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Les Fragments Apocryphes du Livre du Voyageur
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volume 3, Chapitre 1 « Couture » volume 3, Chapitre 1

– Ah ! Te voici fin prêt, et elle aussi.

Au-dessus de leurs têtes, le fracas d’un train en marche trouble la pénombre silencieuse où la présence évolue. L’ombre se meut dans une semi-obscurité. De son visage, l’on aperçoit qu’un masque blafard et lisse. Ni bouche ni lèvres, les yeux sont de simples fentes dans lesquelles brillent une lueur funeste, tout comme le nez, réduit à sa plus simple expression. Entre ses doigts fins, il tient une aiguille large et épaisse, semblable à celle qu’utilisent les cordonniers pour percer le cuir et une ficelle, au premier regard grossière, mais terriblement solide.

– Ne bouge pas.

La pointe de l’aiguille brille dans la pénombre tandis qu’elle s’approche de son visage. Il veut hurler, mais le bâillon qui couvre sa bouche l’en empêche.

– Pour quoi te débattre ? C’est inéluctable.

Il s’efforce de remuer, mais son corps, comme paralysé, se refuse à bouger. La pointe de métal a disparu. Il aperçoit seulement le mouvement de va-et-vient de son bourreau qui s’affaire en silence. Pourtant, il ne sent rien. Dans ses orbites, ses yeux semblent rouler tout seuls. En face de lui, l’homme se recule. Dans sa main, brille un objet qu’il devine tranchant ; une paire de ciseaux.

– Voilà, murmure l’homme en se rapprochant les lames articulées à la main.

Il entend avec netteté le bruit de la coupe, puis celui du métal qui tombe sur le sol accompagné d’un juron étouffé. Encore une fois, il essaie d’étirer son cou, mais son corps ne répond pas à ses injonctions et il demeure contre le mur, incapable d’esquisser le moindre geste. Tout comme il veut fermer les yeux, ses paupières refusent de se baisser. Plein de désarroi, il s’abandonne à la contemplation de la pièce obscure. L’homme a parlé d’une femme. Peut-être pourra-t-elle l’aider, lui expliquer ce qu’il lui arrive ?

– Oh ! Tu veux sans doute échanger quelques mots avec ta compagne, ricane soudain son bourreau comme il repose sa paire de ciseaux sur une table en bois, dont il devine les contours.

Il sent qu’on l’emporte, parce que son angle de vue change. L’homme le dépose par terre, puis le soulève à l’aide d’entrave qu’il lui passe sous les épaules. Son souffle est lourd et bruyant, comme s’il éprouvait des difficultés. Ce n’est pas la respiration saccadée et sifflante d’un asthmatique; plutôt celle d’une personne qui évoluerait dans un air raréfié ou vicié. Il le relève. D’une main, il le retient contre une cloison dont il ne devine rien de la nature, puis entend le bruit si caractéristique des chaînes qui frottent sur la pierre. En face de lui, une silhouette d’apparence féminine, attachée par les poignets à l’aide de chaînes suspendues au mur. L’homme leur sourit tour à tour, puis se retire, ne laissant derrière lui qu’un infime pinceau de lumière au ras du sol.


Texte publié par Diogene, 25 janvier 2022 à 12h39
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