Silence.
Dans la pièce, il n’y a plus que lui ; les autres ont disparu, avalés par l’horizon que sa propre pesanteur a créé dans ce point d’espace qui est le sien, au centre.
Silence.
Les points de fuite se sont étirés à l’infini, les coins ne sont plus que des points minuscules, dérisoires, là où ils n’étaient encore, quelques instants auparavant, que les reflets de son orgueil et de sa vanité.
Silence.
Droit, ses fesses reposent sur ses talons ; il oublie la douleur lancinante qui a saisi ses articulations lorsqu’il s’est agenouillé. Les mains posées sur ses cuisses, il détend un à un les muscles de son enveloppe charnelle.
Silence.
Posé sur la minuscule table de bambou, la poupée Kokeshi le fixe de ses yeux peints. De la taille d’une main d’enfant, elle semble si innocente, si simple ; seulement un morceau de bois séché et sculpté, sur lequel un artisan y aura déposé, couche, après couche, la laque colorée.
Silence.
Une ombre s’approche, le pas si léger qu’elle semble marcher sur le vide ; c’est à peine s’il perçoit le frottement de chair sur la paille du tatami. Souple, elle se penche et dépose un objet oblong et laqué de noir, avant de se retirer.
Silence.
L’objet lui renvoie son image : un visage fermé sur lequel tout glisse. Dans le tunnel de lumière, l’ombre marche à reculons. Chacun de ses pas est pareil à un soupir. La tête baissée, il ne devine rien de sa figure ; seul son souffle lui murmure.
Silence.
Dans sa poitrine, son cœur a manqué un battement ; sous ses pieds le sol s’entrouvre sur un gouffre béant.
Silence.
Inspiration. Expiration. L’ombre s’éloigne encore, plus loin, toujours plus loin ; il ferme les yeux. Paupières closes, il entend le gouffre qui se referme, le cœur qui bat toujours, lentement, toujours plus lent. Toc… Toc… Toc… Inspiration. Expiration.
Silence.
Dans la vallée de sa peur, son souffle s’apaise. Serein, il contemple le coffret de bois peint. Dans la vallée de sa terreur, son esprit s’apaise. Serein, il relève la tête et contemple le vide. Libre, il flotte dans le néant ; point minuscule perdu dans l’écume du temps.
Silence.
Ses doigts effleurent la surface laquée, comme pour en éprouver la texture et la vérité.
Silence.
Reflet bicéphale, il fixe la lame dans son écrin de bois laqué. Au bout de la garde, accroché un brin de laine, un haïku est gravé sur une lamelle de bois de hinoki.
est toute l’instruction
Que tu recevras**
Silence.
L’ombre reprend la place qui est la sienne ; son souffle se trouble. Les yeux fermés, il se concentre sur le bruit du vide et oublie ; il est deux. Il est deux, comme son reflet dans la lame brandie devant lui. Les mains jointes sur la garde, il l’enserre ; peut-être plus que de raison.
Silence.
Du bout des doigts, il caresse la poupée Kokichi. Lisse, froide, elle est sans vie, inerte, dépourvue de souffle ; elle est seulement un morceau de bois sculpté et peint. Pourtant…
Silence.
Dans sa poitrine, à nouveau s’ouvre le gouffre. Dans sa main, la poupée soudain s’alourdit. Dans son esprit, l’angoisse l’étouffe de ses anneaux.
Silence.
Calme, il observe l’autre qui lui fait face. Il lui ressemble, il est son double ; il est son jumeau noir. Dans sa main droite, il tient une poupée noire, dans sa main gauche, une lame noire. Dans sa main gauche, il tient une poupée blanche, dans sa main droite, une lame blanche.
Silence.
« Fais ton devoir, lui intime son semblable.
— Fais ton devoir, intime-t-il à son semblable. »
Silence.
Dans sa main, la poupée ne pèse rien ; elle est n’est morceau de rien. Posée, sur la table ; elle le fixe de ses yeux peints et lui renvoie ce regard silencieux qui est le sien ; il ne pense à rien.
Silence.
Les doigts refermés sur la garde, il ne tremble ni ne se trouble.
Silence.
Placée devant lui, la lame n’est plus qu’un mince fil presque invisible.
Silence.
Posé sur la gorge de bois laqué, le métal s’enfonce.
Silence.
Dans sa poitrine, son cœur, de nouveau, manque un battement. Sous ses pieds, le gouffre, de nouveau, s’ouvre. Dans sa tête, son esprit s’ouvre, se dédouble. Au creux de sa paume, la sensation de chair le trouble.
Silence.
Sa main a tremblé.
Silence.
Sa main a tranché.
Silence.
Immobile, il la voit qui dévale la courbe du métal. Bientôt, elle s’écrasera ; elle s’écrasera et elle le scellera.
Silence.
La chute n’en finit pas. Sur la table, la tête le regarde de ses yeux laqués de noir. Sur le sol, la tache écarlate le nargue et le souille de sa présence.
Silence.
Droit, il fixe la table ; la table sur laquelle repose la lame. Autour de lui, les ombres s’agitent, bruissent.
Silence.
Kagami sensei est là. Grave, menaçant, il le toise, le couve de son regard implacable.
« Tu me déçois.
Raide, les lèvres scellées, il ne bouge pas. Kagami sensei regarde la tache.
Qu’as-tu appris ?
Silence.
— Je suis le silence. »
Silence.
Dans le miroir, son double le regarde.
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