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Les Fragments Apocryphes du Livre du Voyageur
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volume 3, Chapitre 11 « Transfigure » volume 3, Chapitre 11

Ivresse des hauteurs ou des profondeurs. Point perdu au sommet d’une tour illuminé, il contemple la foule, ses ailes déployées, le vent manque de peu de l’arracher à la gravité de l’instant. Dans le ciel, une lune borgne l’observe. Sur son visage sans traits, des traînées blanches roulent, puis se perdent dans les airs. Elles ont la saveur amère du fiel et la douceur du miel. Tac, tac. Tac, tac. Le métropolitain passe, sa lame brille à la lueur d’un pâle fanal et ses éclats se reflètent sur le visage d’albâtre. Poupée de chair, elle semble de porcelaine. Il hésite. Sa main tremble presque ; qu’il serait dommage d’abominer un si délicat visage !

*

Aveugle dans le silence, seul le staccato lointain du train répond à ses gémissements. Tac, tac, tac. Roulement de la mécanique de cette horloge invisible qui s’appelle le grand temps.

– Oh ! Rassure-toi ! Toi aussi, ton tour viendra ! Mais plus tard. Oui, plus tard.

C’était ses premières paroles, douces et affûtées. Dans l’obscurité, elle lui avait fait l’effet d’une caresse ; ce ne pouvait être qu’un ange. À cause de cela, elle ne veut pas ouvrir les yeux. Elle a essayé une fois ; autour d’elle, tout était nuit et brouillard et elle fut saisie d’effroi. Depuis, elle demeure dans cette torpeur d’où rien ne la tire, sinon le murmure doucereux de cet ange qui hante les lieux. Elle le reconnaît à son pas. Elle sait quand il est de bonne humeur ou qu’il est insatisfait, elle sait quand il va venir, elle sait quand il va disparaître. Oui, elle sait tout cela. Et maintenant, elle ne sait plus rien, plus quand il vient, plus quand il la tient. Elle traîne par terre, poupée désarticulée qui prend la poussière. Il l’a abandonnée, jetée contre un vieux mur de pierre, après qu’il l’eut délesté. La tête penchée sur le côté, elle est tombée et depuis ses yeux vides peuvent contempler le vide infini du ciel étoilé. Elle se souvient encore de ses mains délicates qui s’appliquaient sur son visage. Il y mettait tant de soin. Suture, couture, fermeture. Elle le voit qui lui amène, ce qu’il nomme lui-même, un compagnon. Il ricanait de tout son saoul. Elle entend encore son rire mécanique qui couvrait le staccato sourd du train dans le souterrain. Lui ? Lui, il ne bougeait pas, il se contente de la fixer de ses yeux hagards. Il était revenu le lendemain. Mais ce n’était pas pour elle, mais pour lui. Qu’elle en fut triste ! Elle se remémorait ses doigts délicats, mais le souvenir se délite et bientôt tout sera parti sans un bruit. D’ailleurs, il fait de plus en plus nuit. Des gouttes tombent sur elle.

Peut-être, est-ce enfin la pluie ?

Non ! Ce sont des larmes. Elle le voit, sans son masque. Comme il est beau avec ses yeux de biche qui luisent dans la nuit. C’est un ange, un ange triste et solitaire, qui se terre sous terre dans sa forteresse de solitude.

Emporté par le courant, le fleuve charrie son corps. Il heurte, bringuebalant les rebords de béton gris. Adieu, ma mie ! semble-t-il lui dire, comme il la contemple du haut de minuit.


Texte publié par Diogene, 29 janvier 2022 à 19h23
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