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Les Fragments Apocryphes du Livre du Voyageur
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volume 3, Chapitre 7 « Fermeture » volume 3, Chapitre 7

Ses yeux sont toujours grands ouverts. Il en est persuadé. Sinon, comment expliquer la présence de cette immense tache blanche qu’il aperçoit, dans ce qui lui paraît être le ciel ? De droite, de gauche, son regard demeure fixe et toujours ce point lumineux entouré de ténèbres qui se dresse au dessus de sa tête. Alors il essaie de toucher le sol. Il imagine son pied remuer. Mais il l’imagine seulement, car il n’a plus de pieds, même s’il l’a oublié.

On tend quelque chose au-dessus de sa figure. On lui exhibe une forme oblongue qui se plie par le milieu, puis une autre. On, avec ce masque, à moins que ce soit son véritable visage, semble ravi.

– Je n’ai pas besoin de tout.

On murmure à son oreille comme on se retire. On en tient deux, une dans chaque main.

Pourquoi lui a-t-il montré ça ? Et c’est quoi ça ?

Puis on a disparu et il a entendu de nouveau l’infernal staccato du train dans les tunnels lointains. Maintenant, il n’entend plus rien. Il ne dit rien ni ne sent rien. Sa main remue. Enfin, il croit, comme beaucoup de ses semblables. La tête penchée sur le côté, il admire le ciel fabuleux balafré par cette traînée laiteuse, que certains appellent la Voie Lactée. Parfois, il croit surprendre une folle étoile qui file dans le noir ; c’est seulement une larme qui s’écoule de son œil mort. Car voilà, on ne lui a pas dit, on ne lui a rien dit. On a juste murmuré à son oreille et on est parti. Il se souvient ; rares images éparses d’après son départ. En face de lui, il n’y avait plus que le mur nu. Quelqu’un avait disparu. Des chaînes muettes pendaient le long des pierres. Pourquoi ? On est revenu, mais il ne l’a pas vu. Seul lui parvenait le bruit obsédant de ce train qui marquait le temps. Tac, tac, tac.

Il se l’imaginait filant dans le noir, ses phares braqués à l’avant dévorant les ombres mugissantes. En fait, il était le train, bouche affamée qui, de sa lumière, dévorait les ténèbres pendant qu’on le dépeçait. Comme il aimait ; elles avaient un goût de fiel et de miel et, à chaque bouchée qu’il engloutissait, on se moquait, se gaussait tandis qu’il jouait de la scie et de la moulinette.

– Quel dommage ! J’ai horreur du gaspillage ! Hélas, seul le bas lui échoit.

Ainsi on avait susurré à son oreille tandis qu’on le démembrait

– Mais c’est pour mieux lui rendre hommage.

Il essaie de bouger, mais il est paralysé ; il a les os brisés. Cela aussi il l’a oublié, comme le cri perçant de la scie lorsqu’on attaque la chair humide. Bercé par les illusions, il ne l’a pas vu lorsqu’on lui a volé son corps. Il ne l’a pas senti non plus lorsqu’on a détaché ses membres, parce qu’il était déjà mort.

Mort heureux, il repose contre un mur lépreux, dans une rue sans nom.


Texte publié par Diogene, 29 janvier 2022 à 10h26
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