Dans toutes les forêts où l’homme a foulé le sol, il existe toujours une histoire qui fait frémir les couards. J’ai toujours pensé que les innocents ou les ignorants étaient ceux qui osaient traverser ces étendues sombres et majestueuses, sans tourner le talon. Mais il existe parfois, et bien des cas particuliers. Avant même que Vegaror puisse être le foyer des Hildrs; ces immortels au sang noir et d’acier, ces terres étaient bordées d’une somptueuse forêt. La couleur des feuilles était semblable à du carmin, et si on prenait une feuille dans l’une de nos mains, nous aurions pu voir le reflet de la lumière sur son squelette. Tel était l’étrangeté de cette forêt, ou du moins une partie. À vrai dire, de loin, les yeux humains pouvaient contempler ses arbres majestueux, mais aucun n’osa y entrer, regarder de plus près. À chaque fois qu’un impétueux s’y risquer, les villageois s’agglutinèrent pour mieux apercevoir s’il en ressortait entier de la forêt mangeuse d’hommes. Et comme toujours, le bruit du vent des arbres leur répondit. L’homme avait peut-être réussi à traverser disait-on, ou bien un Hildr, l’a amené avec lui dans la Nébuleuse. Mais les plus sages et les anciens savaient, la forêt engloutissait les trop curieux. Alors, on détournait le regard de cette forêt devenue sombre par sa triste réputation, sans jamais comprendre le mystère que comportait ce lieu.
Je vais vous conter cette fois-ci l’autre facette de cette histoire, celle que très peu connaissent. Bien que beaucoup de Grandses avaient disparu de la surface de nos terres, certains semblaient s’accrocher à la vie, comme des mauvaises herbes. Nous savons qu’aujourd’hui, beaucoup s’étaient immiscés dans des endroits sombres et obscurs, attendant le bon moment pour sortir de l’ombre. Les Grandses ne mangeaient assurément pas de chair, mais une étrange curiosité s’emparait d’eux à l’approche des vivants. Quel genre de feu brûlait en eux, pour que la vie batte si ardemment? Et comment un souffle si léger qu’était la mort pouvait les faire disparaître? Ils leur semblaient pourtant faits d’un feu qui ne cessait de brûler même en pleine tempête. Ces Grandses , faits d’acier, en leur sein avec un Feu palpable et perpétuel, avec leur apparence gargantuesque, leurs membres osseux inquiétants aussi sombre que la nuit, n’avaient que pour compagnie l’immortalité et l’avidité. Alors le Grandse qui veilla sur la forêt carmin, ne cessa de toucher par curiosité, du bout de ses doigts calcinés le corps frêle de ces humains aux yeux hagards. Quelle déception ce fût, lorsque le corps sans vie de ces frêles créatures ne laissaient qu’une traînée carmin visqueuse à ses pieds. Alors il employait à ce que le sang de ces êtres humains devient une partie de ce lieu. Peut- être qu’avec le temps et les siècles, le feu qu’était la vie de ces humains pouvait se ranimer? Pendant un siècle ou deux, le Grandse regarda de ses pupilles blanchâtres, la voûte que faisaient les feuilles des arbres au-dessus de lui. Nourries du sang des mortels, elles semblaient parler dans une autre langue. Ces humains, crieraient-ils vengeance même après leur trépas?
Son pas était léger, mais pas celui d’une personne perdue par la forêt. Sa tête scrutait les arbres sinistres, l’odeur du fer plané sur les lieux comme l’odeur de la marée sur les côtes. Elle s'attendait à voir un être difforme noir le fixait de ses yeux globuleux derrière un arbre, mais la femme le vit plutôt accroché à une branche. Sa taille valait un bâtiment entier à lui seul, et sa mâchoire était ouverte, pour sûr, on pouvait y mettre un bœuf entier tranquillement sans qu’il puisse la croquer. Bien qu’avec cette apparence hideuse, la voyageuse se laissa approcher, il se laissa tomber sur ses deux jambes mais se tenait voûter comme si la présence des arbres avait incombé un fardeau. Son bras se déplia vers elle, et elle ne fit rien pour l’empêcher. Le Grandse confus, inclina la tête, comme si regarder d’un autre angle la voyageuse impassible pouvait lui faire résoudre une énigme en suspens. Le doigt entra en contact avec le bras de la femme, seul un filet de liquide noir en sortit. La femme ne possédait assurément pas le feu commun aux humains, car, au contraire des autres, elle ne cria pas, ne se mit pas à courir, et son corps ne tomba pas en morceaux. Le temps d’une expiration, elle leva les yeux vers le Grandse et lui caressa la joue dans un geste maternel et tendre.
“ - Tu pensais vraiment que tes meurtres resteraient impunis? Vous nous avez déjà enlevé notre libre arbitre, je ne vous laisserais pas ce droit de passage. ”
Je me rappelle encore de ce que j’avais pu entendre de cette entrevue. La voix de cette femme faisait l’effet d’un couteau qu’on avait aiguisé pendant des siècles, comme une vengeance. Mais quelle vengeance? Cela, elle ne me l’a jamais dit. Peut-être avait-elle un amant parmi les malheureux?Une haine contre les Grandses? Un ordre venant de lui?
L’être difforme avec regret se recroquevilla sur lui-même, abattu comme si on lui avait demandé une reddition. Brulé à vif au toucher de la femme, il savait qu’elle était de cette engeance de ceux qui possédait son sang noir. Ceux qui les avaient détruites pour mieux-vivre de leur immortalité, sans contrainte. Elle n’avait pas de Feu comme lui, mais qu’est ce qu’elle brûlait intensément, quitte à tout détruire et recommencer. Et c’est ce qu’elle faisait. Elle venait de détruire un vestige d’un temps perdu. La femme Hildr marcha sur ses cendres et alors qu’elle avança parmi les arbres carmin, les cendres devinrent uniformes, une force de la nature aussi haute et étrange que la colonne d’une créature rampant sur le sol. Depuis la forêt de Vegaror devint une chaîne de montagne informe, un récif protecteur naît de l’acier le plus dur et le plus noir, vaillant sur les voyageurs, les innocents et les naïfs.
Quant à l’esprit du Grandse, il ne saura jamais quel genre de feu avait habité les humains, mais il savait que certains veilleraient toujours sur l’humanité, même si pour cela, il faut tout détruire et recommencer. Les Hildrs s’en chargeront sûrement jusqu'au début de notre récit.
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