airbones Techno” tout à l’heure, j’ai pas halluciné ! D’où il sort, ce nom ? Et à quel moment j’ai bien pu en entendre parler ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi j’aurai évoqué un truc que je ne connais même pas ? »
Égarée dans ses préoccupations les plus sombres, Jessica ne remarque pas que l’élévateur s’est immobilisé sur le vaste hall du rez-de-chaussée.
Devant les portes de l’ascenseur ouvertes sur le spectacle affligeant d’une jeune femme qui se fait la conversation à elle-même, incivique au possible, ne voulant pas céder la place aux honnêtes travailleurs, deux hommes, deux inconnus dans le costume d’une corpo différente, s’impatientent :
« Mais, qu’est-ce qu’elle fout cette fille ? Elle revient de l’étage d’UPJ ou quoi ? Ça tourne pas rond dans ta tête ? Hey gamine ! On n’a pas toute la journée ! Il faut sortir maintenant ! T’habites pas ici ! »
Jessica sursaute. Tirée de sa léthargie par des éclats de voix désobligeants, elle finit par remarquer les individus. Ne cherche pas à comprendre. Veut éviter d’aggraver la situation. Se fond en plates excuses.
« Désolée, je ne vous avais pas vu... Je vous laisse la cabine... » murmure-t-elle, confuse.
La brune débarque. Les corpos grimpent. L’un d’eux, les lèvres pincées d’arrogance, la dévisage, sévère.
« C’te conne ! Maigrichonne, pas de nibards... Elle serait tout juste bonne à servir les cafés, cette demeurée !
- Pardon ? Vous avez dit quoi, là ? s’offusque la jeune femme, le regard noir, sûr d’elle, presque agressive.
- Quoi ? J’ai rien dit, moi ! » semble ne rien comprendre, l’indélicat.
De bonne foi, il se retourne vers son binôme. Prend un air interrogateur :
« Vous m’avez entendu dire quelque chose, M’sieur ? »
L’autre homme fait un rapide signe de tête. Grimace. Lui confirme, l’air désolé et surpris par sa question, que non.
« En plus, j’ai même pas remué les lèvres ! Elle entend des voix, c’te folle ! Va te faire soigner ! Ou retournes-y, j’sais pas ! Elle est pas bien, cette psycho ! »
Psssshit !
Jessica n’a pas le temps de se défendre : les portes de l’ascenseur se referment. Coupent court à toute riposte.
En lancer une, lui aurait pourtant donné pleine satisfaction. Tant pis.
« Mais c’est quoi cette journée pourrave ? » se désole-t-elle en son for intérieur.
Cette déconvenue ne va quand même pas lui gâcher la journée !
Elle hausse les épaules. Pose les yeux sur l’hologramme d’une assiette barrée de couverts. D’un pas décidé, quitte la zone des ascenseurs. Suit la direction indiquée.
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