Retranchés derrière la colonne publicitaire au plus proche du danger, le sergent et son soldat peinent à recouvrer leurs souffles.
Pourtant, les cris de panique qu’ils perçoivent ne les invitent pas à éterniser leur pause.
D'un coup d'œil discret, le gradé détaille le champ de bataille.
Des gravats, des cratères, des impacts de toutes sortes.
Du sang, des blessés, des corps mutilés.
Un espace fumeur, des boutiques, des allées désertées.
Et puis, guidé par les hurlements, il les aperçoit : un homme massif agenouillé sous le porche d'une entrée de service.
La jambe d'un militaire étendu au sol. Elle se plie, se déplie au rythme d’une lutte acharnée.
De retour à couvert, la colère déforme le visage du chef de guerre.
Il chuchote des consignes, une stratégie élaborée à la hâte. Quelques bribes à l’intensité mal dosée échappent à son contrôle.
« L’enfoiré ! J’sais pas ce qu’il fabrique avec Alvarez. Tout c’que j’ai vu, c’est qu’il a du lourd sur le bras. Alors, j’vais foncer sur lui et avec un peu de chance, il pourra pas nous balancer de grenades sans se faire sauter avec. C’est risqué, mais pas le temps pour un meilleur plan. »
Il dégaine, désigne du menton le cadavre en zone fumeur et poursuit :
« Si c’est de lui qu’Alvarez parlait, ce pauvre type n’a plus besoin d’aide. Dès que ça commencera à tirer, tu iras quand même checker la zone, on sait jamais. »
Son regard intense se verrouille sur la visière de Johnson.
« C’est l’épreuve du feu pour toi, gamin. Mais tu t’es pas enrôlé pour te planquer au fond d’un placard ! Alors, tiens-toi prêt ! »
Au loin, une perceuse fore une matière trop dense. Son moteur hoquette, ralenti, vrombit sous l'effort.
En simultané, les hurlements redoublent d’intensité.
Le gradé n’en attend plus d'avantage pour jaillir hors de sa cachette.
Il fonce, pavois le premier, vers l’issue de service. Animé par la ferme intention de porter secours à sa recrue. Si possible, d’en finir avec la menace.
Trop tard. La voix d’Alvarez se mue en gargouillis sonores, s’éteint. Le moteur se tait à sa suite. La jambe, immobile, ne bat plus la mesure.
Le borg se retourne, s’extirpe de l’embrasure, s’immobilise sur le pas de la porte.
À la vue de la machine, de son corps constellé de gouttelettes brunes, de son outillage rougie par le sang, le sergent enrage.
« Enfoiréééé ! Je vais t’exploser ! »
Il se rue sur le borg. Tire à plusieurs reprises.
Les balles sifflent autour de la machine. Ne réussissent pas à la toucher. Parviennent tout juste à la distraire.
Profitant de l’occasion, Johnson fonce sur la gauche.
En bout de sprint, il atteint la première table renversée. Scrute le lieu, à la recherche d’éventuels rescapés. Constate qu’il n’y a plus rien à faire pour le vieil homme. Hésite à s’éterniser. Se dit qu’il serait plus utile au combat.
« S’il vous plaît ! Aidez-moi ! Je suis coincée ! »
Surpris, le soldat balaye la pièce du regard. Ne voit rien. S’avance davantage. Pas assez vite. La voix s’impatiente.
« Par ici ! Sous la poubelle ! »
Enfin, il la remarque : une jeune femme, les deux jambes coincées sous une grosse boîte à ordures.
Drôle de cachette. Les civils ne manquent pas d’imagination pour se mettre dans des situations aussi improbables qu’inefficaces.
Il se rue vers elle. Soulève le container d’un bras musclé. De l’autre, il saisit la fille par le poignet. La tire.
D’instinct elle l’empoigne, se cramponne, se laisse glisser.
Ramenée jusqu’à ses bottes, il s'inquiète de sa condition.
« Rien de cassé, m’dame ? Vous pouvez vous l’ver ? »
- J’ai des fourmis dans les jambes et elles me font mal, mais j’crois que je vais pouvoir march...
- C’est courir qu’il va falloir, m’dame ! » la coupe-t-il, pragmatique.
D’un geste viril, il passe sa main sous l’aisselle de Jessica. L’aide à se relever.
Une fois sur pieds, elle titube, manque de tomber. Le soldat, attentif, la rattrape, la soutient.
« Accrochez-vous à moi, m’dame ! »
Sans hésiter, Jessica s'agrippe au cou de son sauveteur, comme s’il s’agissait de la dernière bouée d’un navire en perdition.
Après quelques pas d'acclimatation, ils se mettent à trottiner aussi vite que possible. Se dirigent par delà le distributeur. Ne quittent jamais le couvert du pavois brandi par le militaire.
Pendant ce temps, le sergent poursuit sa charge héroïque.
Arrivé au contact du Cyborg, il ne lui laisse aucune opportunité de réagir.
Il bondit, bouclier de front. Met dans cet assaut désespéré, toute sa force, tout son poids, toute sa volonté de vaincre.
Le choc est brutal.
La machine déstabilisée, chute avec fracas. Sous la violence du placage, revolver et pavois rebondissent à ses côtés.
De ses bras musclés, le gradé ceinture les jambes de la machine.
Au travers de son armure, la température intense qui s'en dégage le surprend. Une brûlure crue l’indispose. Bien vite, il ne tient plus. Lâche prise. Change de stratégie.
D’un coup d’épaule, il roule sur lui-même. Attrape son arme. Culbute en arrière.
Couché sur le ventre, il empoigne la crosse. Met en joue l’ennemi. Profite que ce dernier, un genoux encore à terre, termine de se relever.
Il vise et fait feu.
Un objet cylindrique vient percuter le borg. Le touche en milieu de cuisse. S’y arrime.
Aussitôt, un système de maillage d'énergie en jaillit. Commence à s’étendre dans toutes les directions. L’enveloppe peu à peu dans un cocon de lumière.
En une poignée de secondes, le filet remonte jusqu’à son bassin. Colonise son torse. Se propage à épaules, puis bras. Coule jusqu’à enchevêtrer chacune de ses phalanges.
Sur la partie inférieure en revanche, bloquée par la chaleur, l’entrave ne parvient pas à dépasser ses genoux.
La machine se débat. Tente de briser l’étreinte. Lui oppose toute sa force ; les mailles lumineuses tiennent bon.
Le haut du corps pris au piège, les jambes dégagées, elle s’avance vers le sergent comme un forcené dandinerait sa camisole.
D’un bond, le militaire se relève. Évite de justesse, un coup de pied incandescent.
Mis en échec, le borg s’immobilise. Cherche le moyen de libérer son bras droit du filet.
Le gradé en profite pour improviser un plan.
S’il arrivait à renverser à nouveau l’ennemi, cette fois, les membres supérieurs entravés, il ne pourrait plus se remettre debout.
Il jette un rapide coup d'œil vers son pavois. Situé loin derrière, le récupérer serait trop risqué.
D’un regard jeté par-dessus son épaule, il aperçoit Johnson et une civile à une vingtaine de mètres de là. Ils s’apprêtent à s’engager dans la ruelle des restaurants.
Le bras tendu vers le couple, il hèle :
« Johnson ! Vite ! Ton bouclier ! »
Le soldat éteint son égide. La balance en direction de son supérieur.
L’objet tubulaire tourne sur lui-même. Décrit une courbe parfaite.
Le Sergent s’en saisit au vol. L’allume. Fonce vers le cyborg. Tente de le percuter à nouveau.
Cette fois, la machine sait à quoi s’attendre : elle fait un pas de côté, esquive.
Cependant, le gradé anticipe le mouvement : il bifurque. Parvient à percuter la machine sur le flanc.
Sous le choc, elle vacille. Fait quelques pas en arrière. Les bras emballés le long du corps, plie l’échine. Compense. Garde l’équilibre. Ne chute pas.
Stabilisée, elle se redresse. Dévisage son adversaire.
Les yeux rouges, les traits sévères, elle hurle. Expulse toute sa rage et sa frustration en un cri métallique de bête féroce.
« Raaaaaahhhhhhhh ! »
Tandis qu’elle beugle, ses pieds passent du rouge au blanc. Une vague de chaleur rayonne autour de ses mollets. Se répand aux genoux, aux cuisses.
Le pantalon du colosse s’enflamme. Se consume. S’envole en petites cendres, expulsées par l’intensité des radiations.
En un clin d'œil, ses jambes se sont mises à nues. Ont chauffées à blanc.
Le petit cylindre noir fixé à sa surface, ne résiste pas à la fournaise. Il éclate dans un bruit sec.
Aussitôt privé d’énergie, tout le système de maillage se volatilise.
Libéré, le borg lève son bras droit. Lâche une rafale de balles meurtrières. Tel un essaim de frelons, elles fondent sur le sergent.
Plusieurs le touchent. Pénètrent son armure. L’une d’entre-elles, frôle sa tempe.
Fauché, il s’effondre.
La cible mise hors d’état de nuire, les projectiles changent aussitôt de trajectoire.
Ils foncent sur le couple Jessica Johnson. S’apprêtent à le déchirer.
Dans un réflexe, le jeune soldat s’interpose. Fait écran de son dos pour protéger l’inconnue.
Une balle déchire sa combinaison à la base du casque. Le touche au cou. Deux autres perforent sa plaque de kevlar.
Blessé, sonné, peut-être mort, il s’écroule. Emporte la jeune femme dans sa chute. De sa masse devenue inerte, il l’écrase face contre terre.
Sa paume rencontre le carrelage. Sous le choc, ses phalanges relâchent son arme.
Libérée, sa glissade s’accompagne du bruit d’un morceau de marbre que l’on brosserait de métal. En bout de course, elle tourne sur elle-même. S’immobilise.
De son côté, le sergent peine à rester conscient. À terre, la main tremblante, il maintient avec difficulté son revolver pointé vers le cyborg. Ramène son bras gauche le long du corps. Du bout des doigts, s’évertue à ouvrir l’étui accroché à sa hanche.
Cependant, il n’arrive ni à faire feu, ni à se saisir de ce qu’il cherche.
Ses yeux embués de sang virent au blanc. Ses paupières épileptiques clignent avec frénésie.
Après quelques derniers instants de lutte, elles se referment. Ne frémissent plus.
Inconscient, l’homme s’effondre, sa joue plaquée contre une dalle.
Le borg se rapproche de sa dépouille, la perceuse en marche.
Soudain il s’immobilise. Son attention se porte vers le corps de Johnson. Il remue, se soulève, s’effondre à nouveau, acquiert une paire de mains supplémentaires.
Aussitôt, ses priorités changent : éliminer une potentielle menace. Le faire avec un coût minimum en munitions.
Pour le moment ignorante des yeux braqués sur elle, Jessica réussit à ramper, à s’extirper de dessous le soldat, à se redresser. Elle se met à quatre pattes à côté de lui.
Épuisée par les efforts répétés, le menton collé à la poitrine, elle essaye de recouvrer des forces. Une seconde impulsion. La capacité de fuir.
Groggy, dos au danger, désorientée, elle perçoit le vrombissement d’une perceuse ; les cliquetis d’une démarche métalliques.
Pas après pas, ils se rapprochent.
Inquiète, elle tourne la tête. Observe par-dessus son épaule. Croise, de ses pupilles apeurées, presque résignées, le regard écarlate du borg.
Un frisson lui parcourt l’échine.
La machine semble n’avoir qu’un seul objectif, elle en est sûr : la tuer de la plus horrible des façons.
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