Au volant de sa voiture, Otomo joue négligemment avec le cliché sous scellé. Une figure, pâle, défaite, surexposée. Pourquoi ne l’a-t-il pas vue ? Derrière, quelques lettres et chiffres à demi-effacés se donnent à voir. Il secoue la tête, puis la repose dans une niche près de sa boîte à gant. L’horloge indique 21h30 ; la nuit a depuis longtemps dévoré la ville qui en retour s’illumine. Son véhicule sinue dans les rues animées. Des couples des deux sexes se promènent, sombres ou curieux, singuliers ou éthérés, des solitaires à la recherche de quelque compagnie de minuit. Qui est-elle ? Pourquoi une femme ? Pourquoi pas un homme ? La photographie est si floue. Comment peut-il en être aussi sûr ? Un étau lui enserre la tête et une barre passe derrière ses orbites. Sa vue se brouille.
Une musique douce et rythmée le berce, tandis qu’une main fine passe sur son visage. Dans l’autre, elle tient un foulard qu’elle lui glisse entre les doigts. Otomo coule un regard en direction de son cou gracile. Sa peau laiteuse reflète à merveille les illuminations dorées du lieu. Ses phalanges se resserrent déjà, il n’a plus qu’à serrer et tout sera achevé. Les yeux bandés, elle repose désormais sur le dos. Sa poitrine se soulève doucement, étirant le corset qui enserre ses seins menus. La corde entre les mains, il enserre sa cheville dans un nœud coulant, puis fait de même avec l’autre. Dans la pénombre, les fibres mordorées renvoient de minuscules faisceaux lumineux qui lui blessent les yeux. Alanguie, la femme remue doucement. Son corps ondule sur le cuir, telle une sirène sur la grève. Otomo remonte son regard jusqu’à son visage nu et lisse. De la pointe de l’index, il dessine des lèvres fines et purpurines. De la paume, il creuse les joues. Des pouces, il détoure des yeux en amande. Des phalanges, il circonscrit le front. Les paupières encore closes, il en soulève une, puis l’autre. À l’intérieur, il y glisse deux billes de verre, de la couleur de l’eau.
– Que fais-tu ? murmure-t-elle, en remuant ses pieds entravés.
Otomo ouvre les yeux. Au fond de ses paumes, deux globes vitreux l’observent puis disparaissent. Sans comprendre, ses mains s’activent déjà en sculptant la lumière de la créature de chair.
– Bientôt, tu seras parfaite, chuchote-t-il à lui-même.
Soudain, il hésite. Mais d’un signe, elle l’encourage et il poursuit. Inlassable, infatigable, il serre, resserre ; il mord la chair. Sa bouche est emplie d’un goût de métal. Elle pousse un cri bestial, puis se redresse, les bras entravés semblables aux ailes d’un dragon aîné. Souple, elle s’enroule autour de sa chair et s’accouple. La pièce vole en éclat et des éclairs noirs dansent dans son regard.
Un son strident le tire de sa torpeur. Otomo a chu le nez sur son volant et sa main s’est écrasée sur son klaxon.
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