– Qu’as-tu mon amour ?
Les mots glissent sur lui, telle la pluie sur la feuille de lotus à la saison de la mousson. Ce n’est qu’un songe, douloureux et cruel. Otomo ferme les yeux. Il serre les poings comme pour se frapper, mais ses mains retombent sur ses cuisses, molles et sans vie.
– Quand cesseras-tu de me hanter ? murmure-t-il à l’adresse du vide.
Une odeur de poudre, de bois humide et de pain chaud lui chatouille le nez. La figure dissimulée par un passe-montagne, il n’aperçoit que l’éclat de ses yeux heureux. Elle tend la main. Sur le gant de laine, des flocons se posent puis fondent, ne laissant pour seule trace de leur passage qu’une tache humide et sombre.
– Regarde, souffle-t-elle, comme elle rassemble de la neige pour sculpter un jizo éphémère.
Accroupie dans la couche floconneuse, elle élève un petit monticule blanc. Ses mouvements sont nets, précis, en même temps qu’ils sont alourdis par cette douleur sourde qui ne les a jamais quittés. Otomo s’agenouille à ses côtés. Les jambes enfoncées dans la neige, il tend à son tour une main vers l’éphémère sculpture. Un instant, il suspend son geste, puis creuse les yeux tandis que Kazue en affine les courbes. Soudain, un bruit de pas trouble le silence des lieux. Otomo lève son visage en direction du bruit. Mais il ne découvre que la plaine, plantée de sapins, recouverte par l’épais tapis neigeux. Kazue aussi a relevé la tête et le tire par la manche. D’un geste de la main, elle lui indique la direction de la cascade gelée ; un cerf Sika s’est arrêté de l’autre côté. Les yeux grands ouverts, il scrute l’horizon. Mais alors qu’il se penche pour boire à la rivière, il se relève aussitôt et disparaît dans un bruit de déflagration. Un liquide chaud et poisseux l’éclabousse tandis qu’il découvre le regard vide de Kazue, dont le corps tombe en arrière. Il hurle, mais aucun son ne s’échappe de sa bouche. Indifférent, le jizo observe la scène. Allongée dans sur le manteau blanc, le sol se gorge de son sang. Otomo se précipite en direction de l’auteur et s’effondre à son tour. À genoux, il n’en aperçoit que la silhouette grossière. Hébété, il fixe la neige rougie, puis son regard se déporte vers sa veste noircie. Machinalement, il porte ses mains à son abdomen, puis les relève. Elles sont rouge, rouge comme le sang de Kazue. Otomo ne comprend pas ; il n’a pas mal. Dans le ciel, des flocons blancs descendent, secoués au gré des vents dominants. L’un d’entre eux se pose sur son nez, tandis qu’une ombre se penche sur lui. Il est bien en peine d’en deviner les traits ; ils sont dissimulés derrière d’épaisses couches de laine. À hauteur de son visage, elle murmure quelques mots au creux de son oreille. Mais il est trop tard, car il n’entend pas ; la vie le fuit déjà.
Au loin dans le ciel bleu, il voit les grains célestes tourbillonner au-dessus de sa tête ; seul lui parvient encore le bruit des pas de la silhouette dans la neige épaisse.
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