Sa main n’est pas la sienne, n’est plus la sienne. Autour de lui, le silence à des allures de vertiges.
Satô !
Le vertige se prolonge.
Satô !
La voix prend naissance au cœur de ses entrailles, là où tout est encore noir.
Silence.
Il sent peser sur sa nuque un poids ; une masse lourde, mouvante ; insaisissable. Sur le tatami, une ombre gigantesque, dantesque se dessine ; un filet de sueur glacée coule le long de son échine ; dans sa poitrine son pneuma n’est plus.
Silence.
La poupée kokechi est nichée au creux de sa paume. Du bout de l’index, il en effleure la surface lisse et vernie. Simple morceau de bois poli et peint, elle lui renvoie son image déformée. Dans sa poitrine, son souffle se raccourcit, son cœur se raidit.
Silence.
Étranger à lui-même, il se voit lâcher la statuette, pris de dégoût.
Silence.
Les ombres ne sont plus que des silhouettes aux contours flous et aux visages fous. Gribouillées, leurs yeux, leur nez, leur bouche ne sont plus que des trous, des taches blanches sur des fonds noirs.
Silence.
Dans sa main, bat encore l’horrible écho de la chair vivante.
Silence.
Posé sur son écrin de velours, la poupée kokechi attend, inerte ; simple morceau de bois sculpté. À sa droite, le tentô dénudé lui renvoie son image angoissée ; il croit deviner une entaille dans le bois.
Silence.
Dans sa main, la lame ne pèse presque rien. Pourtant, elle s’alourdit. À mesure qu’il s’approche de la figure en bois peint, elle devient de plomb, bientôt il lui sera incapable de la tenir à la force de sa seule main.
Silence.
Suffocation. Son souffle s’amenuise en même temps que son champ de vision, bientôt à peine plus grand qu’une tête d’épingle.
Dans son dos, des filets glacées coulent.
Silence.
Tout n’est qu’impression, illusion. Paupières closes, il reprend son souffle cependant qu’il sent toujours peser sur lui l’ombre d’une présence absente.
Silence.
Concentré, il fixe la poupée kokechi, la lame posée sur sa nuque de bois verni. Pourquoi hésite-t-il ? La vision du sourire glacé et tragique d’un cadavre anonyme le trouble. Dans la pièce, il sent le vide qui l’aspire et le silence qui devient présence.
Silence.
Raidie, sa main affermit sa prise.
Silence.
Le bois est devenu pierre. La pierre est devenue chair ; au loin étincelle un bruit clair.
Silence.
Sous ses pieds, un gouffre s’est ouvert.
Satô…
Du fond s’élève sa voix. Masque d’albâtre, il se regarde.
Silence.
Sur le tatami, le tentô gît. La poupée kokechi a roulé à côté ; il devine l’entaille au niveau de la nuque. Il se rappelle, la pierre, la chair alors que la lame la tranchait, la pierre métamorphosée en chair ; il avait vu et il ne verrait plus.
Silence.
Les yeux de Kagami sensei ne sont plus que deux braises incandescentes. De sa droite, une silhouette se détache, souple, féline ; rapide. Déjà, elle file vers lui, mine trait d’obscurité dans une clarté, soudain, trop crue.
Silence.
Kagami sensei est là ; il le toise de son regard incandescent. Pourtant, il y devine de la tristesse, comme une fêlure jamais refermée ; la perte d’un enfant.
Silence
Satô…
Kagami sensei le toise ; la pièce s’est refermée ; ils ne sont plus que tous les deux.
Silence.
La tête baissée, la nuque dénudée, il attend, les yeux posés sur ses paumes vides ; il a échoué.
Silence.
Kagami sensei ne dit rien. Imposant, massif, le regard sévère ; il est le silence.
Silence.
Sa main a ramassé le tentô et, du pouce, il en éprouve le tranchant ; une goutte de sang perle, minuscule, si petite qu’elle en est à peine visible ; il n’a d’yeux que pour elle.
Silence.
Est-il une ombre, ou une illusion ? À genoux devant lui, son regard de braise le crucifie. Les lèvres pincées, il s’empare de la poupée kokechi. Perdue au creux de sa paume, elle paraît un jouet.
Silence.
Du pouce, il caresse la nuque de la créature sylvestre ; une trace sanglante autour de son cou.
Tu vois.
Les mots flottent dans l’espace, insaisissables, invisibles.
Est-ce sa voix ?
Silence.
Il lève les yeux ; la sensation de la chair vivante encore entre les mains. Lisse, sans aspérité, la figure de Kagami sensei est semblable à un masque de cire, cependant qu’il darde sur lui un regard plein d’espoir et d’animosité.
Silence.
Il veut se détourner du regard acéré qui l’accroché. Pris dans ses rets, il ne peut s’en détacher. Sur le sol, la tête de la poupée kokechi roule sans un bruit.
Tu me déçois.
Silence.
Dans la main de Kagami sensei, le tentô lui renvoie sa figure, pâle, désincarnée. Est-ce encore lui ? Il porte une main à son visage. Sous ses doigts, sa chair flasque se détache. Lambeau après lambeau, il les dépose sur le binkake et le recompose.
Silence.
*Châtiment divin, punition céleste
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